Les inégalités de revenus dans l’OCDE

Quelles sont les causes de la hausse des inégalités ?

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Les inégalités de revenus dans l’OCDE

Publié le 21 mars 2015
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Par Hadrien Gournay.

L’OCDE a publié en 2012 un ouvrage intitulé Toujours plus d’inégalités : pourquoi les écarts de revenus se creusent. Un PDF d’une trentaine de pages sur lequel s’appuie cet article en résume également les conclusions. L’organisation dresse le constat d’une hausse globale des inégalités dans les populations d’âge actif des pays membres.

Celle-ci est rendue visible par les deux tableaux suivants.

Le premier, repris de Wikipedia mais dont la source est bien l’Ocde retrace l’évolution de la part des 1 % les plus riches dans le revenu total entre 1981 et 2012.

centile supérieur ocde

Le second qui figure dans les documents de l’OCDE, résume l’évolution annuelle moyenne des riches, des pauvres et du revenu moyen entre le milieu des années 1980 et la fin des années 2000 :

Evolution revenus par tranche dans l'OCDE

Le document de l’OCDE que cet article résume comporte trois parties : le constat de la hausse des inégalités, l’étude des principaux facteurs contributifs, les politiques publiques à mener.

Inégalités - René Le Honzec - Contrepoints324Ma contribution sera composée de deux parties principales :

  • Un résumé du rapport relatif aux facteurs contributifs de la hausse des inégalités,
  • Un commentaire du rapport et des politiques à mener.

Principaux facteurs contribuant à la hausse des inégalités de revenus disponibles des ménages

Pour déterminer les causes de l’inégalité croissante des revenus disponibles des ménages, nous détaillerons au préalable les facteurs contribuant aux inégalités de deux types de revenus : inégalités de revenus du travail salarié puis inégalités de revenus marchands des ménages.

En effet, les facteurs contribuant aux types d’inégalités de revenus examinées en premier lieu contribuent aux inégalités de revenus examinées ensuite alors que l’inverse n’est pas vrai. Par exemple, les inégalités de revenus du travail contribuent à l’inégalité des revenus marchands des ménages alors que les autres facteurs d’inégalités de revenus marchands du travail ne jouent pas de rôle dans les inégalités de revenus du travail.

Dans chaque cas, il y a lieu de distinguer, ce que j’essaierai de faire autant que possible, la contribution d’un facteur aux inégalités d’une part et à leur évolution d’autre part.

A – Inégalités de revenus du travail (75% des revenus des ménages d’âge actif)

Il est possible d’adopter deux grandes classifications des inégalités des revenus du travail en distinguant inégalités de rémunération horaires et inégalités du temps de travail ou en analysant les évolutions économiques ayant favorisé celle des inégalités (mondialisation, progrès technologique, réforme de la réglementation).

  • Inégalités de salaire horaire, inégalités du temps de travail

Les inégalités de salaires horaires représentent, selon les pays, entre 55 et 63 % de la dispersion des salaires.

En revanche, le développement des inégalités de temps de travail représente plutôt la moitié de l’évolution des inégalités salariales. Cela peut s’expliquer par deux raisons principales. D’une part, le temps partiel a globalement augmenté dans les pays étudiés, passant de 11 à 16 % de l’emploi total entre le début des années 90 et la fin des années 2000 et à moins d’aller systématiquement à l’inverse des inégalités horaires, il ne peut qu’augmenter les inégalités globales. D’autre part, le développement du temps partiel a davantage touché les salariés moins rémunérés.

  • Mondialisation et progrès technologique

La mondialisation (intégration commerciale doublant en trente ans, investissement direct étranger passant de 5 à 50 % du PIB, intégration financière) et le progrès technologique sont deux phénomènes dont il est difficile de pénétrer les nombreuses interactions et qu’il vaut mieux présenter ensemble.

L’intégration commerciale n’a eu quasiment aucun impact sur la dispersion des salaires même si les importations en provenance des pays émergents ont pesé à la baisse sur les bas salaires. L’intégration financière a eu un impact neutre. Le progrès technologique et l’investissement direct étranger ont favorisé la dispersion salariale et les inégalités dans la moitié supérieure de la distribution.

Les travailleurs les mieux qualifiés ont tiré un meilleur parti de ces évolutions. Aussi, améliorer globalement les qualifications des travailleurs fait reculer les inégalités.

  • Réformes de la réglementation

Les déréglementations sur le marché du travail et des produits, qui ont fait entrer  des travailleurs peu qualifiés sur le marché du travail et ont permis aux travailleurs qualifiés de bénéficier du dynamisme accru de l’économie, ont accentué les inégalités salariales. En revanche, les effets de ces réformes sont neutres concernant les inégalités globales de revenus.

