Parcours d’un patient : de l’addiction à l’âge d’homme

La psychothérapie ne sert pas seulement à soulager, mais parfois aussi à accompagner toute une vie vers l’âge adulte…

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Drogues Credit Eric Constantineau (Creative Commons)

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Parcours d’un patient : de l’addiction à l’âge d’homme

Publié le 21 février 2015
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Par Philippe P.

Drogues Credit  Eric Constantineau (Creative Commons)
Drogues Credit Eric Constantineau (Creative Commons)

Aujourd’hui, c’était les quarante ans d’un ancien patient à moi avec qui j’ai conservé des liens. Polytoxicomane ayant sans doute dealé aussi, ce patient m’avait été envoyé par son médecin qui m’avait expliqué que j’étais le psy de la dernière chance. Ce patient n’avait que vingt-quatre ans à l’époque et une longue pratique de la dope.

Il m’avait appelé sur ma ligne fixe et on avait pu discuter près d’une demie-heure. Compte-tenu de son expérience, il détestait ma corporation en qui il voyait une bande de branleurs incapables doublés d’escrocs. D’ailleurs, son médecin me l’avait précisé, il avait menacé physiquement son dernier psy, un psychanalyste chez qui on l’avait adressé et qu’il n’appréciait pas.

Au téléphone, tout s’était bien passé. Le ton du discours était certes un peu véhément mais courtois. Le vocabulaire était riche, la syntaxe parfaite et ma foi, je ne pouvais pas m’inscrire en faux contre ce qu’il disait de ma profession. Moi aussi j’ai déjà eu envie de frapper des psychanalystes. Pas tous bien sûr, mais les plus orthodoxes, ceux qui ne comprennent pas que face à quelqu’un en souffrance, le moment n’est pas venu de parler de maman, de son œdipe et de faire hum hum mais qu’il faut agir.

On avait donc pris rendez vous suite à cette prise de contact téléphonique et j’avais immédiatement appelé le médecin pour lui dire que le contact était bien passé et qu’à mon avis, ça marcherait bien. Comme à son habitude, le médecin m’avait dit : « oui je sais, avec toi, rien n’est jamais grave, je commence à te connaitre ». Ben oui, face à un type intelligent et donc accessible à la raison, tout est question d’alliance thérapeutique et il n’y avait aucune raison que cela se passe mal.

Bien sûr, si dès le départ, parce que c’est un toxico, vous jouez le kéké donneur de leçon, selon le profil psychologique du toxico, soit vous vous faites éclater le museau, soit il se barre pour ne plus revenir. Je crois que ma chance, c’est de fumer du tabac, un truc addictif qui ne sert à rien mais que j’aime beaucoup. Alors, je crois que je comprends un peu les toxicos. Eux et moi, nous sommes un peu cousins. Du moins, je ne les regarde pas d’un drôle d’œil comme si ce qu’ils font était la chose la plus folle qui soit.

Et puis, je suis un mec super prosaïque, je me défie toujours des grandes théories à la con. Je crois que le plus souvent les choses ne sont pas si compliquées qu’elles en ont l’air. Et plus que tout, je déteste ceux qui justement trouvent que « c’est très complexe », ce qui me semble être la preuve flagrante qu’ils n’ont rien compris. C’était assez simple finalement puisque ce jeune type se droguait pour mettre un filtre entre lui et le réel qu’il ne pouvait pas supporter. Rien de plus.

Tout s’était joué sur le premier rendez-vous. Je m’en souviens encore parfaitement bien, même s’il serait trop long de le raconter ici. Je me souviens qu’il s’était assis en face de moi, que je lui avais proposé un café et qu’il avait été surpris. Après tout, pourquoi ne pas bien accueillir les gens que l’on reçoit ? Je lui avais dit qu’il pouvait fumer et il avait apprécié. Les héroïnomanes sont toujours de gros fumeurs. Il avait apprécié aussi et ces deux attentions avaient suffi à le déstabiliser un peu.

Mais, il était resté fermé. Et quoique le premier contact ait été positif, il avait voulu me tester en se montrant véhément, un peu comme s’il commençait à me boxer pour voir ce que j’avais dans le ventre. Son discours était cousu de fil blanc, c’était un rebelle qui se cognait aux murs de sa prison intérieure et voulait en découdre. Je n’avais répondu à aucun de ses coups, me contentant de les esquiver et de dédramatiser.

Dédramatiser jusqu’à ce qu’il comprenne que je n’étais pas son ennemi mais juste un type qui pouvait éventuellement l’aider à s’en sortir et que ce n’était pas très compliqué finalement. À une époque où l’on prescrivait du subutex ou de la méthadone, se sevrer de l’héroïne n’était pas si difficile que cela. Pas si difficile pourvu que l’on ne néglige pas l’aspect social de la thérapie. Il fallait donc offrir un cadre structuré et structurant à ce jeune type pour lui permettre de passer du statut de toxico avec ses repères, à celui d’adulte avec d’autres repères.

