Renseignement : la saisine du Conseil constitutionnel par le Président de la République

Pourquoi François Hollande saisit-il le Conseil constitutionnel pour examen du projet de loi sur le renseignement ?

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Renseignement : la saisine du Conseil constitutionnel par le Président de la République

Publié le 23 avril 2015
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Par Roseline Letteron.

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conseil constitutionnel credits osbornb (CC BY 2.0)

 

Dans son entretien à Supplément Dimanche, l’émission de Canal +, dimanche 19 avril 2015, François Hollande annonce qu’il saisira le Conseil constitutionnel du projet de loi sur le renseignement. Il a ainsi expliqué que « le Conseil constitutionnel pourra regarder lui aussi, en fonction du droit, si ce texte est bien conforme, ou certaines de ses dispositions sont bien conformes, à la Constitution ».

Aux termes de l’article 61 de la Constitution, « les lois peuvent être déférées au Conseil constitutionnel, avant leur promulgation, par le Président de la République, le Premier ministre, le Président de l’Assemblée nationale, le Président du Sénat ou soixante députés ou soixante sénateurs ». Le Président de la République est donc au nombre des autorités qui peuvent saisir le Conseil, et il ne fait donc qu’user de ses prérogatives constitutionnelles.

La logique de l’Article 5

Cette saisine trouve sa justification essentielle dans l’article 5 de la Constitution qui affirme que « le Président de la République veille au respect de la Constitution ». Avant de prendre le décret de promulgation, il peut donc s’assurer de la conformité de la loi à la Constitution. La saisine du Conseil est ainsi un moyen d’exercer son rôle d’arbitre, rôle prévu par ce même article 5 qui précise que le Président assure « le fonctionnement régulier des institutions ».

Surtout, elle lui offre l’opportunité d’afficher une distinction claire entre le pouvoir gouvernemental et le pouvoir présidentiel. Au Premier ministre le soin de préparer des projets de loi et de les défendre lors d’un débat parlementaire, politique et médiatique. Au Président de la République, la possibilité de s’élever au-dessus de ce débat pour mettre en œuvre le contrôle de constitutionnalité.

Par cette distinction entre les fonctions, François Hollande prend le contrepied de son prédécesseur. On se souvient que Nicolas Sarkozy considérait son Premier ministre, François Fillon, comme « le premier de ses collaborateurs ». Il n’hésitait pas à se substituer à lui et à n’importe quel membre du gouvernement pour annoncer lui-même les projets de loi, et croiser le fer avec l’opposition pour les défendre face à l’opinion. Il a même fait voter, dans la révision de 2008, une réforme qui permet au Président de la République de « prendre la parole devant le Parlement réuni en Congrès ». Même si son discours n’est suivi d’aucun vote, la démarche même vise à placer le Président au cœur de l’arène politique.

La posture d’arbitre choisie par François Hollande marque une rupture par rapport aux prises de position de Nicolas Sarkozy. Elle n’a pourtant rien d’exceptionnel si l’on considère l’ensemble de la Ve République. Au contraire, cette fonction d’arbitre attribuée au Président renoue avec les origines mêmes de la Ve République. En revanche, la procédure choisie, c’est-à-dire la saisine du Conseil constitutionnel est étrangement inédite. C’est la première fois en effet qu’un Président de la République annonce sa volonté de saisir le Conseil sur le fondement de l’article 61.

Les saisines de l’Article 54

Certes, il est arrivé que le Président saisisse le Conseil constitutionnel, mais uniquement sur le fondement de l’article 54. L’objet de la saisine est alors de s’assurer de la conformité à la Constitution d’un engagement international avant l’autorisation de ratification ou d’approbation. Son fondement se trouve encore dans l’article 5 de la Constitution, mais cette fois dans ses deux alinéas car il fait du Président de la République à la fois le gardien de la Constitution et le garant « du respect des traités ». L’article 52 précise d’ailleurs qu’il « négocie et ratifie les traités ». Si le Conseil déclare que le traité n’est pas conforme à la Constitution, les autorités françaises ont alors le choix entre deux attitudes : elles peuvent ne pas ratifier le traité jugé inconstitutionnel, ou réviser la Constitution afin de permettre la ratification.

Depuis 1958, le Conseil constitutionnel a été saisi treize fois sur le fondement de l’article 54, dont huit fois par le Président de la République. C’est Valéry Giscard d’Estaing qui inaugura cette pratique en 1976 avec une saisine portant sur l’élection du parlement européen au suffrage universel. Dans sa lettre de saisine, d’ailleurs très courte, il déclarait : « Avant de demander au Parlement l’autorisation d’approuver la décision du Conseil des Communautés Européennes, je veux m’assurer de sa compatibilité avec notre Constitution, au respect de laquelle j’ai mission de veiller ». Le propos n’est pas éloigné de celui de François Hollande. Comme lui, Valéry Giscard d’Estaing veut s’élever au-dessus du débat dans le but affirmé de faire prévaloir l’État de droit. Dans sa décision du 30 décembre 1976, le Conseil affirma que le texte déféré ne comportait aucun élément contraire à la Constitution.