B – Inégalités des revenus marchands

L’évolution à la hausse des inégalités des revenus du travail examinées plus haut ont fortement  contribué à l’augmentation des inégalités des revenus des ménages. Ainsi les disparités des revenus des hommes, constitués en majorité de revenus du travail expliquent 42 % de l’évolution. Toutefois, les revenus du travail ne sont pas le seul critère. D’autres sources de revenus (capital, travail indépendant) et les évolutions démographiques entrent également en compte.

  • Évolutions dans la structure des ménages :

Deux phénomènes touchant la structure des ménages ont contribué au creusement des inégalités de leurs revenus : la multiplication des ménages célibataires (passant de 15 % à la fin des années 80 à 20 % aujourd’hui) et le renforcement de l’homogamie (40 % de couples biactifs dont les membres appartiennent au même décile de revenus contre 33 % il y a vingt ans). Ces deux facteurs ont contribué chacun à 11 % de l’évolution des inégalités des revenus des ménages dans l’OCDE entre le milieu des années 1980 et le milieu des années 2000.

En revanche, l’accès des femmes à l’emploi a diminué de 19 % l’inégalité des revenus des ménages même si les épouses des hommes aux salaires les plus élevés sont celles dont le taux d’emploi a le plus progressé.

  • Revenu du capital et travail indépendant :

En progressant les revenus du travail indépendant et les revenus du capital contribuent aux inégalités globales de revenus car ceux dont ils assurent une part prépondérante des revenus ont des revenus plus élevés que la moyenne des ménages.  De plus, les revenus du travail indépendant connaissent une plus grande dispersion que les revenus du travail salarié.

La part des revenus du capital dans les revenus des ménages a légèrement progressé mais est restée proche de 7 % des revenus des ménages. Selon les pays, les revenus du travail indépendant représentent entre 3 et 13 % des revenus du travail. L’évolution des revenus du travail indépendant n’a pas contribué significativement à l’évolution des inégalités, les inégalités dues au travail indépendant représentant sur l’ensemble de la période un peu moins de 15 % des inégalités globales du travail.

C – Inégalités des revenus disponibles des ménages

Les inégalités de revenus disponibles sont réduites par rapport aux revenus marchands grâce aux prélèvements obligatoires, lorsqu’ils sont progressifs, et grâce à la dépense publique lorsqu’elle consiste en des versements en espèces. C’est ainsi qu’un impôt progressif finançant un service public «en nature » et un impôt proportionnel finançant des prestations en espèces à caractère social diminueraient tous deux les inégalités de revenus. Ajoutons que si les prestations en nature offertes par les services publics étaient mesurées en équivalent d’un revenu en espèces, des taux d’imposition même proportionnels contribueraient à réduire les inégalités de revenus.

Il est possible de tirer les conclusions suivantes. La redistribution étatique a globalement progressé dans les pays étudiés mais n’a pu compenser la hausse de l’inégalité des revenus marchands. L’impôt sur le revenu et l’augmentation des cotisations sociales proportionnelles voire forfaitaires ont limité faiblement dans le premier cas, presque pas du tout dans le second, la hausse globale des inégalités. Les prestations sociales ont eu le plus d’impact dans la réduction des inégalités.

Commentaires politiques

L’OCDE s’appuie sur deux arguments pour recommander de réduire les inégalités et propose trois instruments principaux à cette fin.

Les deux principales motivations mises en avant sont les conséquences psychologiques des inégalités de revenus (rejet des élites et des politiques menés, xénophobie, extrémisme) et le fait que les inégalités sont associées à une moindre mobilité sociale.

La pertinence des deux arguments me semble douteuse.

Le premier point marque peut-être une erreur de diagnostic. Les gens sont peut-être plus sensibles au niveau relatif de leurs propres revenus dans le temps (à leur évolution) qu’à leur niveau relatif interpersonnels. Lorsque les revenus réels ne progressent plus ou régressent, les gens chercheront immanquablement des boucs émissaires (les étrangers ou les riches), lorsqu’ils progressent, les inégalités seront acceptées. La manière dont les gens perçoivent les inégalités dans différents pays soutient cette analyse. Ainsi, selon cette étude de l’OFCE (observatoire français des conjonctures économiques), lorsque l’on demande aux gens de se représenter la forme de la répartition des revenus de leur pays en fonction de cinq propositions A, B, C, D, E (classé par égalité croissante) et alors que la forme correspondant le mieux aux sociétés réelles serait « C », 49,6% des Américains et 63,7% des Français choisissent A et B. . Par conséquent, les français, qui vivent dans un pays où la croissance et les inégalités sont faibles majorent davantage les inégalités par rapport à ce qu’elles sont réellement que ne le font les américains, qui vivent dans un pays où croissance et inégalités sont fortes. Autrement dit, quand la croissance est présente les inégalités sont mieux tolérées. L’autre constat lié à cette étude est que les gens ont tendance à majorer les inégalités.

