Suisse : la chasse aux riches est ouverte

Ne nous voilons pas la face : la chasse aux forfaits fiscaux n’est pas motivée par une quête de justice mais par une approche idéologique de la fiscalité.

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Suisse : la chasse aux riches est ouverte

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 21 octobre 2014
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Par Stéphane Montabert.

chasse credits neil moralee (licence creative commons)

La campagne pour la suppression de l’imposition d’après la dépense – Halte aux privilèges fiscaux des millionnaires – est lancée, comme en témoignent divers articles de la presse parus ces jours.

L’imposition d’après la dépense, une vieille idée

L’imposition d’après la dépense, mieux connue sous le nom de « forfait fiscal », est un système né en 1862 dans le canton de Vaud pour ensuite s’étendre progressivement à tout le pays. Il fut repris par le droit fédéral en 1934. L’idée était de donner un coup de pouce à l’attractivité de la Suisse auprès d’une population exigeante, riche, et dont les revenus étaient exclusivement générés à l’étranger. Quel meilleur moyen pour l’hôtellerie, le tourisme et les banques que de faire venir leurs clients dans la région ! Le résultat fut une véritable leçon d’intelligence fiscale. Aurelia Rappo, avocate, donne une excellente présentation de son évolution et de ses enjeux dans les Cahiers Fiscaux Européens, notamment du point de vue historique :

« L’impôt simplifié d’après la dépense présente un double avantage : d’une part, comme il est difficile pour les autorités fiscales d’exercer un contrôle sur les revenus et la fortune de l’étranger, le système de taxation se focalise sur des éléments représentatifs du train de vie localisés en Suisse. D’autre part, les rentiers ne mettent pas, ou très peu, à contribution les infrastructures du pays, raison pour laquelle ils constituent une frange de contribuables intéressante. Une imposition simplifiée, fondée exclusivement sur la substance financière en Suisse, constitue donc un compromis pragmatique ».

Aujourd’hui quelque 5 500 ressortissants étrangers résident en Suisse au bénéfice du forfait fiscal et contribuent annuellement aux finances publiques à hauteur d’un milliard de francs suisses. Tout étranger, aussi riche soit-il, n’est pas automatiquement éligible pour un forfait fiscal ; il doit renoncer à toute activité lucrative en Suisse, habiter effectivement en Suisse, et faire volontairement la demande. Contrairement à une idée reçue, le montant des impôts n’est pas à bien plaire mais le résultat de l’application d’un barème.

Au cours du temps, la formule connut un certain succès et entraîna également quelques abus, comme des vedettes profitant ostensiblement d’un domicile fiscal helvétique sans jamais y séjourner, ni vraiment renoncer à leurs affaires. Ces abus amenèrent divers cantons à réviser leur réglementation selon la voie classique – initiative parlementaire ou cantonale – sans jamais qu’il soit besoin de légiférer à l’échelle de la Confédération. La fiscalité est en effet du ressort des cantons.

Pourquoi briser le système ?

chasse aux riches rené le honzecLes adversaires du forfait fiscal clament que celui-ci contrevient à l’égalité de traitement des contribuables ainsi qu’au principe selon lequel l’imposition est liée à la capacité économique de chacun. Ces reproches n’ont rien d’absurde mais ne se limitent certainement pas aux seuls forfaits fiscaux. Ainsi, les couples mariés payent plus d’impôts que les concubins, un problème auquel la Confédération s’attaque avec bien peu d’empressement. On ne s’émeut pas davantage de savoir que près d’un quart des ménages vaudois ne paie pas le moindre impôt, ni des effets de seuil entraînés par les divers mécanismes de redistribution.

Sur le strict plan de l’égalité, on notera que l’exemption d’impôts dont bénéficient les fonctionnaires internationaux – y compris suisses ! – ne semble être un souci pour personne. Ces diplomates et apparentés sont particulièrement nombreux à Genève, 28 000 personnes pour ce seul canton, soit plus de cinq fois le nombre total de personnes au bénéfice d’un forfait fiscal dans toute la Confédération ! Cerise sur le gâteau, le canton tient à jour une page pour expliquer les régimes d’exemption… Juste à côté de celle dévolue aux forfaits fiscaux !

