Démocratiser les partis africains

Comment prétendre vouloir incarner la démocratie lorsqu’on est hostile à la libre compétition ?

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Pouvoir Afrique (Crédits : René Le Honzec/Contrepoints.org, licence Creative Commons)

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Démocratiser les partis africains

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 27 octobre 2014
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Par Louis-Marie Kakdeu
Un article de Libre Afrique

Pouvoir Afrique (Crédits : René Le Honzec/Contrepoints.org, licence Creative Commons)Dans la politique africaine, pour des raisons de configuration ethnique du vote, on suit peu la cohérence des partis politiques qui prétendent incarner le changement. La question est de savoir si ces partis peuvent prétendre poursuivre l’idéal démocratique sans être eux-mêmes exemplaires avant, pendant et après leur prise de pouvoir.

De nos jours, la démocratie traduit une exigence d’exemplarité rare dans les partis politiques. Par exemple, au Rassemblement des Houphouétistes en Côte d’Ivoire, le Président Alassane Ouattara prétendait défendre « l’ouverture » comme héritage idéologique avant son accession au pouvoir. Mais curieusement, huit mois seulement après la formation du gouvernement Jeannot Ahoussou le 13 mars 2012, il a procédé à sa dissolution officiellement pour une divergence d’opinion au sein du Rassemblement sur le vote à l’Assemblée nationale de son projet de loi sur le mariage. Ce comportement proche des pratiques du parti unique qui confine le parlement dans un rôle de « chambre d’enregistrement », est contraire aux principes de séparation de pouvoirs et de liberté d’opinion. De même, Pascal Affi N’Guessan, président du Front Populaire Ivoirien (FPI) a pris le 4 juillet 2014, une décision fortement polémique portant réaménagement techniquement du Secrétariat Général de son parti. On notait principalement l’exclusion des adversaires internes. Cela était curieux dans un parti qui prétend se battre pour la libération totale de l’Afrique.

Aussi, comment peut-on valablement demander d’un côté l’alternance et la limitation du nombre de mandats à la tête de l’État et de l’autre côté, proscrire cette même mesure à la tête du parti comme au Social Democratic Front (SDF) au Cameroun ? L’article 8.2 des textes de base du SDF (auto-exclusion du militant qui va à l’encontre du parti) est devenu par la force des événements, l’outil d’exclusion de tous les cadres récalcitrants qui osent remettre en cause le leadership du chairman John Fru Ndi. Aussi, en Côte d’Ivoire, Kouadio Konan Bertin (KKB) et Alphonse Djédjé Mady avaient été purement et simplement écartés des instances de direction du Parti Démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI-RDA) pour avoir osé affronter le Président Henri Konan Bédié à la tête du parti lors du 12ème congrès qui s’était tenu à Abidjan en octobre 2013. Par conséquent, comment vouloir incarner la démocratie lorsqu’on est hostile à la libre compétition ?

Sur ce même point, au Cameroun, la « Coalition pour la réconciliation et la reconstruction nationales » formée en vue de présenter une candidature unique pour battre Paul Biya aux présidentielles de 2004 avait volé en éclat à cause du rejet par John Fru Ndi de l’investiture d’Adamou Ndam Njoya pourtant désigné démocratiquement « candidat unique » sur la base des critères consensuels prédéfinis. À quelques exceptions près, cela révèle l’intention des présidents-fondateurs de demeurer en fonction depuis la création de leurs partis et malgré leurs âges avancés ou leurs états de santé précaires. Au Sénégal, lors du Bureau politique de l’Alliance des Forces de Progrès (AFP) le 10 mars 2014, le président Moustapha Niass avait déclaré que tant qu’il lui restera un souffle de vie, il sera à la tête de l’AFP. Pire, on note l’existence des pratiques de parachutage de candidats ou des cadres contraire à la logique du mérite. Par exemple, la crise au FPI issue de la décision susmentionnée concerne surtout le parachutage d’Agnès Monnet au poste de Secrétaire général, porte-parole et numéro 2 du parti alors que son CV politique est jugé non-compétitif. Aussi, observe-t-on que tous les postes (y-compris ceux de vice-présidents) sont pourvus par voie de nomination par le président, seul centre de gravité du parti en violation du principe consultatif.

De plus, rares sont les partis au pouvoir qui appliquent le principe de la séparation entre le chef de l’État et le chef du parti. Au Sénégal, le Président Abdoulaye Wade qui combattait en 1996 le Président Abdou Diouf sur la base de ce principe, n’a pas montré l’exemple après son accession au pouvoir en 2000. À cela, s’ajoutent la transhumance politique (changement d’appartenance politique au gré des intérêts) et la corruption des leaders politiques (commercialisation des voix) : « On ne peut pas être populaire et mourir pauvre », entend-on. Par exemple, en 1996 au Bénin, Yves Edgar Monou, alors porte-parole du parti La Renaissance du Bénin de Nicéphore Soglo et qui avait déjà fait cinq partis en cinq ans, avait lâché son mentor pour rejoindre en pleine période électorale le Président Mathieu Kérékou au profit d’un poste d’ambassadeur à Paris. Ces leaders disent partir de l’enfer (opposition) pour le paradis (pouvoir). On note surtout le manque d’exemplarité dans la reddition des comptes (obligation de rendre compte) comme au Sénégal avec le différend entre Mamadou Diop Decroix et Landing né de la gestion non-transparente des montants mensuels de 20 à 30 millions FCFA versés par le Président Wade aux partis membres de sa coalition Cap21. Plus significatif, les partis et alliances politiques sont à connotation ethnique. Ainsi, la présentation des motifs de la rébellion armée de 2002 en Côte d’Ivoire révèle que l’alliance entre Guillaume Soro (syndicaliste de gauche) et Alassane Ouattara (dit libéral de droite) a été motivée par l’appartenance au nord du pays.

Face à ce problème, des pays comme le Burkina Faso, le Liberia et le Nigeria ont une réglementation sur la garantie d’un minimum de démocratie interne des partis politiques. Aussi, en vue de limiter la prise en otage de la politique par les financiers, la subvention des partis politiques devrait figurer, comme au Nigeria, au budget de l’État qui devrait, comme au Sénégal, mettre sur pied une Commission Nationale pour la Réforme des Institutions (CNRI) dans le but d’apporter de profondes mutations démocratiques à la vie politique. Au demeurant, il reviendra aux leaders africains de séparer la gestion de leurs partis de la gestion de leurs patrimoines privés en débarrassant les textes de base des dispositions contraire aux mécanismes de liberté, transparence, compétition, représentation, participation, égalité et contrôle. Progressivement, les militants eux-mêmes devraient contribuer à stimuler cette dynamique.


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