Jean-Pierre Andrevon : « Parodier la science-fiction, c’est un peu la détruire »

Seconde partie de l’entretien avec l’auteur de science-fiction Jean-Pierre Andrevon.

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Jean-Pierre Andrevon : « Parodier la science-fiction, c’est un peu la détruire »

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 30 août 2014
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Entretien réalisé par PLG, Tino Bouzembrak et Christophe Mussard

Première partie de l’entretien à retrouver ici.

La science-fiction repose avant tout sur l’imagination. On imagine un univers en le lisant, on le visionne lorsqu’il est filmé. Le film conduit-il d’après vous à amoindrir l’imaginaire ou en est-il au contraire un support efficace ?

Personnellement j’ai toujours été un visuel. Certes j’écris beaucoup, mais je peins également, et je fais du dessin. Les deux se rejoignent fatalement. S’il y a bien un genre qui réclame des images c’est la science-fiction. Lorsque j’étais enfant, et que je voyais des films avec des effets spéciaux très sommaires, j’étais frustré de ne pas retrouver à l’écran ce que je lisais. Mais avec le perfectionnement des techniques, l’invention du numérique, je vois enfin à l’écran ce que j’étais frustré de ne pas trouver quand j’étais gosse. Même si bien sûr cela ne remplacera jamais la nécessité d’un très bon scénario. D’ailleurs vous aurez noté que les deux films à six étoiles ont été filmés avant l’apparition des effets spéciaux modernes.

Observez-vous une tendance à la hausse ou à la baisse de la qualité des films ?

Je ne crois pas qu’il y ait de tendance particulière ; chaque époque a ses bons et ses mauvais films. Par exemple, en grand fan de bandes dessinées, donc de comics et de super héros, je trouve que les films de ces dix dernières années sont globalement de très bonne facture. J’aime beaucoup les adaptations des X-men, de Spiderman ou des derniers Batman. Ils constituent à chaque fois une réinterprétation des personnages, tout en gardant leur esprit d’origine.

Il n’y a pas de limite à la science-fiction mais il y a des codes à respecter.

Une bonne œuvre de science-fiction est-elle nécessairement politique ?

C’est difficile à dire ; en mai 68 on disait : tout est politique. Elle se glisse entre les mailles, quoi que l’on fasse, que l’on dise. La conquête de l’espace, la manière de rencontrer l’autre, l’étranger, de construire une cité future sont considérées selon des optiques différentes. En revanche, on peut remarquer que certaines idées en sont exclues. Vous n’aurez par exemple aucun auteur qui se déclarera ouvertement fasciste ! D’une certaine manière, chaque auteur dresse une vision du monde potentiellement meilleure que celle à laquelle il pense vraiment. Et puis chaque époque génère sa propre science-fiction. Avatar par exemple est un film qui reprend les thèmes des années 1970, c’est-à-dire l’écologisme, l’anticolonialisme, le pacifisme etc. La planète qui sert de décor n’est rien d’autre qu’un Vietnam. Ce qui est certain, c’est que pour qu’une œuvre de science-fiction soit réussie, elle doit prendre sa base dans le quotidien.

Y a-t-il une part d’irréalisme que même la science-fiction ne peut pas franchir ?

Je ne crois pas qu’il y ait de limites, mais il y a des codes. Il faut que le lecteur ou le spectateur puisse entrer dans l’univers proposé dès les premières minutes ou les premières pages de l’œuvre en question. Et, une fois les bases posées, ce qui suit doit être en parfaite cohérence. Si vous prenez le film Sunshine par exemple, le postulat de départ est que le soleil refroidit en quelques années, ce qui entraîne une glaciation rapide de la terre.

sunshine

Les humains réunissent les matériaux fissiles dont ils disposent et créent une bombe-vaisseau spatial qu’ils doivent faire exploser dans le soleil pour relancer sa combustion. Ce postulat est parfaitement irréaliste, mais l’univers construit autour est cohérent : la forme du vaisseau protégé par un grand bouclier, la chaleur qui augmente à mesure que l’on se rapproche du soleil etc.

La force de la science-fiction ne réside-t-elle pas également dans la liberté qu’elle permet ?

Absolument, puisqu’il faut tout inventer ! Il faut partir d’un matériau qui est la vie d’aujourd’hui, auquel on donne un coup de pouce plus ou moins grand pour imaginer l’avenir. À chacun d’imaginer son propre futur selon son idéologie, son expérience personnelle et son imagination. C’est ce qui explique son immense foisonnement et son universalité. Elle est aussi le terreau des utopies. C’est grâce à la science-fiction qu’est né le rêve de la conquête des étoiles ; et même si aujourd’hui ce rêve est en toute petite partie réalisé, il restera à jamais un rêve, les lois de la physique nous interdisant a priori définitivement de les atteindre.

