Qui fait partie du Peuple ? Libéraux contre syndicalistes

Qui fait partie du peuple ? Qui gouverne ? Qui est gouverné ?

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Qui fait partie du Peuple ? Libéraux contre syndicalistes

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 29 août 2014
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Qui fait partie du peuple ? Qui gouverne ? Qui est gouverné ? Un contribuable victime d’une institution intimidante, le syndicat, ou un travailleur menacé par le patronat qui doit serrer les rangs derrières mes protecteurs ?

Par Gabriel Lacoste, depuis le Québec.

peuple credits Gotz Keller (licence creative commons)

Nous vivons ces derniers temps au Québec une crise reliée aux régimes de pension de retraite promis à nos employés municipaux. Nos politiciens voient le gouffre financier et cherchent à les renégocier. J’entre à Montréal par un de ses ponts, puis ma copine attire mon attention sur une affiche publicitaire financée par les organisations syndicales : « Le Gouvernement nous ment. » Ce message m’a rendu songeur par son double sens :

1- Les organisations syndicales et tous ceux qui travaillent pour la ville font partie du gouvernement. Le politicien qui renégocie leur fond de pension agit étonnamment dans ce contexte comme un défenseur des contribuables contre l’agression d’un groupe organisé qui veut lui commander de force de leur remettre le fruit de leur travail. Les payeurs de taxes peuvent donc conclure qu’effectivement le « gouvernement » (les employés de la ville) « nous » (les payeurs de taxes) ment.

2- Les organisations syndicales ne font pas partie du gouvernement. Elles représentent la grande famille des travailleurs inféodés à un « boss » et le gouvernement n’en est qu’un parmi d’autres. Ils lancent à leur semblable « nous devons tous être solidaires ensemble contre ces gens-là, sinon ils vont nous avoir. »

Ce conflit d’interprétation se ramène à une confusion identitaire. Qui est qui ? Qui gouverne ? Qui est gouverné ? Les politiciens qui sabrent dans les conditions des employés de la ville ou les employés de la ville ? Qui suis-je ? Un contribuable victime d’une institution intimidante, le syndicat, ou un travailleur menacé par le patronat qui doit serrer les rangs derrières mes protecteurs ?

Origine de l’identité syndicale

Ce problème identitaire a des racines plus profondes. Un concept pivot dans notre vision du monde est celui de « Peuple ». C’est l’autorité ultime à consulter en cas de désaccord moral. Ce paradigme s’est construit en opposition à l’ancien régime aristocratique. À l’époque, « Peuple » était désigné par les élites comme une insulte équivalente à « troupeau ignare et stupide ». Au passage de l’ère démocratique, cet usage est devenu tabou, au même titre que « nègre », « pute » ou « race ». Le Peuple, comme tout concept normatif, a besoin d’un ennemi à surveiller autour duquel serrer les rangs. Celui-ci doit être un groupe quelconque de malfrats qui représente une menace envers les honnêtes gens et qui se trouve habituellement dans la haute-société, mais parfois dans la basse (pour les conservateurs).

Le mouvement syndical a construit sa rhétorique en définissant le Peuple comme les « travailleurs » et l’ennemi comme les « patrons ». Au-delà de la langue ou des origines, ce qui nous unit, c’est une même douleur : le poids du travail et la subordination à des dirigeants. Ils ne distinguent pas entre le chef d’une usine, le chef d’une ville ou le chef d’un magasin. Ils font tous partie de la même famille d’ennemis : ceux qui nous disent quoi faire et quoi leur donner pour avoir du pain et du beurre. Le chef d’un syndicat est exclu de cette équation dirigeante sous prétexte qu’il a été élu en assemblée par des gens de la base.

C’est dans ce contexte que les employés municipaux affichent à l’entrée de Montréal « le gouvernement nous ment ». Le gouvernement, ce n’est pas eux, mais les fieffés coquins qui passent leur journée dans des soupers chics et des hôtels quatre étoiles pendant qu’eux triment dur. C’est à eux qu’ils veulent saisir les fonds pour leur retraite. Cette rhétorique résonne instinctivement dans les tripes de tous ceux qui sont révoltés de gagner si peu pendant qu’une telle clique se la coule douce à même la sueur de leurs fronts en leur donnant des ordres.

