Contre-radicalisation et géopolitique – Pierre Conesa pour Thinkerview

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Pierre Conesa (Crédits : Thinkerview, licence Creative Commons)

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Contre-radicalisation et géopolitique – Pierre Conesa pour Thinkerview

Publié le 25 janvier 2015
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En ces temps agités, la mode consiste trop souvent à trouver, aussi rapidement que possible, des réponses rapides et simples aux problèmes complexes contemporains. Comme on peut s’y attendre, ces réponses sont donc souvent mauvaises, inadaptées ou contre-productives. A contrario, prendre quelques minutes pour réfléchir peut s’avérer souvent payant.

C’est ce que propose l’équipe de Thinkerview au travers d’entretiens ciblés auprès d’experts, disponibles sur leur chaîne Youtube. Cette fois-ci, on m’a aimablement proposé l’interview de Pierre Conesa, interrogé à la suite des attentats de début janvier.

Pierre Conesa est un ancien haut fonctionnaire du ministère de la Défense qui s’est spécialisé dans les questions de stratégie internationale, notamment militaire et a dirigé pendant huit ans, au cours des années 2000, un important cabinet d’intelligence économique.

L’interview, d’un peu plus d’une heure, est intégralement disponible ici, et aborde plusieurs sujets dont l’intérêt mérite largement quelques lignes dans ces colonnes. En plus, on est dimanche, on a du temps pour ça, profitons-en !

Après une introduction de son parcours, Conesa revient en détail sur les attentats récents, et notamment sur l’importance qu’a eu l’Occident (et les États-Unis en particulier) de se construire des ennemis en remplacement de l’Union Soviétique, construction qui aura abouti aussi bien à la déstabilisation du Moyen-Orient qu’à la diffusion d’un islamisme radical en passant par la hiérarchisation bien particulière des conflits en fonction de leurs intérêts économiques et médiatiques.

Au sujet de cette hiérarchisation, Conesa liste trois grands types d’acteurs (vers 18’00) qui ont tous leur mot à dire sur l’intérêt ou non d’un conflit. À côté des intellectuels médiatiques, à la frétillance calculée comme celle de BHL par exemple, on peut ajouter les humanitaires, qui expliquent volontiers bien connaître les bourreaux puisqu’ils connaissent leurs victimes, et les diasporas, qui brandissent la carte de leur passé de victimes pour orienter l’opinion publique ou faire du lobbying en leur faveur. Ces acteurs, disposant de l’oreille attentive des politiciens et ne s’embarrassant jamais d’années de réflexion sur les délicates questions de politique étrangère, poussent l’État à intervenir, parfois lourdement et rapidement, souvent en dépit de ses intérêts à long terme.

pierre-conesaConesa revient notamment sur l’ingérence humanitaire (19’12), en prenant l’exemple somalien : l’aide humanitaire se faisant piller par les chefs de guerre locaux, il faut absolument intervenir, et réinstaller un état central, seul capable de remettre le pays en ordre. Moyennant quoi, il aura été choisi (par Kouchner, à l’époque) de faire accompagner les convois humanitaires par des forces armées, rendant leur position d’intervenants neutres sur les territoires de guerre absolument impossible à tenir et transformant ainsi les humanitaires en cibles de choix pour les armées locales.

Au passage (22’40), Conesa en profite pour montrer à quel point la Somalie, la Libye ou l’Afghanistan sont des exemples concrets de lieux où la notion d’État central, comme la chérissent actuellement les occidentaux, n’est pas réellement viable : dans ces contrées où ce sont les structures tribales qui dominent, où tout le monde est armé, la sécurité ne provient pas d’un État central mais de ses proches, et chaque tribu a tout intérêt à ne pas s’embarrasser d’un tel centralisme.

Il peut y avoir des territoires sur la planète sur lesquels il n’y pas d’État central.

