Capitalisme et sapin de Noël

Le sapin de Noël devait être un antidote à l’esprit de commerce ; il en est vite devenu l’incarnation.

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sapin de noel credits Jeffrey Zelman (licence creative commons)

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Capitalisme et sapin de Noël

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 28 décembre 2017
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Par Greg Beato.

Le sapin de Noël est à l’épicentre d’une guerre à New York ces temps-ci (NDLR : l’article date de 2012). Pas sur la manière de l’appeler : tout le monde est d’accord pour le renommer « totem non-confessionnel de la fête du solstice d’hiver ». Ce qui est en jeu, c’est qui pourra les vendre. Selon le New York Post, « les grandes surfaces apportent des conifères à des prix défiant toute concurrence », ce qui porte atteinte aux affaires des « vendeurs occasionnels d’arbres ».

« Home Depot et Whole Foods sont de grosses entreprises. Il faut qu’elles comprennent que les arbres de Noël sont un peu différents des objets qu’ils achètent en gros en Chine », déclare au Post Diana Marmolejo, une vendeuse d’arbres de 26 ans. Traduction : Noël c’est davantage que de déplacer des trucs au prix le plus bas possible. Ça parle de la famille (les arbres de Marmolejo sont « à sa famille »). Ça parle aussi de la famille (les arbres qu’elle vend proviennent d’exploitations « de famille » en Caroline du Nord). Et puis vous savez, ça parle aussi de la famille. Les entreprises sont peut-être des personnes, mais vous voudriez vraiment leur acheter votre sapin de Noël ?

Il y a un autre faux pli dans cette histoire : le code de prévention des incendies de New York interdit le stockage en intérieur des arbres destinés à la vente. En fait, les détaillants New Yorkais ne peuvent même pas mettre des sapins en vitrine. On peut supposer que les entreprises géantes vont devoir soit s’installer à l’extérieur, soit abandonner l’idée d’en vendre.

Espérons que ce soit la première option. Dans le sillage de l’ouragan Sandy, les New Yorkais pourraient bien retrouver le goût d’un Noël à l’ancienne. Et il s’avère que des entrepreneurs qui transportent et vendent des arbres en masse, c’est à peu près aussi ancien que vous pourriez l’imaginer.

Dans son livre de 1996 The Battle for Christmas, l’historien Stephen Nissenbaum écrit que les sapins de Noël « ont commencé à être largement populaires aux États-Unis au milieu des années 1830 ». Mais alors que les immigrants allemands reçoivent souvent le crédit d’en avoir introduit la coutume, Nissenbaum explique que la connaissance du vieux Tannenbaum n’est pas venue par une expérience de première main, mais par des voies littéraires. Pour Nissenbaum, les réformistes progressistes, pour la plupart de la haute bourgeoisie, unitariens et de Nouvelle-Angleterre, ont vu dans la tradition allemande du sapin de Noël un moyen de lutter contre le « matérialisme grossier » et le sentiment général de complaisance effrénée qui avait déjà commencé à caractériser la manière dont les Américains célèbrent Noël.

Les réformistes ont écrit des histoires mettant en scène des sapins de Noël, des récits parfois authentiques et parfois fictionnels, dans lesquels l’arbre réduisait ou minimisait le matérialisme grossier de la fête de différentes manières. Tout d’abord, ils confinaient l’échange des cadeaux à un lieu et un moment précis. Ensuite, ils insistaient sur le rituel, et d’authentiques rituels populaires d’immigrants, qui plus est, pour porter l’attention moins sur les cadeaux eux-mêmes que sur l’acte de les offrir. Enfin, ils exigeaient la patience et l’obéissance des enfants, qui n’étaient pas autorisés à voir l’arbre ou les cadeaux jusqu’à un moment donné.

Bien que des histoires populaires comme The Christmas Tree ont aidé à répandre l’idée de Noël, les arbres de Noël eux-mêmes ne sont pas devenus immédiatement un phénomène très répandu, notamment dans les villes comme New York. Apparemment, les résidents de Manhattan et Brooklyn au milieu du 19ème siècle n’étaient pas aussi autonomes que les citadins bricoleurs d’aujourd’hui : il n’y avait pas de fermes sur les toits à Williamsburg pour faire pousser des variétés anciennes de sapins baumiers selon les méthodes de l’agriculture biologique.

Obtenir un arbre, c’était un travail. Manuel. À l’époque, les citadins préféraient aller l’acheter. C’est du moins ce que Mark Carr, fermier dans les Catskills, a découvert en 1851, quand dans un dernier effort pour amasser des fonds pour acheter les semences de l’année suivante après une mauvaise récolte, il a décidé d’abattre une partie des arbres qui poussaient sur sa propriété pour aller les vendre à New York.