Angoissé par la vision qu’il avait du monde des adultes, rigide et stricte, je lui en avais offert une autre, lui montrant qu’on pouvait assumer ses obligations sans pour autant s’ennuyer dans la vie. En vérité, il était bien plus rigide que moi. D’ailleurs je l’appelais Monsieur l’officier ! Cela ne m’étonnait pas qu’il angoisse à l’idée de grandir compte tenu des exigences qu’il avait vis à vis de lui ! Je lui ai juste montré que la vie était bien plus simple qu’il imaginait et qu’il existait bien d’autres possibilités de bien vivre sans pour autant s’ennuyer.

Finalement le sevrage s’était plutôt bien passé. Ensuite, je m’étais débrouillé pour lui trouver un petit travail. Quelque chose de pas trop compliqué dans un environnement sympathique qui lui permette assez vite d’être content de lui. Le travail structure le temps, apporte de la reconnaissance et de l’argent. Alors il était hors de question qu’il reste à ne rien faire. Ça avait bien marché durant une année au terme de laquelle, il avait fallu trouver autre chose. J’avais alors considéré qu’il était prêt à se confronter à quelque chose de mieux et l’avais alors présenté à mon camarade Toju qui l’avait trouvé très bien et l’avait aidé à trouver un poste intéressant.

Ensuite, on avait très largement espacé nos rendez-vous et il ne venait me voir qu’en cas de « petites crises passagères », ces moments où l’on trouve que tout est dur et que l’on a envie de tout envoyer balader. Je me contentais alors de l’aider à franchir cette nouvelle épreuve en lui permettant du recul, rien d’autre. Et puis vint un jour où il ne fut qu’un ex-patient. Comme nous nous entendions bien, il passait de temps à autre, au gré de son emploi du temps, prendre un café et papoter de tout et de rien.

Quelques années après, il me racontait encore des choses en me disant : « tu te souviens de l’époque où j’étais toxico ». Cela l’amusait parce que finalement, il n’avait pas trouvé cela si difficile de passer de ce statut de toxico à celui d’adulte assumant ses responsabilités. Du moins bien moins dur qu’il ne l’imaginait à l’époque de ses vingt-quatre ans quand il jugeait que ce monde hostile ne saurait accueillir un être aussi complexe qu’il s’imaginait être.

Plutôt très doué, il a vite progressé dans son travail, accédant à un poste de direction moins de dix ans après avoir débuté. Il a collaboré avec mon épouse avocate. Une fois, je m’étais joint à un de leur déjeuner professionnel et c’est vrai que c’était marrant de voir ce jeune que j’avais reçu vêtu d’un jean et d’un sweat à capuche, sapé comme un milord en costume, consultant la carte des vins avec sérieux. Et puis comme on dit, la vie a fait son œuvre.

Il s’est marié, et j’étais son témoin de mariage car il y tenait, et il a eu une fille. Il a acquis son appartement. Il a même lâché son travail salarié voici un an ou deux pour monter son entreprise. Bref, lui qui vouait aux gémonies la vie de bourgeois, il s’y épanouit avec délectation, voyageant et roulant en Peugeot 308 ! Croyez-moi, moi qui ai connu un monde que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaitre, rouler en Peugeot est le fait du bourgeois conformiste !

Ceci dit, tout n’est pas à jeter dans son passé, loin de là. Car quand vous avez fréquenté les squats, acheté votre dope à la Chapelle ou à Barbès, fréquenté des gens infréquentables et passablement dangereux et triomphé de certaines épreuves avec succès, vous êtes armé pour la négociation. Tout se joue souvent sur l’apparence et sur le regard dans certains milieux. Et j’avoue qu’aujourd’hui, fut-il vêtu avec une rare élégance, son passé de « voyou » lui est utile car ce n’est pas le premier diplômé de sup’ de co qui lui fera baisser les yeux ou l’arnaquera. L’école de la vie est une excellente formation aussi.

Et hier, tandis que je lui souhaitais son anniversaire et que l’on reparlait du temps passé, il m’a dit qu’il venait de passer la meilleure décennie de sa vie. Confortablement installé dans sa vie bourgeoise avec Peugeot, vacances lointaines et écran plat géant, il se contente de vivre sereinement sans grande angoisse.

Je lui ai donc souhaité que la décennie qu’il entame soit aussi féconde et riche que celle qui s’en était allée. Avec pourquoi pas une Peugeot 508, maintenant qu’il est chef d’entreprise ? Mais, ça m’a fait tout drôle quand même d’entendre celui que je prenais pour un gamin un peu rebelle parler comme un homme et constater qu’il m’avait rejoint dans le clan des quadras.

Comme le temps passe !

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  • Quelle belle histoire de vie!
    L’addiction physio se soigne rapidement ( quelques semaines) par contre la dépendance psy, c’est plusieurs années.
    Un Peugeot 508???! Oh non, j’ai vu une Tesla ce weekend, pas mal du tout!

  • Tres joli article qui a le merite de presenter corectement le toxicomane sans se noyer dans la moraline entourant les drogues et leurs usages, merci pour ce magnifique enseignement liberale: c’est ce genre d’articles qui peut modifier les mentalités et faire briller la phylosophie liberale!
    Merci a contrepoint de nous offrir d’autres aspects du liberalisme et de ne pas le reduire a sa dimension economique.

  • Très belle histoire.

  • « Confortablement installé dans sa vie bourgeoise avec Peugeot, vacances lointaines et écran plat géant »
    Cette phrase me dérange, allez savoir pourquoi !

    Sinon bravo pour cette réussite.

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