Réflexion d’autant plus intéressante qu’elle vient en contrepoint frappant de la tendance actuelle qui est, justement, de tout vouloir centraliser, d’accroître l’emprise de l’État et ce, même où l’on sait déjà que ça ne marche pas…

thinkerview - conesa

Au sujet de la radicalisation de certains musulmans français, Pierre Conesa aborde ensuite quelques évidences toujours bonnes à rappeler (30’35) : au contraire des agitations consternantes de Vallaud-Belkacem, il rappelle que ce n’est certainement pas à grands renforts de cours de civisme et de barbouillage des cours avec un gros pinceau de citoyenneté qu’on aurait pu durablement calmer les frères Kouachi ou Coulibaly. Partant de cette évidence, il note que tous les pays européens, à l’exception de la France, ont actuellement une politique active de contre-radicalisation, qui se traduit concrètement par un discours public clair qui permet de désigner la cible, et par une organisation des renseignements et d’alerte s’appuyant sur les collectivités locales.

Cette organisation locale de contre-radicalisation permet de répondre aux besoins locaux, chose dont la France ne dispose pas du tout actuellement et qui a abouti, devant le désarroi de familles constatant le départ de leurs enfants pour la Syrie, à un abandon en rase campagne des institutions étatiques sur le mode « Je ne suis pas responsable ». Le but, ici, est d’obtenir un État qui fournit des moyens, mais surtout pas d’en faire un acteur, surtout qu’en France, les questions religieuses et de culte sont du ressort de l’Intérieur… c’est-à-dire de la Police et des Renseignements, alors qu’il ne s’agit pas ici d’un problème de délinquance (34’17).

Ce n’est pas un problème de délinquance. (…) On retrouve tous les tropismes français : « C’est à l’État de faire, c’est au réseau public de s’en occuper » ce qui à mon avis est une erreur.

Est ensuite abordé (34’40) le rôle de l’Arabie Saoudite dans le financement des opérations visant au prosélytisme de l’islam, notamment politique, le plus rigoriste. Pierre Conesa en profite pour refaire quelques rappels historiques, en pointant notamment le fait que les différentes organisations de résistance afghanes, dans les années 90, étaient d’autant mieux financées qu’elles étaient radicales, ou que les Saoudiens ont toujours eu comme stratégie de diffuser au maximum leur vision politique de l’islam et le salafisme. Dès lors (38’26), désigner la cible,

C’est désigner ce qu’est le salafisme, c’est-à-dire une idéologie totalitaire comme on en a connu plein au vingtième siècle. Celle-là n’est simplement pas née chez nous mais en Arabie Saoudite. Si on veut défendre l’islam comme religion de paix et de tolérance, il vaut mieux ne pas avoir l’Arabie Saoudite dans son camp.

Parlant ensuite des suites sécuritaires données aux récents attentats, Pierre Conesa revient sur le Patriot Act qui a surtout abouti à une formidable captation d’informations au bénéfice des États-Unis, et ce d’autant plus facilement que ces derniers sont en position de force pour imposer des contraintes à leurs partenaires. Il note aussi la dissymétrie de traitement entre certains terroristes (islamistes ou non) et des personnes comme Julian Assange, dissymétrie essentiellement due à l’importance des ruptures informationnelles que ce dernier apporte et qui servent de justification aux États pour le traquer.

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Enfin, si la question se pose de savoir pourquoi, devant ce traitement à ce point dissymétrique, la France reste malgré tout l’alliée des États-Unis, Pierre Conesa rappelle bien (vers 52’08) les travers de la sociologie des cabinets ministériels, qui, en construisant une cour révérencieuse et opaque, déconnecte complètement les dirigeants des réalités de terrain et réduit dans des proportions énormes la capacité des institutions dont ils ont la charge à prendre en compte et s’adapter aux ruptures.

Pierre Conesa conclut l’interview en rappelant le manque flagrant de culture internationale de nos élites politiques, et la disparition complète de tout ennemi stratégique extérieur, rendant l’opinion publique intérieure totalement souveraine sur les décisions de nos dirigeants.

L’interview n’est pas exempte de quelques défauts, qui, outre sa longueur et le fait d’aborder différents sujets d’une façon un peu décousue, noie quelques points fort intéressants que le spécialiste évoque dans ses réponses.