Une autre étude commandée par la fondation Jean Jaurès partage ce constat :

« Seuls les habitants de l’Australie, des États-Unis et des Pays-Bas considèrent en majorité que la société dans laquelle ils vivent est juste. Les Français, en revanche, arrivent en bas de classement : près des trois quarts d’entre eux estiment vivre dans une société injuste, un score équivalent à celui de la Chine. Une césure apparaît par ailleurs entre, d’une part, une Europe percevant majoritairement un accroissement des inégalités et d’autre part les pays anglo-saxons ainsi que ceux ayant connu une forte croissance économique, lesquels expriment des perceptions plus partagées. »

Quant à la corrélation entre mobilité et inégalités ne relève-t-elle pas d’une confusion possible entre corrélation et causalité ? Il est possible qu’un troisième facteur, que j’appellerai «état social » favorise à la fois une faible mobilité sociale et de fortes inégalités. Cela peut-être par exemple l’effet de fortes discriminations interraciales ou de disparités de capacités intellectuelles plus grandes dans un pays que dans un autre. Les pays à la fois plus mobiles et moins inégalitaires sont souvent plus petits ce qui favorise en soi l’homogénéité.

Il existe au contraire un argument allant à l’encontre de l’objectif d’une réduction des inégalités qui relève d’une analyse de leur origine. Or, celles que l’OCDE a répertoriées peuvent être regroupées en deux catégories : celles qui ne relèvent d’aucun choix économique (les causes démographiques) et de politiques publiques et celles qui en relèvent au contraire. Si l’on examine la deuxième catégorie, on s’aperçoit que presque tous les mécanismes d’augmentation des inégalités sont également favorables au développement économique du point de vue même de l’Ocde. Citons pêle-mêle la mondialisation, l’ouverture des frontières, le progrès technique (qui le nierait ?), les déréglementations favorisant source de concurrence et d’accès à l’emploi, la diminution des taxations excessives des hauts revenus augmentant la base fiscale.

Il serait dès lors bien difficile de concevoir un remède qui supprime la maladie (l’augmentation des inégalités), sans toucher aux causes (les évolutions énoncées plus haut).

La trithérapie conçue par l’OCDE repose sur les politiques de redistribution classique (discutable), un meilleur accès à l’emploi (de meilleur aloi), le développement des qualifications (à examiner).

D’autres critiques peuvent être formulées à l’encontre de ces analyses.

Par exemple, le constat de l’augmentation des inégalités n’est vrai que si l’on compare des agrégats tels que les 10 % les plus riches ou pauvres de deux années différentes. En revanche, lorsque la comparaison porte sur les revenus des mêmes personnes les écarts ont tendance à se réduire. Cela est lié au fait que ce ne sont pas les mêmes personnes qui figurent dans les quintiles ou déciles les plus pauvres ou riches d’une année sur l’autre. Le phénomène a été constaté pour des durées de 10 à 15 ans, notamment aux États-Unis par plusieurs études, ou à l’échelle de plusieurs générations. Ce phénomène de rapprochement des revenus individuels a également une conséquence importante sur les comparaisons entre « agrégats ». Les écarts de revenus entre riches et pauvres seraient singulièrement diminués si la comparaison avait lieu sur une durée plus longue que la durée classique d’une année traditionnellement retenue pour ce type d’étude mais parfaitement arbitraire. En revanche, cela ne changerait pas cette fois le sens de l’évolution.

Enfin, le rapport s’intéresse aux inégalités de revenus en elles-mêmes et ne s’interroge pas réellement sur la meilleure manière de faire progresser les revenus des catégories populaires, même si l’efficacité économique est tout de même présente en filigrane. Il est vrai que l’écueil inévitable de ce type d’études est de formuler des recommandations concrètes tout en respectant les choix politiques et les traditions philosophiques différentes des pays membres. À l’impossible nul n’est tenu. Est-il possible de regretter qu’une valeur fondamentale comme la liberté ne soit même pas mentionnée et qu’une étude sur le sujet ne soit même pas concevable ?

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