Anouilh, un auteur « inconsolable et gai »

Un ouvrage véritablement passionnant, qui se lit avec bonheur, presque comme un roman, de par sa fluidité et sa qualité d’écriture.

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Anouilh, un auteur « inconsolable et gai »

Publié le 23 avril 2015
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Par Johan Rivalland.

anouilh un auteur inconsolable et gai anca visdeiJe n’ai jamais vu (mais j’en serais ravi) de pièce de Jean Anouilh, le croirez-vous ? (à l’exception d’une représentation de l’une d’entre elles, je ne saurais dire laquelle, par une troupe d’amateurs, mais qui ne m’a pas fait retrouver son univers). Et pourtant, je les ai toutes lues.

Elles ont d’ailleurs, en quelque sorte, rythmé ma vie, puisque je les ai lues à vingt ans, redécouvertes vingt ans plus tard, sans jamais qu’elles aient quitté mon esprit.

C’est à ce titre que cette biographie, que je gardais en attente depuis sa sortie en 2010, occupe une place importante dans mon panthéon des livres. Et j’en remercie l’auteur, Anca Visdei, qui nous fait partager, avec délice, le tourment de la vie de Jean Anouilh, comme la quintessence de son œuvre.

L’itinéraire d’un homme profond et passionné

C’est un Jean Anouilh passionné et déterminé que l’on découvre dès son plus jeune âge, qui va certes connaître des débuts difficiles, vivant au départ dans un relatif dénuement et ayant peine à se faire reconnaître en particulier par celui qui deviendra l’un de ses pères (première partie de l’ouvrage), sinon de ses pairs (deuxième partie), Jouvet, avant de connaître petit à petit le succès, grâce au travail et à la persévérance, et voler de ses propres ailes (troisième partie), sans jamais remettre en cause sa fidélité à l’égard de tous ceux qui auront joué un rôle important dans sa vie.

Il s’agissait avant tout d’un esprit indépendant, et en même temps profondément humain. Un auteur à la fois pudique, sensible, fidèle, travailleur et honnête, modeste, lucide, dévoué, mais aussi plein de tempérament. Un auteur « inconsolable et gai » (comme le dit le titre du livre), comme il le fait dire de l’homme à l’un de ses personnages de L’hurluberlu, évoquant la vie et le théâtre. Ce sont toutes ces facettes d’un même homme que l’on découvre à travers cette biographie et dont l’auteur, Anca Visdei, a eu la chance de faire connaissance au cours de ses dernières années.

Un homme injustement méprisé par certains

Jean Anouilh a été un auteur populaire, qui a connu le succès, mais je n’ignorais pas qu’il avait aussi été rangé par certains au banc des auteurs jugés sulfureux ou plus ou moins à bannir, sans que j’en sache davantage, même si je n’ignorais pas tout à fait la nature de ce qui pouvait lui être reproché et apparaît incompréhensible à la lecture de ses pièces, sauf à avoir un esprit binaire, comme on en connait hélas toujours bien en France encore aujourd’hui. C’est pourquoi j’étais plein d’attente à ce sujet et ai trouvé mes réponses.

Les coups rudes qui lui ont été très injustement portés provenaient en particulier de certains critiques, parfois jaloux du succès de ses pièces, ou d’intellectuels de gauche qui ont copiné un temps avec le PCF, à l’image de Claude Roy ou Edgar Morin, allant jusqu’à le dénoncer ou lui intenter de mauvais procès en épuration (ce qui est peu flatteur pour eux, avec le recul, surtout lorsque l’on apprend que la pièce incriminée était, en l’occurrence, la remarquable Antigone, et que l’on découvre dans quelles conditions et quelles circonstances la pièce a été jouée avec le plus grand des courages sous l’occupation allemande, avec tous les dangers que cela comportait. (Un comble…). Il n’avait absolument rien à se reprocher, tout à l’inverse, et ne fut d’ailleurs aucunement condamné.

On comprend que Jean Anouilh ne l’ait jamais oublié ni pardonné. C’est aussi pour cela, qu’à propos de la période de l’épuration, qu’il exècre particulièrement, et bien qu’apolitique, ou ne se mêlant jamais de politique, Anca Visdei écrit :

« Les hommes se comportaient comme des bêtes, des hommes qui venaient de gagner un combat sur la barbarie devenaient barbares à leur tour. On ne construit rien sur le sang. Cette blessure a dû marquer Anouilh à jamais. Son antipathie pour de Gaulle vient de là. »

Un homme modeste et authentique

Anca Visdei évoque ainsi les différentes phases ou périodes de la vie et de l’œuvre de Jean Anouilh (passionnant lorsqu’on l’a lue en entier), l’évolution de ses thèmes de prédilection (plus diversifiés qu’il y paraît ou qu’on a pu lui reprocher).