Mais on peut noter toutefois un avantage décisif du format « internet » : certes, cela fait au final plus d’une heure d’interview, c’est long, mais cela permet à des intervenants qui maîtrisent vraiment leur sujet de répondre en détail à des questions de journalistes qui ne se placent pas dans l’immédiat et la petite phrase. On est à des lieues de la télévision traditionnelle qui, même dans ses émissions de format long, recherche avant tout le sensationnel et dont les journalistes visent absolument sans vergogne à faire passer un message. Au milieu de la période actuelle où l’action et l’agitation ont largement pris la place de la réflexion, les éléments apportés sous ce format et par ces interviewés sont, réellement, nourrissants.

Bon visionnage.

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  • en effet,je m’étais arreter à la 45 ème minutes faute de temps,l’interview est un peu décousue mais offre une vision beaucoup plus large que la télé(que je n’ai plus,donc je ne subit plus la désinformation de masse).
    une mutation importante,certainement plus importante que les « radios libres » il y a 30 ans.
    le ton beaucoup moins péremptoire est également important,des nuances,pas de phrases choc
    le libéralisme c’est essayer d’etre intelligent et sensible,l’étatisme est bete et méchant et bouffi d’arrogance

    • Mouais,
      « le {mon idéologie à moi} c’est essayer d’être intelligent et sensible, le {toute autre idéologie que j’aime pas} est bête et méchant et bouffi d’arrogance. »
      ça marche aussi.

      Remercions toutefois H16 de faire une tentative constructive. Dans mes résolutions de nouvelle année, j’avais décidé de trouver une source d’info optimiste et la lire chaque jour. Elle est « en instance d’exécution imminente » avec la décision de faire un régime, du sport, mes paperasses et ranger la maison 🙁

      • Mais ça ne marche pas les résolutions et puis le  » en instance d’exécution imminente  » pfiouh, trop compliqué, on réduit à un moment :  » exécution ».
        C’est qd même tres long une heure, moi je me serais contenter d’un petit teaser, pleins d’info ne rentrent pas en même temps ds ma ptite caboche. Dc avance rapide et ptit bonds ds le temps Youtube, mais interessant 😉

  • Le rôle de l’état est tout sauf la mise en oeuvre du bisounoursisme. Je suis toujours frappé par l’incohérence des points de vue entre l’utopie nationale et la réalité mondiale. Même les libéraux devraient clairement préciser dans leurs propos ce qui est une logique mondiale et une logique nationale.

    Pour les autres qui partent du principe qu’un gouvernement organise le monde avec des décrets la logique n’existe même pas.

  • Merci déjà pour ce résumé. Je note le titre du livre. Au début de l’interview M. Conesa évoque une phrase biblique prétendument pervertie par Bush (et Mao): « tout ceux qui ne sont pas contre nous sont avec nous ». Source?!? En tout cas c’est un peu sous-estimer le background de Bush il me semble…):

    Matthieu 12.30. « Qui n’est pas avec moi est contre moi, et qui ne rassemble pas avec moi disperse. »

    Ce qui est ironique sans doute est la similarité de la psychose mégalo dans: « qui insulte Mahomet m’insulte en même temps »

  • PFFF pour un dimanche !

    J’aurais préféré une ré-education avec Belle bécasse.
    Ou un petit délire sur Ségo et le féminisme au milieu du monde machiste des ministres.
    Ou encore faut il dire madame le président ou la President (e ?)

    Car voyez vous au monde des bisounours où nous sommes tous et toutes Charly, il y a des chose tres importantes dont il faut absolument parler.

    Le reste n’est que ideologie de libéraux mangeurs d’enfants de moins de 6 mois (plus fondant)

  • Merci pour ce lien, je me suis régalé ! De Gaulle est mort, y a-t-il un nouveau De Gaulle quelque part en France ?

  • Très intéressant et en même temps angoissant. Nous sommes gouvernés par des malades.