La référence obligée au Peuple agit alors comme un piège pour quiconque veut manifester son désaccord envers ce discours. Si vous pointez du doigt un employé de la ville et lui dites « tu me voles de l’argent », vous commettez alors un crime de lèse-Peuple en offensant un camarade de même labeur et de même condition au profit de ceux de la haute-société. Vous êtes un traître. Taisez-vous.

C’est ainsi que les meneurs de foule resserrent tranquillement leur emprise sur nous, prétendant qu’ils ne mènent personne, mais qu’ils sont la foule. Ils proclament alors orgueilleusement et agressivement : « nous sommes le Peuple, pas vous. Vous êtes du bord de ceux qui nous gouvernent et vous nous mentez. »

La trappe à libéraux démystifiée

Ultralibéralisme Neolibéralisme Antilibéralisme (René Le Honzec/Contrepoints)Le courant de pensée qui entoure les syndicats décrit le libéralisme de manière à en faire un épouvantail. Lorsqu’ils en parlent, ils ne décrivent pas la réalité, mais font « Bouh ! », « Ayez peur ! », « vos enfants sont en danger ! », « la fin du monde approche ! » de manière à rassembler une foule dans leur église, puis de la jeter ensuite dans la bagarre, question de faire fuir les oiseaux de leur vert pâturage. Les libéraux sont des « ultra » ou des « néo », bref des fanatiques ou des usurpateurs. Ils camouflent leur petitesse d’âme dans de grandes théories accrocheuses. En réalité, ils sont concentrés sur leur Égo, cherchent à amasser de l’argent, ignorent les grands idéaux de ce monde et sont prêts à tout pour obtenir ce qu’ils veulent. C’est pourquoi ils n’aiment pas les règles et voudraient un libre-marché. À une époque de franc-parler, cette logique se résumerait dans un « tiens, sale juif, je t’ai démasqué ! » ou « Satan, sors de ce corps ! » Cependant, le tabou de lèse-Peuple étant ce qu’il est, cette accusation doit s’adoucir. « Ultra-néo-libéral » fait l’affaire.

La réalité est bien différente. La décrire en reprenant le concept de Peuple est une excellente manière de montrer comment. Les libéraux ne sont pas pour l’individu contre le Peuple, mais définissent le Peuple différemment. Selon eux, il désigne une communauté de personnes qui se reconnaissent mutuellement des droits surtout lorsque cela implique de frustrer ses propres désirs et ambitions. L’ennemi de ce Peuple n’est pas le riche, le chef ou quiconque se trouve dans la haute société, mais quiconque transgresse cette loi. Si quelqu’un mobilise des forces de manière à nous en protéger, il ne nous gouverne pas, mais nous défend contre ceux qui veulent nous commander. Nous nous gouvernons nous-mêmes en l’ayant à nos côtés contre des individus hostiles qui ont l’audace de se considérer au-dessus de ce qui nous cimente. Leur crime de lèse-Peuple ne consiste pas à s’élever matériellement au-dessus de la masse, mais moralement.

Ce qui dérange dans cette approche, c’est qu’elle représente une menace pour nombre d’individus moyens, alors qu’il est plus rassembleur de pointer du doigt seulement des gens de la haute société. S’il faut un bouc-émissaire à nos conflits sociaux, le riche et le puissant sont ceux qui sont les plus aptes à le supporter. Dire en public « le gouvernement et les riches nous mentent » est socialement plus acceptable que « les employés de la ville nous mentent ». C’est donc la cible à viser pour donner une portée à son discours sans avoir l’air méchant. Accuser un simple conducteur d’autobus ou un bétonnier de violer les droits du contribuable alors qu’il y a des crimes beaucoup plus graves qui se trament dans des hôtels de luxe apparaît donc petit et mesquin de la part des libéraux.