Ne nous voilons pas la face : la chasse aux forfaits fiscaux n’est pas motivée par une quête de justice mais par une approche idéologique de la fiscalité.

L’idée, toujours la même, est de « faire cracher les riches ». On prétend bien sûr, que les rentrées fiscales de ceux qui restent compenseront les pertes liées à ceux qui partent sous des cieux plus cléments, mais je pense que cet objectif est secondaire ; il faut d’abord punir.

L’expérience a pu être menée de façon concrète puisque les cantons ont pu, jusqu’ici, décider en toute indépendance du devenir du forfait fiscal sur leur territoire. Trois ont décidé de ne rien changer. Dix-huit ont rendu plus difficile l’accès au forfait fiscal. Cinq enfin ont décidé de l’abolir complètement – posture d’autant plus facile à tenir que sur ces cantons presque aucun étranger ne bénéficiait de ce régime.

Une seule exception : Zurich, où le forfait fiscal fut aboli en 2010 à la suite d’une initiative de l’extrême-gauche, et qui comportait 201 étrangers imposés selon la dépense. L’évolution géographique de ces personnes est instructive à plus d’un titre :

« Sur 201 riches qui profitaient des forfaits fiscaux jusqu’en 2009 à Zurich, 97 sont partis, tandis que deux sont décédés. Près d’un tiers des privilégiés ont choisi de partir à l’étranger. En revanche, 67 se sont exilés dans d’autres cantons. Schwyz se taille la plus grosse part du gâteau. Il a accueilli 20 exilés fiscaux. Les Grisons suivent avec 13 personnes devant Zoug (7 exilés) et Saint-Gall (5) ».

La moitié partit dès la première année. Mais l’autre ? Elle fit plus que compenser les pertes apparemment, puisque les 12,3 millions de francs de manque à gagner des partants s’effaça avec les 13,6 millions désormais versés par les riches étrangers restés sur place. Pourtant, ces chiffres, abondamment répétés dans la presse, sont seulement ceux de la première année. Le départ d’un gros contribuable donna par la suite à cette réforme un solde fiscal net défavorable, ce que les promoteurs de l’initiative et leurs relais dans les médias se gardent bien d’avouer. De plus la répartition des gains et des pertes entre communes tourna à la loterie : certaines gagnèrent bien davantage à travers l’imposition ordinaire de leurs riches étrangers tandis que d’autres durent augmenter leurs impôts pour faire face au départ des leurs.

Notons également que 46 étrangers restés à Zurich réussirent à payer encore moins d’impôts après la disparition de l’imposition selon la dépense, simplement en optimisant leur charge fiscale ! Enfin, et ce n’est pas anodin, personne ne correspondant à ce profil ne s’est plus installé depuis dans le canton de Zurich.

Causes et conséquences

Si l’initiative de la gauche passe, on peut s’attendre aux mêmes réactions à l’échelle suisse : une vague de départ, un contournement pour continuer à payer peu, quelques vaches à lait temporaires et plus aucune arrivée de nouveaux riches étrangers. Il en va d’un canton et de ses voisins comme d’un pays et de ses voisins. Certains contribuables imposés au forfait n’attendent d’ailleurs même pas la votation pour mettre les voiles.

Les personnes dont la fortune est faite peuvent librement choisir d’habiter où elles le souhaitent ; la Suisse offre certes un cadre de vie agréable, mais pas au point de tout lui sacrifier. Plusieurs pays d’Europe – Autriche, Royaume-Uni, Portugal, Irlande ou Malte – proposent des systèmes fiscaux tout aussi avantageux.

Tous les cantons n’ont pas autant à perdre d’une suppression de l’imposition selon la dépense. Ceux qui en bénéficient sont très inégalement répartis. Le magazine économique Bilan s’est donné la peine de les recenser :

« Le forfait fiscal (…) est essentiellement un phénomène qui concerne une demi-douzaine de cantons : en 2012, les 5634 contribuables imposés à la dépense étaient concentrés dans les cantons de Vaud (1396 personnes), du Valais (1300) et de Genève (710).

