Les voyages du monarque, ce papillon mystérieux

Une analyse du monarque d’Amérique du nord, ce papillon qui migre plus de 5000 kilomètres pour des raisons énigmatiques

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papillon monarque credits kevin cole (licence creative commons)

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Les voyages du monarque, ce papillon mystérieux

Publié le 7 octobre 2014
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Par Jacques Henry.

papillon monarque credits kevin cole (licence creative commons)

Cette illustration montre des monarques (Danaus plexippus), des papillons qui se comportent un peu comme les oiseaux migrateurs. Ils partent en villégiature l’été dans le nord des États-Unis et au Canada, et reviennent tous dans une toute petite région du Mexique pour profiter des douceurs de l’hiver. Il y a aux Canaries un monarque en tous points semblable (pas tout à fait, on va le découvrir) à ses proches cousins américains qui est sédentaire. D’ailleurs, pourquoi prendrait-il la peine de se fatiguer à parcourir des milliers de kilomètres puisque dans les Îles Canaries il n’y a pas de saisons mais seulement un long printemps avec des fleurs toute l’année ? La preuve, cette photo prise le 30 septembre dans les rues de Santa Cruz de Tenerife :

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Je ne vais pas encore une fois parler des Canaries, non, mais du monarque, de celui qui effectue cette migration monstrueuse de 5000 kilomètres et ce n’est que ce monarque d’Amérique du Nord qui effectue cette migration et pas les autres. Et cette différence dans les comportements respectifs de différents monarques est plutôt énigmatique. Le fait qu’il n’y ait pas d’hiver à l’île Maurice où on trouve aussi des monarques ou encore en Nouvelle-Calédonie et au Vanuatu où il n’y a pas d’hiver non plus n’est pas une raison suffisante. La raison pour laquelle le monarque d’Amérique du Nord migre chaque année (le monarque vit environ 4 ans) se devait d’être expliquée et c’est ce qui a été finalement réalisé en procédant au séquençage des génomes de monarques de plusieurs régions du monde par une équipe de biologistes de l’Université de Chicago.

La larve du monarque, une chenille comme pour tous les papillons, se nourrit exclusivement sur l’asclépiade, une plante justement présente dans les îles Canaries. Pour l’anecdote cette plante (Asclepias) synthétise un alcaloïde appelé cardenolide qui est un stéroïde provoquant à très faibles doses un arrêt cardiaque chez les vertébrés. Cette famille de molécule comprend également la digitaline, d’où l’usage immémorial de la digitale pour se débarrasser de ses meilleurs amis. La larve du monarque tolère le cardenolide qu’elle stocke comme arme de défense et c’est la raison pour laquelle elle n’a que très peu de prédateurs. La décroissance du monarque nord-américain est attribuée à l’usage d’herbicides qui ont détruit une grande partie des asclépiades tant dans les fossés des routes qu’en bordure des cultures. Une campagne de réintroduction de cette plante a été entreprise par des associations de protection du monarque mais ce n’est pas l’objet de ce billet.

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Revenons donc au monarque nord-américain qui n’a qu’assez récemment envahi les îles du Pacifique Sud, de l’Océan Indien et de l’Océan Atlantique dont justement les Canaries. L’équipe du Docteur Kronforst de l’Université de Chicago a entrepris de mettre les choses au clair en procédant au séquençage des génomes de 89 monarques, y compris, bien sûr, celui d’Amérique du Nord, pour tenter de trouver une différence qui puisse expliquer cette divergence de comportement migratoire. La présence de monarques dans les îles des Océans Pacifique et Atlantique était supposée relativement récente, il n’en est rien selon les résultats de cette étude génétique. Il semblerait au contraire que les papillons, pour des raisons inconnues et qui restent à préciser aient progressivement atteint les Açores puis Madère et les Canaries où ils sont restés et devenus sédentaires. Pour les autres océans, c’est un peu plus compliqué à expliquer, si on considère que le monarque est bien originaire de l’Amérique du Nord, Mexique compris. L’immensité de l’Océan Pacifique paraît infranchissable pour ce papillon et à plus forte raison pour l’Océan Indien encore plus éloigné. En réalité, le monarque est bien un papillon originaire des régions tropicales d’Amérique Centrale. Mais qu’est-il donc arrivé pour qu’il se mette à migrer ? Ce n’est pas du tout comme cela que les choses se sont passées.