Comment s’en sortir ?

Etat (Crédits : René Le Honzec/Contrepoints, licence Creative Commons)Une fois pris au piège, comment s’en sortir ?
Il faut d’abord briser les tabous. Le Peuple est employé comme un bâillon pour faire taire le franc-parler. Nous nous comportons comme une famille qui contient un agresseur, mais qui adopte la loi du silence pour sauver l’intégrité du groupe. C’est la victime qui dénonce qui passe pour la méchante. Si des personnes parmi le Peuple estiment se faire voler par d’autres membres de ce Peuple, elles doivent pouvoir se sentir libres de l’exprimer directement sans détour et sans considération pour les émotions de celui qui le reçoit, sans avoir à craindre d’être invectivées sur la place publique et bannies. Ce n’est qu’à un tel prix que nous pouvons réellement prétendre à la « démocratie ». Notre société actuelle n’en est pas une. Elle ressemble plus à une communauté de prisonniers ou d’adolescents qui intimident ceux qui vont se plaindre au directeur.

Ensuite, le premier tabou à démolir, c’est de croire que les individus moyens sont des saints intouchables, purs et nobles, dépourvus de malice et d’amour-propre, alors que le vice se concentre seulement dans les hautes sphères. Les révolutions modernes ont mis fin à la pensée aristocratique en sanctifiant quasiment tout le monde. Appelons un chat un chat. Un travailleur a une prédisposition à la paresse et à la nonchalance sauf dans les rares cas où il effectue une tâche digne d’un hobby. La plupart des gens préfèrent travailler à discourir sur le sens de la vie, à surveiller les autres, à les juger, à jouer les héros ou à faire de l’art plutôt qu’à se plier à la demande prioritaire des autres. Nous aimons le pouvoir de l’argent et il nous est plus facile de nous raconter des excuses que de nous départir d’un privilège au profit d’un autre. Nous sommes prompts à la pensée magique, surtout si nous n’avons pas à assumer clairement le prix de nos décisions. Très peu de gens vont développer bénévolement et impartialement les réflexions nécessaires pour comprendre même grossièrement la complexité du monde qui nous entoure. Tout cela fait partie du Peuple.

Gardant cela en tête, il est plus facile de comprendre comment un patron, un investisseur ou un entrepreneur qui font fortune peuvent faire partie du Peuple davantage que les employés syndiqués qui usent d’intimidation pour obtenir ce qu’ils veulent. Prendre le contrôle pacifiquement d’une quantité suffisante de ressources, offrir à des travailleurs un salaire qu’ils acceptent sans les forcer à le faire, les organiser, les discipliner, puis orienter l’ensemble de cet effort vers un produit que les gens ordinaires sont disposés à payer suffisamment pour faire fonctionner l’ensemble d’un projet constituent des tâches extrêmement difficiles. Peu de gens sont aptes à le faire. C’est pourquoi ceux de la basse ou du milieu de la société ont intérêt à propulser ceux qui s’en montrent capables dans la haute société en mettant du luxe à leur disposition. Ceux parmi nous qui jouent les fiers-à-bras pour détourner à leur profit les ressources qui servent à appâter de tels aspirants leaders n’agissent pas dans notre intérêt, mais dans le leur et frustrent la volonté du reste de la communauté en faisant passer leurs vessies pour nos lanternes. Ils ne sont pas solidaires, mais hostiles au Peuple.

Bien sûr, nous pouvons soupçonner que de nombreuses personnes se sont enrichies, puis maintenues en place en profitant des largesses du pouvoir et de privilèges légaux. Il n’y a rien qui nous dit a priori que nos riches actuels répondent à la définition du leader au service de sa communauté. Cependant, donner à l’ensemble de la population la liberté de choisir elle même quels projets elle financera par ses achats constitue précisément le test qui nous permet de le déterminer. Il n’est pas parfait. Il a des « failles », mais il est meilleur que les alternatives qui nous sont proposées. Le vote, l’activisme, l’éducation citoyenne, la cartellisation en corporation de travailleurs contiennent toutes ces failles, mais en lui ajoutant la bêtise propre à une foule placée devant des opportunités de pillage.