De très nombreuses œuvres de Science-fiction mettent en scène des robots. Dans une majorité des cas, ils sont assimilés à un danger potentiel (Matrix, I Robot, etc.). Pourtant ils sont aujourd’hui présents partout et sont très bien intégrés à notre quotidien. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?

FnSuperluxe119-1982C’est le vieux fantasme de l’espèce qui nous remplacera. Le terme vient de la pièce de  Karel Čapek R.U.R, du mot tchèque robota (corvée). Le robot, c’est l’esclave qui se révolte. La peur que nous éprouvons provient de notre propre culpabilité à faire effectuer le travail pénible par d’autres. C’est une peur similaire à celle des romains avec les esclaves. Pensez à l’histoire de Spartacus. Mais je ne crois pas que cette peur soit encore véritablement d’actualité. On voit tous les jours les robots se multiplier, s’insérer dans notre quotidien ; les gens achètent des robots pour les servir, faire le ménage, etc. Et en même temps, je suis là encore sceptique sur leur capacité réelle à nous remplacer dans l’avenir. Cela demande en effet la mise au point de techniques extraordinairement complexes que nous sommes très loin de maîtriser. Je ne crois pas à l’existence de robots humanoïdes tels que la science-fiction les conçoit le plus souvent. J’imagine plutôt l’avenir comme une intelligence artificielle disséminée à travers le monde, dans toute la domotique. Sur ce thème je conseille la lecture de Jean-Gaston Vandel, Alerte aux robots, qui décrit des personnes ébouillantées par leur douche ou leur plaque chauffante…

Est-il possible de discerner des écoles nationales de science-fiction ? Ou ce genre est-il intrinsèquement universel dans sa forme ?

La science-fiction est née en France avec Jules Verne, mais elle a grandi en Amérique. Elle incarne le continent du futur pour le reste du monde. Dans la grande époque de la science-fiction, c’est-à-dire les années 1950 et 1960, c’est aux États-Unis que l’on inventait tout. C’est elle qui a lancé la conquête de l’espace, ou tout du moins celle de la Lune. Il y a également de très bons auteurs anglais. Peut-être une question de langue : la plupart des connaissances scientifiques sont anglo-saxonnes. À côté de cela, on dit souvent que la science-fiction anglo-saxonne est plus technologique, tandis que la science-fiction française est plus psychologique. Il y a eu quelques adaptations françaises de romans qui ont réussi à se faire une place, comme l’adaptation de Fahrenheit 451 par François Truffaut. Mais d’un exemple, il est impossible de tirer une généralité.

alien-le-8aaame-passa-ii-aff-1-gUn film dont vous auriez aimé avoir la paternité ?

Sans doute Alien de Ridley Scott. Le film allie la banalisation des voyages dans l’espace à l’existence d’extraterrestres multiples. L’histoire est excellente, angoissante lutte pour la survie d’un groupe de gens normaux contre une menace imprécise, groupe dont les membres seront tués un à un, presque à la manière d’un roman policier. En plus le héros principal est une femme, ce qui n’est pas si fréquent dans la science-fiction et dans le cinéma en général. Enfin il faut noter un petit aspect non pas parodique mais plutôt de remise en question, puisque les héros n’en sont pas vraiment, il s’agit de personnages d’apparence tout à fait banale, et même parfois un peu minable.

Il est illusoire de penser que les problèmes du monde seront résolus par la colonisation d’autres Terres.

La science-fiction est pourtant rarement parodique. Comment expliquer sa tonalité généralement sérieuse ?

Parodier, c’est un peu détruire. Comme il est très long de bâtir un univers de science-fiction crédible, je pense qu’il est difficile pour le même auteur de le voir détruit dans sa parodie. C’est un peu comme si vous passiez des heures à construire un Lego dans le seul but est de le supprimer en quelques instants. Il y a quand même quelques auteurs qui sont très drôles : Robert Sheckley par exemple met toujours en scène des explorateurs minables, qui ne savent même pas piloter leur vaisseau. On peut aussi citer Philip José Farmer qui a écrit des parodies d’univers connus comme celui de Tarzan ou de John Carpenter. D’une manière générale, les quelques livres parodiques que j’ai eu à lire me sont tombés des mains. Ils sont souvent un peu ratés, et me donnent parfois l’impression que leurs auteurs essaient de critiquer un genre qu’ils n’arrivent pas à maîtriser. D’une certaine manière ils parodient parce qu’ils manquent de choses à dire.

La majorité des œuvres de science-fiction ont une fin plutôt heureuse, car les êtres humains parviennent à surmonter la plupart des obstacles. Est-ce un sentiment que vous partagez ?