En dehors de l’axe rhodanien, le forfait est très pratiqué au Tessin (877). Deux autres cantons connaissent un certain nombre de forfaits : les Grisons (268) et Berne (211), ce qui en fait un phénomène presque exclusivement propre à la Suisse latine ou à ses environs immédiats ».

La principale faiblesse des défenseurs du système actuel est ainsi essentiellement d’ordre technique. Les populations des cantons sans forfait fiscal ne se sentiront sans doute pas concernées et ne verront peut-être pas grand intérêt à préserver un modèle dont elles ne pensent pas bénéficier.

C’est une erreur.

La suppression de l’imposition par la dépense porte plus loin que les cantons qui hébergent des étrangers soumis à ce régime. Ces individus ne font pas que payer des impôts, ils vivent aussi, en Suisse. Tout en utilisant très peu les services proposés par la collectivité, ils contribuent à faire travailler 22’000 personnes au travers d’emplois indirects, un sillage de prospérité qui dépasse évidemment les frontières cantonales. En outre, ils contribuent largement à la vie sociale au travers de leurs dons aux institutions d’utilité publique et aux manifestations culturelles.

De plus, la péjoration de la situation financière de certains cantons redistribuerait les cartes de la péréquation intercantonale. Au bout du compte, les cantons sans le moindre forfait fiscal sur leur territoire seraient donc tout de même affectés.

La gauche est d’habitude assez prompte à partir en guerre contre la moindre diminution des recettes que représente par exemple une baisse des taux d’imposition. On diminue la manne que l’État soustrait de la poche des contribuables, à terme on pourrait diminuer son train de vie ! Un véritable crime pour les défenseurs des fonctionnaires et du collectivisme ! Mais il n’y a aucune différence entre baisser les impôts et faire partir ceux qui les payent. Dans les deux cas les revenus fiscaux diminuent. C’est donc un « manque à gagner », pour reprendre la terminologie de ceux pour qui l’État est le centre de tout. Et comme il ne faut jamais réduire le train de vie de l’État, n’est-ce pas, la seule solution sera d’appliquer une hausse des impôts pour tout le monde.

Un enjeu caché ?

Sans aller jusqu’aux théories du complot, l’initiative sur laquelle se prononcera le peuple le 30 novembre pourrait porter plus loin que l’imposition selon la dépense.

Citant encore Bilan :

« [Philippe Kenel, avocat lausannois très actif dans la défense du forfait,] relève que l’initiative ne demande pas seulement la fin de l’imposition à la dépense. Le texte de l’article 127 al. 2 bis, tel qu’il est soumis au peuple le 30 novembre, comporte en effet une première phrase lourde d’implications: «Les privilèges fiscaux pour les personnes physiques sont illicites», peut-on lire. C’est seulement dans une deuxième phrase, pour ainsi dire à titre d’exemple, que le projet d’article mentionne explicitement les forfaits fiscaux. »

Quels peuvent être les autres privilèges visés ? Il y a d’abord les privilèges fiscaux liés au 2e  pilier, notamment le rachat d’années très utilisé par les cadres supérieurs, mais ils ne sont pas les seuls, pour faire baisser leur charge fiscale.

Il y a encore les déductions réservées aux expatriés mais aussi aux directeurs d’entreprise, exprimées en pourcentage du revenu à Genève ou en montants forfaitaires dans le canton de Vaud, qui contribuent à l’attractivité de la Suisse comme place de localisation pour les multinationales et risqueraient fort d’être remises en cause en cas d’acceptation de l’initiative.

L’initiative pourrait donc remettre en cause bien davantage que ce qui est évoqué dans la campagne. Le texte le permet. Le reste dépend du bon vouloir des initiants. Ceci n’est pas sans rappeler l’initiative Weber où le comité d’initiative réclama avec insistance l’application la plus stricte possible du projet au soir de la victoire, contredisant jusqu’aux promesses inscrites dans son propre matériel de campagne.

Conclusion

L’imposition selon la dépense est un mécanisme ancien et pragmatique dont tous les Suisses profitent indirectement, en particulier la classe moyenne. L’histoire, le tourisme et l’autonomie cantonale ont amené les étrangers imposés selon ce système à être très inégalement répartis dans toute la Suisse, mais tous en bénéficient à travers les interdépendances économiques.