Sur le fondement de l’article 54, il est arrivé que la saisine soit signée conjointement du Président de la République et du Premier ministre. La décision du 22 janvier 1999 portant sur le traité de Rome, portant statut de la Cour pénale internationale est issue d’une saisine conjointe, concluant d’ailleurs à la nécessité de réviser la Constitution.

La saisine présidentielle sur le fondement de l’article 54 n’est donc pas exceptionnelle. François Hollande ne l’ignore pas, puisqu’il a lui-même déjà saisi le Conseil sur ce fondement, à propos de la conformité à la Constitution du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union européenne. Dans sa décision du 9 août 2012, le Conseil déclare que cet engagement international est conforme à la Constitution, une bonne nouvelle pour le Président de la République qui ne dispose pas d’une majorité suffisante pour mener à son terme une révision constitutionnelle.

La saisine présidentielle sur le fondement de l’article 61 est, quant à elle, la première du genre. On pourrait d’ailleurs s’étonner que les Présidents de cohabitation n’aient pas songé à l’utiliser pour s’opposer aux projets de loi du Premier ministre. Si ce n’est que la procédure était alors très risquée. Si le Conseil déclarait la loi conforme à la Constitution, il infligeait une défaite politique au Président de la République, et cette perspective avait quelque chose de dissuasif.

Dans le cas présent, François Hollande ne risque rien. Si le Conseil déclare la loi conforme à la Constitution, le Président de la République demeurera celui qui, soucieux du respect des libertés, aura pris l’utile précaution de la saisine. Si le Conseil invalide certaines dispositions du texte, le Président de la République sera celui qui a su imposer, même à son propre camp, le respect de la norme suprême.

Le contenu de la saisine présidentielle

Dans le texte de sa saisine, il ne fait guère de doute que François Hollande se limitera probablement à demander au Conseil de se prononcer sur la conformité de la loi sur le renseignement à la Constitution, sans avancer de moyens juridiques.

Il n’y est pas tenu, dès lors que le Conseil constitutionnel n’est pas lié par les moyens développés par les auteurs de la saisine, auteurs qui ne sont pas des « parties » au sens judiciaire du terme. Dans sa décision du 2 février 1995, le Conseil a ainsi été saisi par soixante sénateurs d’une loi relative à l’organisation des juridictions, saisine ne mentionnant aucun grief particulier. Il a néanmoins mentionné qu’il lui appartient, dans cette situation, de « relever toute disposition de la loi déférée qui méconnaîtrait des principes de valeur constitutionnelle », formule d’un « considérant-balai » que le Conseil emploie très régulièrement. Autrement dit, le Conseil contrôle toutes les dispositions de la loi déférée, y compris celles qui ne sont pas mentionnées dans la saisine.

Dans sa décision du 16 mars 2006, il a ainsi déclaré non conforme au principe d’égalité devant la loi des dispositions qui imposaient le respect de proportions déterminées d’hommes et de femmes dans certains conseils d’administration du secteur public. Or, le moyen n’avait pas été soulevé par les auteurs de la saisine, peu désireux d’être dénoncés comme d’affreux phallocrates. Les moyens développés dans la saisine apparaissent ainsi comme une sorte de vivier juridique, dans lequel le Conseil peut puiser, ou pas. Il est évident que le Président de la République, comme d’ailleurs les autres autorités de saisine, peuvent parfaitement s’abstenir de développer des moyens et laisser le Conseil exercer son contrôle librement.

Une saisine, ou des saisines ?

La saisine annoncée par François Hollande doit actuellement susciter beaucoup de réflexions. Celles du Premier ministre tout d’abord. Il lui est politiquement impossible d’envisager une saisine conjointe, comme dans la saisine de l’article 54. En effet, les Premiers ministres qui l’ont pratiquée n’avaient pas participé à la négociation de traités qui s’était déroulée avant qu’ils soient en fonctions. Dans le cas présent, Manuel Valls ne peut pas décemment saisir le Conseil d’une loi qu’il défend bec et ongles devant l’Assemblée depuis des semaines. Il est donc contraint de laisser au Président l’initiative dans ce domaine. La situation est différente pour les parlementaires d’opposition qui vont probablement se hâter de chercher les soixante signatures indispensables à la saisine. Il n’est pas question en effet de laisser le Président de la République apparaître comme l’unique protecteur de l’État de droit. Alors que certains redoutaient l’absence de saisine du Conseil, l’initiative du Président de la République conduit au contraire à accroître le nombre de ces saisines.