Quand on me demande si je suis pessimiste, je réponds que je suis simplement lucide ! Lorsque l’on voit les problématiques liées à une certaine surpopulation, on ne peut que se poser des questions sur l’avenir de l’humanité. Et je le répète, il est illusoire de penser que la solution passera par la colonisation d’autres terres.

En admettant que vous ayez raison, pourrait-on aller jusqu’à dire que la science-fiction est contre-productive, dans la mesure où elle laisse espérer des solutions qui n’en sont définitivement pas ?

Peut-être y a-t-il des planètes proches de la nôtre avec des briques de vie et des matériaux exploitables. Mais il s’agit de tout autre chose que du développement de la vie humaine sur lesdites planètes. La science-fiction n’est rien d’autre qu’une version moderne des contes de fées, elle doit être prise comme telle et nous aider à réfléchir sur notre présent. Mais seuls les chiffres disent la réalité. Penser autrement serait contredire la théorie d’Einstein. Nous n’y sommes pas encore… La différence est que la science-fiction a un vernis scientifique qui impressionne les gens et peut donner l’impression aux non-initiés qu’elle décrit des choses possibles. Mais il suffirait de se renseigner pour connaître la limite raisonnable de nos possibilités.

Dans votre œuvre Gandahar, vous développez vos thèmes de prédilection, c’est-à-dire les thèses écologistes. Dans Gandahar et l’oiseau monde, la principale menace est représentée par l’énergie nucléaire. D’où vient cette peur ?

Gandahar, les années-lumièreGandahar était mon tout premier roman. J’essaie d’y aborder plusieurs thèmes, comme l’intelligence artificielle, les relations entre l’homme et la nature, et même le nazisme via l’invasion des hommes-métal, et plus tard en effet, mais dans des romans ultérieurs, le nucléaire. Ce qui fait peur dans le nucléaire, c’est sa capacité potentielle de destruction. Quand on pense qu’il suffit d’un accident pour rendre inhabitable une vaste zone pendant des centaines d’années voire plus, cela ne peut que susciter un certain nombre de questions. Mais j’essaie de ne pas être trop manichéen. Dans Gandahar et l’oiseau monde, la conséquence du nucléaire est double : non seulement elle est sur le point de détruire la planète Tridan, mais elle oblige Sylvain à tuer ce qu’elle a fait germer : ce gigantesque oiseau à naître dont l’élimination permet à l’humanité de survivre. C’est d’une certaine manière le réflexe primaire de la lutte pour la vie : je suis farouchement écologiste, je suis un fervent défenseur de la cause animale, pourtant si demain un tigre me saute dessus et que j’ai une arme je n’hésiterai pas à tirer !

Vous avez écrit votre premier Gandahar en 1969. Puis vous n’y êtes revenus qu’en 1995 avec L’oiseau monde. Le dernier est paru en 2005. Pourquoi un tel laps de temps, et comptez-vous encore revenir à cet univers ?

Dès le départ, je voulais écrire une suite. Le scénario de L’oiseau monde a été imaginé juste après le premier Gandahar, mais à l’époque j’étais très occupé par les différentes revues auxquelles je collaborais. J’écrivais également beaucoup de nouvelles pour alimenter « Fiction ». Les jours se succédant, le temps a filé. L’adaptation en film aidant (Gandahar, réalisé par René Laloux en 1987), j’ai fini par trouver le temps de m’y remettre. À partir de là, les suites se sont petit à petit enchaînées.

Pensez-vous avoir fait le tour de la question ou aimeriez-vous en publier un nouveau ?

J’ai en projet une préquelle, qui raconterait la formation du royaume de Gandahar et la manière dont la Reine Ambisextra est parvenue sur le trône et est devenue immortelle. Comme un de mes éditeurs a pour projet de rééditer l’ensemble du cycle de Gandahar, j’en profiterai pour peaufiner ce scénario afin que le cycle soit définitivement bouclé. Ce serait peut-être le moment d’imaginer une nouvelle adaptation en dessin animé, ce que j’aimerais beaucoup, même si ce n’est pas évident.

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  •  » Dans Gandahar et l’oiseau monde, la principale menace est représentée par l’énergie nucléaire »
    Risible, le nucléaire est au contraire un atout pour sortir de ce trou à rat, la Terre, et vivre ailleurs. Les raisons de la nécessité de la colonisation spatial sont dans le passé de notre espèce. Mais pour comprendre il faut avoir lu un peu de paléoethnologie..

  • J’ai trouvé ces deux billets et le protagoniste vraiment très intéressant, merci!

  • Les commentaires sont fermés.

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