Calvary : un regard sombre sur l’Irlande moderne

Film complexe et offrant plusieurs niveaux de lectures, Calvary risque de déboussoler de nombreux spectateurs.

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Calvary : un regard sombre sur l’Irlande moderne

Publié le 26 novembre 2014
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Par Aurélien Chartier

calvaryOn commence à connaître Martin McDonagh, réalisateur de Bons baisers de Bruges (2008) et 7 psychopathes (2012) et son style de comédie noire, inspirée de la tradition britannique. On découvre aujourd’hui son frère John Michael McDonagh qui vient de réaliser son second film avec Calvary, portrait d’un village reculé d’Irlande via son prêtre. Le casting rassemble plusieurs grands noms du cinéma irlandais : Brendan Gleeson, Kelly Reilly ou encore Aidan Gillen, qui délivrent tous des performances marquantes dans leurs rôles respectifs.

La première scène place d’emblée l’ambiance très froide du film : lors d’une confession, un villageois annonce au prêtre qu’il le tuera dans une semaine pour se venger d’avoir été violé par l’ancien prêtre lorsqu’il était enfant. On suit ensuite le prêtre évoluer au sein du village, sans savoir qui se cache derrière cette menace imminente. Sujet peu abordé, la solitude de l’homme d’Église au sein de la société moderne donne lieu à de nombreux plans magnifiques de paysages irlandais. Un parallèle assez évident est fait entre la semaine du prêtre et le calvaire du Christ, sans pour autant prendre une tournure moralisante.

Assez similaire à son frère pour son style d’humour noir, John Michael Donagh privilégie toutefois grandement le côté dramatique dans ce film. Si plusieurs scènes de dialogues entre le prêtre et un paroissien ont un accent comique, le ton très grinçant du film risque de déplaire à de nombreux spectateurs. Les attitudes de la plupart des personnages secondaires, ouvertement hostiles ou condescendants vis-à-vis du prêtre contribuent à l’ambiance quasi dépressive. Toutes ces histoires secondaires auraient probablement mérité plus d’attention, le manque de développement de certains personnages laissant un goût amer d’inachevé, étant donné la durée assez courte du film. Seule la relation compliquée entre le prêtre et sa fille est approfondie, donnant lieu à plusieurs scènes magnifiques de justesse.

Pourtant, ces histoires secondaires restent essentielles pour comprendre le personnage du prêtre, tiraillé entre son devoir envers ses ouailles et la fatalité de voir ses efforts rester futiles. La question de la place de l’Église dans le monde moderne est posée de manière directe et le film en explore de nombreuses facettes, tout en se gardant de prendre une position franche. Un sujet aussi complexe appelle nécessairement à un traitement nuancé et la mise en scène dépouillée parvient à retranscrire de manière brute les émotions des personnages. Comme notamment cette scène où le prêtre parle à une petite fille dans une ambiance tout à fait détendue jusqu’au moment où le père de cette dernière arrive en trombe et ordonne à la fillette de monter dans sa voiture. La tension qui entoure en permanence le prêtre est ainsi parfaitement ressentie par le spectateur.

Malgré tout, il reste une lueur d’espoir dans le fait de voir le prêtre se positionner de façon à ce que sa mort puisse apporter la guérison que les habitants du village semblent chercher. Au-delà du parallèle évident avec le sacrifice du Christ, cela nous rappelle qu’il existe toujours des gens prêts à se sacrifier par bonté envers leur prochain. La question de la foi en devient presque secondaire par rapport à celle du sacrifice, bien que la scène finale du film reste ambiguë. Peut-on pardonner et faire un trait sur le passé ou est-ce que ce dernier est voué à nous hanter ? La fin ouverte laisse place à différentes interprétations et se garde encore une fois de prendre une position tranchée.

Film complexe et offrant plusieurs niveaux de lectures, Calvary risque de déboussoler de nombreux spectateurs, d’autant plus que sa vision de la foi et de la religion, sans être profondément novatrice, sort des standards actuels. Le format du film mélangeant scènes très sombres et humour caustique rend également son accès difficile et tend peut-être à affaiblir son message principal. Reste qu’il incite à la réflexion sur un thème peu commun, tout en offrant une photographie magnifique et une jolie palette de jeux d’acteurs. Après tout, n’est-ce pas là l’essentiel ?

  • Calvary, comédie dramatique irlandaise de John Michael McDonagh (sortie le 26 novembre 2014), avec Brendan Gleeson, Chris O’Dowd, Kelly Reilly, durée 1h45mn.

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  • Le film traite surtout, en filigrane, des consequences contemporaines du passe historique de l’eglise Catholique d’Irlande, apres l’independance de 1922 et jusque dans les annees 70, des abus de pouvoir lies au professionnalisme religieux de l’epoque (ou nombre de jeunes garcons rentraient en religion pousses par leurs familles qui voyaient la un outil de promotion sociale) et a une totale absence d’equilibre des pouvoirs, ou l’eglise et l’etat etaient un et indivises, et de la position du pretre Irlandais, de nos jours, en reference, en contraste, et consequemment a ce passe.

    Nos deux derniers pretres dans le village d’Irlande ou j’habite on ete des personnages d’une ethique exceptionnelle. L’un etudia tres serieusement la psychologie, a l’universite, pour etre a meme de mieux aider les gens ayant besoin d’aide, et qui n’en auraient pas les moyens. L’autre, tout juste revenu d’Amerique du Sud, a justement secouru la bas un petit garcon qui fut abuse par sa propre mere. Ce petit garcon a ete adopte depuis par un couple ami de ce religieux. Ce meme pretre s’occupe encore activement aujourd’hui d’enfants handicapes.

    Pour qui veut vraiment connaitre l’Irlande contemporaine, je recommenderais l’exellent livre de
    Ann Enright : « The gathering. »

    • Merci Inanutshell,
      ce que vous écrivez décrit bien la complexe relation des Irlandais avec la religion.
      J’ai beaucoup aimé ce film, aussi sombre qu’il soit, car il sait faire une place pour une vraie compassion envers les personnages.
      Il décrit bien aussi l’attrait que j’ai souvent perçu chez mes amis Irlandais pour la grâce d’une foi incarnée, et la défiance pour une institution compromise par ses interférences politiques trop éloignée du salut des âmes et trop proche du sexe des petits anges…

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