Les cantons, dans le cadre de leur autonomie fiscale, peuvent parfaitement adapter ce mécanisme selon leurs propres aspirations. Beaucoup ont d’ailleurs saisi cette possibilité au cours des dernières années.

Il n’y a aucune forme d’urgence à légiférer à l’échelle fédérale, au mépris des particularismes locaux et des intérêts financiers du pays, sauf à vouloir faire passer en force une idée. Cette idée, on la connaît depuis longtemps. Elle est inhérente au socialisme et s’énonce ainsi : la seule richesse légitime appartient à l’État ; si quelqu’un est riche hors de l’État alors il est coupable de quelque odieux forfait et doit être puni ; la fiscalité est un outil de choix pour permettre cette « correction », qui n’est rien d’autre qu’une sentence.

La suppression de l’imposition selon la dépense relève de cette logique. Les calculs avancés par les uns et les autres, prétendant que la Suisse y gagnerait, ne servent en réalité qu’à faire avaler la pilule. Personne ne doit minimiser les dégâts conséquents que cette initiative infligerait au pays en termes d’image et de stabilité institutionnelle. Mais pour les tenants du jusqu’au-boutisme fiscal, peu importe. Les riches étrangers doivent être punis, soit en payant des impôts si possible ruineux, soit en étant amenés à fuir.

Si le Oui l’emporte le 30 novembre, la Suisse fera des heureux : tous les pays qui s’apprêteront à accueillir ces riches étrangers que la gauche n’aime pas ! Il est donc important non seulement de repousser cette initiative, mais également de le faire avec un score important afin d’envoyer à tous, à l’intérieur comme à l’extérieur de la Suisse, un message clair : la richesse est un bienfait et c’est folie que de vouloir la chasser.


Sur le web. Première publication sur Les Observateurs.

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  • Et oui, même en Suisse le ressentiment envers ceux qui ont réussi reste le moteur de ceux qui ont échoué. La gauche est toujours la terre d’accueil des frustrés « généreux ».

  • Là où le socialisme passe la richesse trépasse.

  • c est pas grave ,il y a le portugal et en plus il fait beau et entre nous ,on est mieux au soleil que de se taper 8mois d hiver , et on peut quand meme laisser ses sous dans les banques suisse et on ne risque rien … elle est pas belle la vie de milliardaires!!!

  • L’Asie va tout récupérer comme d’hab

  • La gauche sévit surtout en Suisse romande. Encore une fois, je compte sur la Suisse alémanique pour nous épargner une catastrophe. Mais je commence à en avoir assez des initiatives gauchistes débiles tous les trois mois!

    • Et attendez, c’est pas fini ! Aux dernières nouvelles les JuSo mitonnent une bonne petite initiative pour obliger les entreprises à distribuer 50% des dividendes aux salariés !
      On croit rêver, distribuer des revenus du capital à des gens qui n’ont pas investit de capital…
      Mais bon, la Suisse peut se targuer d’avoir une gauche encore plus débile que sa congénère Française.

      • WTF ?
        Je ne comprend pas comment ça peut fonctionner. Les salariés toucheront les bénéfices des investisseurs mais… est ce qu’ils paieront pour les pertes ?
        Eh ouai c’est bien beau de prendre les bénéfices des autres mais il faut aussi partager les pertes.
        Ah, tout de suite il y a moins de monde…
        L’incertitude, prendre des risques, …ça terrorise les socialistes !

  • Heureusement que le chroniqueur n’habite pas en France , il se serait déja étouffé dans son indignation !!!!!

  • Par osmose, les favorisés influencent le niveau de vie de plusieurs endroits, pour le bien des anciens propriétaires et les désagréments des jeunes indigènes.
    Les forfaits fiscaux pourrait à la rigueur être acceptés à la condition que le rendement de cet impôt soit réparti équitablement sur tous les cantons.
    Et que, par ailleurs, les bénéficiaires s’abstiennent de toute participation dans les sociétés immobilières car ils s’activent à faire fructifier leurs avoirs en Suisse et ailleurs.

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