Jean Anouilh refusait les honneurs et ne sollicitait pas d’élection à l’Académie française. Il ne voulait pas davantage être joué par des vedettes, préférant donner leur chance à de nombreuses personnes qui devinrent, par la suite, des vedettes. Les plus grands ont, ainsi, joué pour lui.

C’est aussi le Jean Anouilh fidèle en amitié, par-delà la mort.

« Anouilh s’est battu souvent, avec courage et un total désintéressement, pour faire connaître l’œuvre d’autres auteurs. Rare générosité dans un monde d’egos surdimensionnés comme l’est, fatalement, celui des auteurs dramatiques. Mais Anouilh aimait le théâtre de façon absolue et altruiste, il souhaitait qu’il se porte bien, que le public soit heureux. Il avait un sens éthique, une déontologie qui lui interdisaient de faire des différences entre son œuvre et celle des autres. »

Un homme libre

Dans la quatrième partie, avant de clore l’ouvrage par une cinquième partie consacrée à « quelques qualités méconnues et raisons supplémentaires d’aimer Anouilh », occasion de montrer à quel point l’homme était remarquable et attachant, Anca Visdei choisit de revenir sur « quelques préjugés tenaces au sujet de Jean Anouilh ».

De l’homme ayant dépassé la quarantaine, voici ce qu’en dit Anca Visdei : « Qui est notre Anouilh de la période tardive ? Un homme libre. Libre mais pas seul. » C’est ainsi que l’homme, aux tendances présumées anarchisantes (ou, qui sait, peut-être en partie libérales, mais évitons de lui faire l’injure de chercher à le classer, préférant le qualifier d’homme libre, tout simplement) se comportait bien totalement comme tel :

« (…) il refusera d’être joué dans tout théâtre qui reçoit des subventions d’un État qu’il déteste (…) Quelle était la crainte d’Anouilh ? Qu’une nouvelle race de gens de théâtre apparaisse : une race qui vit du théâtre et non pour le théâtre ».

Un homme véritablement libre, « tout entier dans son Antigone et le refus, pas seulement de plier, mais d’appartenir ».

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  • Cher ami,
    merci de vote critique élogieuse qui me touche par sa sensibilité et sa justesse. Aussi par son style, et cette passion je l’avais en commun avec Anouilh. Vous êtes très aimable d’attirer l’attention sur mon ouvrage. Je peux ajouter qu’entre temps, le livre des Cygnes étant épuisé, Bernard de Fallois a édité dans sa maison une édition agrandie, refondue et illustrée intitulée Anouilh Une biographie, que j’ai signé avec plaisir. En plein dans les corrections de ma nouvelle bio’ , Orson Welles à paraître fin mai, je vous remercie ce cet article précis, bien écrit qui attire l’attention sur un écrivain et un home qui gagnent à être connus. Merci et à très vite
    Anca Visdei

    • Chère auteur de l’ouvrage que j’ai eu l’honneur de présenter ici,

      Quel plaisir de recueillir vos impressions, après que j’aie jugé bon de vous informer de la parution de ce modeste article. Et merci pour l’indulgence dont vous faites preuve à mon égard, pour cette présentation très partielle et forcément incomplète.

      C’est à juste titre que vous renvoyez les lecteurs intéressés à l’édition enrichie qui, certainement, doit être encore plus passionnante.

      Au plaisir de vous lire de nouveau un de ces jours, sur d’autres de vos créations. Et bon succès à votre biographie d’Orson Welles !

      Bien amicalement.
      Johan Rivalland

  • Merci pour cette référence: j’avoue que son « Antigone »ma marqué, 1 an avant mai 1968 dont les slogans les plus poétiques comme « sous les pavés, la plage » ainsi que l’ambiance juvénile répétait haut et fort cette réplique d’Antigone dans la pièce: « je veux tout, et tout de suite! ».

    La suite nous a bien montré que les gens, « en place », écarteraient d’abord le « tout de suite » (Patience!) pour finir par réduire le « tout » à une peau de chagrin ou quelques concessions formelles, faisant passer la population du « ferme ta gueule » gaullien, au « cause toujours, encore actuel, évidemment, depuis, avec des exceptions: tout ce qui pourrait montrer une discrimination, même subjective ou, parfois même, « objective » mais sur le silence duquel est de rigueur, sous peine de sanction.
    Dormez, Bonnes Gens, Tout es calme!

  • Avatar
    Nafy-Nathalie Diop
    25 avril 2015 at 14 h 02 min

    Son Antigone … héroïne magnifique qui défend sa liberté et les droits fondamentaux de l’homme contre les choix de l’Etat, très actuelle !
    Je lirai le livre que vous conseillez.
    Merci.

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