Même si nous refusons ce raisonnement, la rhétorique syndicale est trompeuse sous un autre aspect. Lorsque les employés de la ville exigent une retraite avantageuse, ils n’accompagnent pas leur demande d’une condition selon laquelle les fonds doivent être prélevés sur les dirigeants de notre société. Si le gouvernement concède, puis taxe le reste du Peuple en conséquence, ils ne déchirent pas leurs chemises. Leur solidarité est unidirectionnelle, de nous vers eux. Ils nous disent « nous prenons votre argent, allez le récupérer auprès des riches ». Au fond, ces gens-là participent du système d’extorsion de nos gouvernants et ne les blâment que pour endormir les véritables victimes.

Finalement, « travailler » n’est pas une excuse pour saisir à la communauté des ressources. Le plus difficile n’est pas de faire quelque chose, mais de se plier à ce que les autres demandent. Nombreux sont les employés du gouvernement qui travaillent à frustrer les désirs des autres, à leur mettre des bâtons dans les roues inutilement, à ralentir la chaîne de production et à détourner les ressources de gens honnêtes vers des gens malhonnêtes. Certains ont simplement transformé leur hobby en source de revenu en créant à son endroit une demande artificielle. Que ces actions soient qualifiables de « travail » camoufle le fait qu’elles ne sont pas solidaires envers le reste de la communauté.

Au final, la meilleure manière de définir le Peuple, c’est comme une communauté de personnes respectueuses des droits des autres. Les gens qui y résistent Lui sont hostiles, peu importe qu’ils viennent des basses souches de la société ou du haut de sa pyramide. Le définir plutôt comme une communauté de travailleurs contre ceux qui nous gouvernent est au contraire le meilleur bouclier rhétorique pour faire passer le vol et le mensonge institutionnalisés pour de la solidarité.

« Le gouvernement nous ment ». Oui, mais ceux qui affichent ce message à l’entrée de Montréal se trompent radicalement sur qui fait partie du gouvernement et qui fait partie du nous.

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  • Bonjour,
    Un article avec un point de vue au départ assez original avec l’idée de redéfinition des différentes catégories sociales mais qui finit à mon sens avec bon nombre de critiques assez faibles et lacunaires.
    Je ne connais pas bien le sujet précis discuté ici ni le Québec, mais si je suis assez d’accord pour fustiger le rôle prépondérant et souvent abusif des syndicats, qui ne représentent plus grand monde, vous ne parlez pas par contre -sur le sujet précis des retraites- du « détournement » au profit du capital, donc des actionnaires d’une part de plus en plus massive de la plus-value réalisée par les entreprises, (évaluée à 200 Milliards d’euros en France des années 80 à nos jours), ce qui à terme, confisque pour les dites entreprises (dont je défends l’utilité majeure par ailleurs, étant moi même à la tête d’une PME de dix personnes, précisions à toutes fins utiles) de précieux moyens d’investissements et de relance économique et au travailleur concerné des possibilités de financement des pensions. Je suis d’accord avec vous que l’on ne peut pas se contenter d’une pensée « magique » et vouloir sortir 100 quand on en rentre que 50 et que la plupart des gouvernements des pays occidentaux ont à cet égard un comportement scandaleux et irresponsable; ne pas parler sur le sujet précis des retraites de l’évasion et « capitalistique » et fiscale des recettes économiques constitue à mon sens non pas une erreur, car vous êtes trop fin et renseigné pour cela mais une posture à la limite de la malhonnêteté intellectuelle.

  • « Je drape la vile nudité de ma scélératesse sous quelques vieux haillons volés à l’évangile et passe pour saint à l’heure où je fais le diable. » — (Shakespeare, Richard III, acte I, scène 3)

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