  • J’ai écouté le gourou H16 et j’ai bien fait. 1h15, voilà un format bien inhabituel mais qui laisse le temps de développer. Les 2 interviewers sont aussi particulièrement décapants, c’est un plaisir de les voir à l’œuvre. Merci ô grandissime H16 !

  • Très bonne interview. juste deux choses: primo, à un moment Pierre Conesa parle de génocide amérindien. il faut arrêter de confondre massacre et génocide c’est pas du tout la même chose. il n’y a jamais eu de génocide mais des massacres. la majorité des amérindiens sont morts de maladie. secundo, la stratégie choc est juste un torchon complotiste écrit par une idéologue d’extrême gauche antilibéral et antiaméricaine. Je vous recommande cet excellent article, qui démolit ce lamentable torchon de Klein:
    http://www.cato.org/pubs/bp/bp102.pdf
    Je suis consterné par autant de mauvaise foi ; Milton Friedman y est dépeints comme l’ennemi public n°1, on a pas du s’intéresser à la même personne. Il a très fortement inspiré l’Estonie, un des pays d’Europe de l’Est qui s’en sort le mieux, mais on ne parle pas d’Estonie dans son livre. Et citer Stéphane Courtois pour défendre un communisme non totalitaire, comment est-ce possible ?
    Voila, maintenant a ton tour de t’intéresser a Milton Friedman : https://www.youtube.com/watch?v=JujKgkA_XUQ C’est encore mieux si tu connais le Hong-Kong moderne et la Chine, ça permet de voir que le capitalisme a tenu les promesses de Friedman.
    Personne ne prenait Hayek au sérieux dans les années 50 ? Vu le nombre de ré-éditions de la « the road to serfdom », on va dire que les gens l’achetaient pour allumer le feu. Même Keynes, celui-là même qu’on a déjà encensé dans ce reportage (je n’en suis pourtant qu’a la 8ieme minute) disait du bien de ce livre !
    (et je me retiens de parler du New Deal, on va avoir la même analyse que Milton Friedman ici).
    La dite stratégie du choc (contre l’inflation), la voilà, marrant comme je n’interprète pas la même chose (désolé, je ne crois pas que cet épisode existe avec sous-titres) : https://www.youtube.com/watch?v=jE7zxo61Xc8
    Quand a l’hyper-inflation chilienne, ce n’est pas Pinochet qui l’a créé comme indiqué dans le reportage, mais Allende : http://www.47carat.com/4267/linflation-au-chili-sous-salvador-allende/
    Bon, je suis trop fatigué là, alors j’en viens a la fin : Pinochet a finit par remettre une démocratie en place. Les réformes des « Chicago Boys » ont permis au Chili d’être le pays le plus riche économiquement d’Amérique du Sud. Allende était sur la voie du communisme, cela ne pouvait de toute façon pas bien se finir.

  • Bizarre. Pourquoi n’ont-ils pas parlé de la Russie actuelle ?
    C’était quasiment le cas rêvé pour une analyse appliquant les thèmes de l’émission (le Grand Méchant, le suivisme de l’Europe, l’entre deux de la France, le cas Snowden, la situation en Ukraine, …)

    Conesa se réfugierait-il derrière l’Histoire pour éviter de trop choquer ses relations au pouvoir, lors d’une émission publique, contrairement à un Lugan ?

  • CONTRE TERRORISME: Selon le chercheur Scott Atran
    (1) le sondage d’ICM montrant un pourcentage élévé de la population Française en faveur de l’État Islamique EST VALABLE
    (2) « Djihad Yes, We can » est un message d’espoir pour la jeunesse Musulmanne en prison
    (3) Les mosquées ne sont pas un terrain de recrutement. Mais plutôt les clubs de sport, les fastfood, les barbecues
    (4) la recherche sociologique en Terrorisme n’a pas la faveur des pouvoirs publics.
    http://www.scientificamerican.com/article/anthropologist-seeks-the-roots-of-terrorism/?WT.mc_id=SA_Facebook

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