Reste évidemment à s’interroger sur les éléments de droit permettant d’envisager, ou non, la censure de la loi sur le renseignement par le Conseil constitutionnel. Mais c’est l’objet d’une autre histoire…


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  • Déjà beaucoup d’articles sur Contrepoint, dénonçant un risque sur les libertés surtout dans le futur au cas où des dirigeants totalitaristes chercheraient à museler nos concitoyens. J’espère que le conseil constitutionnel peut nous en protéger. Tout est une question de droit et d’équilibre entre notre sécurité et notre liberté. Espérons que les textes de notre constitution, sur lesquels va s’appuyer la décision, prévoient bien cette situation.

    • Equilibre ? Non : la liberté et la sécurité doivent être les deux au maximum.

    • +1 théo
      les liberticides répètent tout le temps que sans sécurité on n’est pas libre , et ils ont raison.
      Mais de même, l’idée qu’il peut y avoir sécurité sans liberté est absurde. Toute suppression de liberté est une suppression de sécurité.

  • bonjour ,quoi qu’il en soit le Conseil Constitutionnel ne protège ,ni ne garanti la moindre parcelle d’impartialité encore moins de crédibilité ,ce eu égard à sa composition et au système de nomination de ses membres .

    • Bonjour, évidemment une juridiction constitutionnelle, de par le pouvoir extrêmement grand qui lui est accordée (s’opposer à l’expression de la souveraineté nationale en censurant une loi), est toujours suspecte d’impartialité.

      Seulement, rappellons ceci: les membres du CC sont désignés par le Président et le Président des deux assemblées, à raison de 3 membres chacun. Déjà, un pluralisme dans les nominations est à relever.

      Ensuite, les nominations sont désormais empreintes d’une sage modération: les membres du CC sont désignés de façon équilibrée selon leur allégeance politique affichée. Ou bien ils sont apolitisés, choisis plutôt en tant qu’experts du droit (par exemple, Guy Canivet actuellement) désengagés politiquement.

      Enfin, le CC ne s’arroge pas, ici encore par sagesse et modération, des pouvoirs aussi grands que ne le font d’autres cours constitutionnelles dans le monde. Ainsi, la Cour Suprême fédérale aux États-Unis (dont les 9 membres sont nommés à vie par le Président, et où la composition est très certainement politisée…) renonce très rarement à faire des choix décisifs, en termes de contrôle de constitutionnalité, en frappant (ou pas) d’inconstitutionnalité des lois extrêmement importantes du Congrès.
      Par contraste, le Conseil Constiutionnel français va, sans répondre « constitutionnel-ou-pas », déférer la responsabilité au Parlement (ce qu’il fera, par exemple, lorsqu’il fut interrogé sur la constitutionnalité de l’interdiction du mariage homosexuel, problématique par rapport à l’égalité devant la loi garantie par la DDHC de 1789).

      Alors certes, une juridiction constitutionnelle posera toujours un peu problème, c’est inhérent à sa fonction brûlante par rapport aux enjeux politiques. Mais que préfère-t-on: une Déclaration des Droits et un texte Constitutionnel effectivement respectés, quitte à s’en remettre parfois à une allégeance politique de coeur de ses membres; ou bien un régime où les pouvoirs législatifs et exécutifs peuvent librement outrepasser les textes constitutionnels sensés limiter leurs attributions, sans craindre la moindre sanction (sinon l’ire populaire, à laquelle les gouvernants sont sourds jusqu’au moment critique) ?

    • On n’a pas besoin d’impartialité du CC. on a juste besoin qu’il utilise son pouvoir au profit des citoyens.
      Il peut ne pas le faire, ça s’est déjà vu. Mais il y a une chance qu’il le fasse, ça s’est déjà vu aussi.

  • Ah ! S’il saisissait le Conseil Constitutionnel au sujet de l’impôt et des taxes !
    ART. 2. — Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression.
    ART. 6. — La loi est l’expression de la volonté générale.
    ART. 13. — Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable; elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés.
    ART. 14. — Les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée.
    ART. 16. — Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution.
    ART. 17. — La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité.

    « La loi est votée par le Parlement. La loi fixe les règles concernant… l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toute nature. » (Art. 34 de la Constitution de 1958)
    ART. 5. — « Nul ne peut être contraint à faire ce que la loi n’ordonne pas. » (Art 5 des ddl)

  • Je ne vois que posture de communicant dans cette saisine du PR.

    J’espère néanmoins que le CC saisira, lui, l’occasion de retoquer sévèrement cette loi gravement liberticide.

    Si Valls manque d’inspiration pour essayer de se grandir jusqu’à pouvoir endosser le costume présidentiel, je lui suggère de se pencher sur le chômage ou l’endettement public de la France. Cela le changera des rapports de la DGSI et autres petites fiches de son cabinet sur ses possibles rivaux politiques de 2017…

    Quant à nous, électeurs, on se chargera de la majorité en place au printemps 2017.

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