« Olga » de Madeleine Knecht-Zimmermann

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« Olga » de Madeleine Knecht-Zimmermann

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 27 septembre 2014
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Par Francis Richard.

olga« Pourquoi ne réalisons-nous pas qu’ils vont disparaître ceux que nous aimons ? Ils sont mortels, leurs jours sont comptés. Ils vont partir et nous serons seuls à la recherche d’eux, alors qu’il aurait suffi d’être vraiment là, attentifs et curieux, prêts à recueillir cette vie si riche qui a été la leur. »

Madeleine Knecht-Zimmermann, parvenue au bout, ou presque, du récit de la vie de sa tante Olga, se fait ces reproches. Sans doute n’a-t-elle pas réussi à tout reconstituer de ce que fut la vie de celle-ci, mais, parmi ses lecteurs, d’aucuns aimeraient bien être capables d’en écrire au moins autant sur certains de leurs proches aujourd’hui disparus… La vie d’Olga fut riche. Sa nièce, qui l’a vue souvent dans ses dernières années, en fait un récit ébloui à l’aide de ses propres souvenirs et de ceux de ses proches toujours vivants, grâce également aux photos conservées par Olga et à la correspondance qu’Olga a entretenue avec ses nombreux oncles, tantes et cousins, et avec… Antonio.

Olga est née en 1904 dans une famille modeste, devenue pauvre à la suite du décès de son père, Louis. Ce dernier était tailleur de limes de formation, mais la modernité ne lui avait pas permis de continuer ce métier. Il avait donc travaillé aux corrections des eaux de l’Aar et était mort noyé… Bertha, sa femme, couturière de métier, s’était retrouvée seule à élever cinq enfants en bas âge, dans un village de Seeland, dans le canton de Berne. Or, à l’époque, si les parents n’étaient pas en mesure d’élever leurs enfants, ils leur étaient enlevés pour être placés dans des exploitations agricoles, où ils étaient souvent traités comme des domestiques corvéables à merci et souvent maltraités par leur maître : « Bertha vivait dans l’épouvante que ses enfants lui soient ôtés, c’est pourquoi elle était plus dure qu’un marchand d’esclaves avec eux. »

Traitée sévèrement par sa mère, qui n’était pas plus tendre avec ses quatre frères, « Olga s’attacha à sa grand-mère », Catherine Zimmermann, la femme du cordonnier de Sainte-Croix : « Elle recevait sa bienveillance comme un affamé reçoit du pain. » Quoi qu’il en soit, Bertha parvint heureusement à épargner à ses enfants d’être placés, même dans les moments les plus difficiles, notamment pendant les années de la Grande Guerre, quand pauvreté signifiait ne pas manger à sa faim.

Jämes Zimmermann, un des nombreux frères de son mari, tant qu’il l’a pu, fit alors tout pour éviter aux enfants de Bertha d’en arriver à cette extrémité d’être placés. Un autre homme du village, qui n’était pourtant pas un nanti, prit alors providentiellement le relais de cette solidarité naturelle.

À 16 ans, Olga partit pour Zurich et y fit son apprentissage de secrétaire chez un avocat. Après quoi, elle trouva un emploi dans une filature de lin jusqu’au moment, dans les années 1930, où son patron renonça, parce que son entreprise n’était plus rentable. Elle trouva alors un emploi dans les services sociaux de la ville de Berne, qu’elle occupa jusqu’à sa retraite.

L’auteur n’est pas sûr qu’Olga se soit montrée très soucieuse du sort peu enviable des enfants placés qui étaient ses pupilles et cela la tourmente. À la réflexion, posant ses souvenirs « les uns à côté des autres, comme fait l’archéologue qui reconstitue patiemment une amphore ou une statue », elle en vient à la conclusion qu’il y a eu deux Olga : « La dure, l’impitoyable et cette femme intelligente, fine, rieuse et pleine de charme. »

La femme dure, impitoyable est celle qu’elle a surtout connue dans sa jeunesse et la femme intelligente, fine, rieuse et pleine de charme, celle qu’elle a connue bien plus tard et avec laquelle elle a fait des voyages en Italie : « Olga a changé, mais je ne sais pas quand. Quelque chose ou quelqu’un a érodé ce socle dur, cette masse impénétrable, ce névé, ce granit obstiné. Elle s’est mise à douter de ce qu’on lui avait appris. Les règles qui avaient régi son enfance et sa jeunesse lui ont paru cruelles. Il ne faut pas briser un enfant. Il faut au contraire l’aider à grandir, à trouver son chemin. »

Ce quelque chose, est-ce ce qu’elle a vu dans l’Italie de l’après Seconde Guerre mondiale dans laquelle elle s’est souvent rendue ? Ce quelqu’un, est-ce Antonio, l’interniste reconnu, qui s’est occupé de Petit-Louis, son jeune frère, quand il séjournait dans la maison de cure qu’il dirigeait à Locarno ? Antonio avait dit à Olga : « Pour oser être soi, il faut avoir confiance ou plutôt, il faut connaître quelqu’un en qui on peut avoir confiance. Nous avons tous besoin d’amour. »

L’auteur a su ce qu’Antonio a représenté dans la vie de sa tante grâce aux lettres conservées dans le secrétaire légué par Olga à sa sœur aînée : « Il était un homme vieillissant et la beauté d’Olga qui avait vingt-sept ans de moins que lui l’émerveillait. L’admiration qu’elle lui portait le rajeunissait. Il était peut-être ému par la curiosité de la jeune femme, son besoin d’apprendre et de savoir, de sortir du cercle étroit de son enfance. Elle découvrait son monde à lui avec enthousiasme, il en oubliait son âge. Il la guidait dans ses lectures, la conduisait dans les musées ou les vernissages, la présentait à ses amis. Il adorait en elle l’œuvre de ses vieux jours. »

Les amis d’Antonio ? Thomas Mann, Herman Hesse, Romain Rolland… La fin de leur histoire est moins souriante, puisqu’Antonio fut ruiné et qu’Olga, à son égard, finit par osciller entre compassion et agacement… À la faveur de ce récit familial, qui est passionnant, et instructif, à lire – on a tendance à enjoliver le passé et à cultiver la chimère de l’âge d’or -, Madeleine Knecht-Zimmermann revisite le XXème siècle dont les tourments n’ont pas épargné la Suisse, si elle fut moins touchée que d’autres pays.

L’auteur raconte ainsi la misère dans la campagne bernoise de l’avant Première Guerre mondiale, le fléau de la grippe qui faillit emporter deux de ses frères, la crise des années 1930, la Seconde Guerre mondiale, l’après-guerre… Le jour de l’enterrement d’Olga, sa nièce Madeleine apprit que sa tante avait décidément bien changé en découvrant la tâche qu’elle s’était donnée à la fin et dont elle ne lui avait jamais rien dit…

Eh oui, les gens changent et, ce qui est rassurant pour l’humanité, c’est qu’ils peuvent même encore décevoir en bien en vieillissant…

  • Madeleine Knecht-Zimmermann, Olga, L’Aire, 2014, 248 pages

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