Par analyse des génomes de ces différents papillons, plus de 500 gènes ont été identifiés comme présentant des différences minimes (SNPs) et il a été possible de reconstruire un arbre phylogénétique très précis :

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Cet arbre en quelque sorte généalogique montre que le monarque est bien originaire d’Amérique Centrale, et il a traversé l’Océan Atlantique pour s’établir aux Açores, puis à Madère et aux Canaries. Depuis le Mexique, le monarque a traversé l’Océan Pacifique, belle prouesse, pour atteindre Hawaii puis les Samoa, Fiji, la Nouvelle-Calédonie et l’Australie. Ce qui s’est passé après ces migrations a été une forte sélection qui a conduit à une modification génomique profonde concernant le développement musculaire ou encore les fonctions neuronales.

monarque rené le honzecParmi ces modifications, il est apparu qu’un unique gène codant pour une espèce particulière de collagène était pratiquement absent chez les monarques migratoires, nommément celui codant pour le collagène IV alpha-1 directement impliqué dans l’efficacité des muscles propulsant les ailes. On savait déjà que les monarques migratoires consommaient moins d’énergie que leurs cousins sédentaires. Ils présentaient également un métabolisme énergétique général beaucoup plus modéré, des caractéristiques leur permettant de voler sur de très longues distances avec des dépenses en énergie modérées. En d’autres termes, quand le papillon n’a plus besoin de migrer, l’efficacité des muscles propulsant les ailes diminue car le gène codant pour ce collagène particulier n’est pas réprimé, en quelque sorte une adaptation moléculaire induite par la sédentarité. Sans entrer dans les détails, le collagène modifié, ou primitivement présent dans le monarque ancestral, favorise une plus grande souplesse des muscles des ailes avec un moindre apport en énergie.

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Au cours de cette étude, la recherche des gènes déterminant la couleur des ailes a aussi été entreprise. Par exemple à Hawaï les monarques locaux (non migrateurs) ont les ailes plutôt claires et non d’un orange soutenu.

L’étude a montré qu’encore dans ce cas un seul gène était impliqué dans cette différence de pigmentation. Curieusement ce gène code pour une protéine faisant partie d’une famille de composants protéiques nécessaires à l’architecture musculaire, ce qui était totalement inconnu. Comment corréler la couleur des ailes du papillon avec ses performances musculaires ? Il semble que cette protéine est aussi nécessaire dans le transport des pigments colorés vers les ailes du papillon. Chez la souris, un gène assez proche de celui du monarque et codant pour la myosine 5a, une protéine présente dans les muscles, affecte la couleur des poils de cet animal. L’étude de ce gène représente donc une nouvelle approche dans l’élucidation de la couleur des insectes.

Pour en terminer, et comme je le mentionnais en début de billet, la population de monarques migrateurs a considérablement diminué ces vingt dernières années en passant de près d’un milliard à 35 millions aujourd’hui, une diminution d’un facteur 30. Parallèlement, on a observé une sédentarisation très importante du papillon autour du Golfe du Mexique et d’autres zones de la Caraïbe. Peut-être qu’à terme les monarques migratoires disparaitront mais ce sera probablement pour de simples modifications de l’expression de leur génome, d’une certaine manière une évolution naturelle contre laquelle nous sommes impuissants. Cette constatation remet donc en cause, au moins en partie, l’influence de l’activité humaine sur la modification de l’habitat d’un grand nombre d’espèces animales, une évolution probablement naturelle dans la majorité des cas car la nature n’est pas figée mais évolue sans cesse avec le temps.

Source : Nature (je tiens à la disposition de mes lecteurs l’article de Nature qui n’est pas en accès libre et qui m’a été communiqué par d’aimables contacts universitaires de par le monde).


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