Un reportage du New York Times en 1880 affirme que Carr a payé « un dollar en argent pour utiliser une bande de trottoir à l’angle des rues Greenwich et Vesey » (à quelques pas de l’endroit où se tenait le World Trade Center, NdT). Un article plus récent, publié par Ed Mues en 2007, ajoute que Carr a vendu trois douzaines d’arbres pour des prix qu’un journal qualifia à l’époque d’« exorbitants ».

D’autres entrepreneurs ont suivi dans son sillage. Selon un article de 1900 dans le New York Times, un « groupe de sportifs » de retour par bateau d’une excursion à Terre-Neuve en 1892 a fait un arrêt au Maine, où l’un d’eux a décidé d’acheter 500 sapins baumiers et de les vendre à Boston, transformant ce qui auparavant était « considéré comme une gêne » en une nouvelle culture profitable.

En 1896, selon le Times, une demi-douzaine d’hommes du Maine ont formé « un consortium avec un capital de 25 000 dollars », ont acheté le stock d’arbres à un prix plus élevé que ce que les vendeurs traditionnels de New York étaient habitués à payer, puis se sont installés dans une zone non réglementée de la ville à proximité des docks publics, ce qui leur a permis de commencer à vendre des arbres dès le 1er Décembre.

À l’opposé, un décret du Maire disposait que les vendeurs traditionnels ne pouvaient pas commencer à vendre leurs arbres avant le 19 Décembre. « Ces gens viennent à New York une fois par an ; ils n’ont pas de lourd loyer à payer ; ils louent tout l’espace qu’ils veulent pour peut-être 50 dollars, et vendent leurs marchandises pendant trois semaines avant nous », se plaignait un des vendeurs traditionnels.

Mais bien entendu, les habitants de New York ont bénéficié de leurs efforts : ils ont eu plus de temps pour acheter des arbres, et davantage d’arbres à choisir. Un numéro de 1902 du magazine Country Life en estimait le commerce annuel à New York à environ 400 000 arbres. Sept ans plus tard, le Times rapportait que près d’une famille américaine sur quatre avait un sapin, et que le commerce était particulièrement intense à New York et en Nouvelle-Angleterre, qui représentaient environ deux millions d’arbres sur les cinq millions qui ont été vendus cette année.

Bien que le sapin de Noël ait été introduit comme un moyen de freiner la commercialisation de la fête, il a en fait réalisé le contraire. Il a donné aux détaillants un nouvel objet à vendre, et cet objet à son tour a poussé à des dépenses supplémentaires. Une fois que vous avez l’arbre, il vous fait des décorations, et évidemment une vaste gamme de cadeaux. Une fois que vous décorez votre intérieur, pourquoi pas à l’extérieur de chez vous aussi ? L’arbre a aidé à « meubler » la fête, et le nombre croissant de « meubles » a donné aux gens de plus en plus de moyens pour faire de Noël une partie plus grande et plus importante de leur vie.

Et l’idée de l’arbre n’aurait pas pris comme elle l’a fait s’il n’y avait pas eu les efforts d’entrepreneurs déterminés à le rendre plus disponible et plus abordable. Peu importe que les prix de Mark Carr aient été « exorbitants », lui acheter un arbre était sans aucun doute moins cher que d’aller en prendre un aux Catskills. L’année d’après il en a apporté davantage, et les a encore tous vendus. Jadis une affaire familiale limitée à quelques pratiquants, le rituel du sapin de Noël s’est facilement intégré au commerce.

Article initialement publié le 25 décembre 2014.

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    • @ turnover,

      je pense que ces SDF sont des « élus » des riches politiques de droite comme de gauche. Le chiffre de cette classe sociale a augmenté comme les chiffres du chômage. Ces êtres humains sont confrontés à la decheance humaine peut être dans leur fratrie ou à la perte de leur travail. Ce sont des errants, des réfugiés économiques.
      Les grilles ou pas ont servis à un coup de com. Qui sont ils et que veulent ils ?.

    • Cette initiative de Noël est à mon avis la manifestation d’exaspération d’une municipalité confrontée au détournement des bancs publics par des dealers qui s’en servaient pour leurs trafics.

      Le problème posé aux pouvoirs publics d’Angoulême était de savoir en quoi transformer les bancs en question pour faire fuir les dealers. Ils ont préféré ne pas perdre leur temps à imaginer une solution plus ou moins décorative et discrète qui aurait entraîné des coûts superflus. Grillager, c’est une solution nette et claire, franche et économique.

      Toutes mes félicitations à cette mairie pour avoir eu le courage d’exprimer que, à défaut de pouvoir mettre les dealers en prison, elle met en prison le mobilier urbain dont ils avaient détourné l’usage au profit de leurs trafics.

    • Si les bancs avaient un propriétaire et si les activités des dealers étaient légalisées, le problème ne se poserait probablement pas.

  • Les commentaires sont fermés.

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