Faut-il avoir peur des pactes anti-débauche ?

Faut-il avoir peur des pactes anti-débauche, comme celui de Steve Jobs dans la Silicon Valley ?

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Faut-il avoir peur des pactes anti-débauche ?

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 12 août 2014
- A +

Par Baptiste Créteur.

 

Steve Jobs credits Ben Stanfield licence creative commons

 

Faut-il avoir peur des pactes anti-débauche, et les entreprises en ont-elles réellement besoin ?

Une juge californienne accuse le défunt et adulé Steve Jobs d’être l' »instigateur d’un pacte anti-embauche dans la Silicon Valley. »

Concrètement, l’ancien dirigeant d’Apple et Pixar aurait d’abord conclu un pacte avec George Lucas et Lucasfilms (alors qu’il dirigeait Pixar) selon les termes duquel aucun ne devait débaucher les employés de l’autre. À la tête d’Apple, il aurait conclu le même pacte, cette fois avec « 7 groupes technologiques comme Apple, Google, Intel ou Adobe ». « Débaucher » signifie ici recruter des employés d’une autre entreprise. Il ne s’agit en rien d’un pacte anti-embauche ; débaucher n’est pas le contraire d’embaucher.

Toujours est-il que les employés d’alors se sont unis pour un recours en justice afin de faire valoir leurs droits, en l’occurrence :

La juge a ainsi maintenu la plainte en nom collectif, déposée en 2011 par 64.000 salariés du secteur technologique. Ils accusent leurs anciens employeurs d’avoir nui à leur évolution professionnelle en raison d’accords tacites passés entre les géants de la Silicon Valley. Les plaignants affirment que des groupes comme Apple ou Google ont scellé des ententes illégales visant à ne pas tenter de recruter leurs employés mutuels et ne pas faire de contre-offre si un employé négociait avec l’une d’elles. […]

Les hauts dirigeants des entreprises sont accusés «d’avoir élaboré un réseau interconnecté de pactes explicites pour éliminer toute concurrence entre eux sur les travailleurs qualifiés», indiquent les plaignants.

Dans une société libérale, l’État ne serait pas chargé de contraindre les politiques RH des entreprises. Faut-il avoir peur des pactes « anti-débauche » ?

En un mot, non. Le pacte anti-débauche rassure les entreprises sur les formations, l’expérience et les responsabilités qu’elles offrent à leurs employés, et évite des hausses de salaires résultant de négociations avec les plus qualifiés et compétents. Mais il n’y a pas que des gagnants ; les employés ne sont pas les seuls lésés.

Ce qu’une entreprise offre à ses employés et sa politique de recrutement, développement et rétention des talents sont dans certains secteurs déterminants pour attirer les plus brillants. Quand les compétences sont rares et l’excellence précieuse, les entreprises se plient en quatre et offrent à leurs salariés des conditions de travail et des salaires attractifs. Pour certaines entreprises et certains secteurs, c’est l’image et le prestige plus que les conditions de travail qui importent ; nombre d’entreprises du luxe offrent de bas salaires auxquels les employés-fans sont insensibles, et le conseil et la finance ont encore largement la réputation d’être une voie royale après des études d’ingénierie ou de commerce.

Dès lors, une entreprise qui sait qu’elle a mieux à proposer à ses employés que ses concurrentes et cherchant à recruter a tout intérêt à rompre un quelconque pacte pour attirer les meilleurs. Et les autres entreprises, à chercher à les retenir. Cela conduit à un alignement des salaires par le haut. C’est en cela que les salariés s’estiment lésés.

Mais un tel pacte n’aurait pas tenu éternellement. Qu’il ait duré signifie avant tout qu’aucune de ces entreprises ne se pensait capable de se distinguer durablement de ces rivales auprès des salariés, offrant à la concurrence de meilleures chances de recruter les talents.

En l’occurrence, on peut soupçonner que cela se soit fait au bénéfice des startups. À moins que les jeunes diplômés et les talents ne se soient orientés vers d’autres secteurs devenus relativement plus attractifs à leurs yeux. Ou n’aient décidé de monter leur entreprise. Quoi qu’il en soit, les entreprises prenant part à ce pacte sont, sur le long terme, perdantes. Pas les employés, qui n’ont pas le choix qu’entre ces entreprises pour évoluer professionnellement mais y restent car ils ne s’y sentent pas si mal.

Tant que certaines entreprises peuvent se tirer des balles dans le pied, tout va bien. Mais quand on impose à toutes les entreprises de le faire, c’est là qu’il y a un problème.

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  • C’est hélas un réflexe récurrent : dès que c’est possible, facile et donc intéressant, toute oligarchie s’emploiera à restreindre la concurrence. Ce n’est pas l’Etat qui réagit à cette entente, ce sont les premiers intéressés, à savoir les employés. C’est très bien comme ça.

    La californie n’en est pas à son coup d’essai : la loi californienne permet pour Hollywood des contrats d’exclusivité de 7 ans, dérogeant au droit du travail ordinaire.

    Autre exemple américain : lorsque la Chine communiste s’est enfin dotée de contrats de travail écrits dans les années 2000, la chambre de commerce américaine en Chine a protesté énormément sur le fait qu’ils interdisaient les clauses de non concurrence pour… les ouvriers, pratique léonine très pratiquée dans les zones franches, et s’apparentant dans les faits à un quasi esclavage.

    Il ne faut jamais faire d’angélisme et ne jamais oublier qu’à la base, un entrepreneur normal a horreur de la concurrence. Ce n’est pas un mal ni un bien, c’est un fait et les stratégies de réduction de la concurrence font intégralement et explicitement partie des stratégies corporate de ce temps.

    • Quelle horreur. Les entreprises auraient donc un intérêt à réduire la concurrence ? Elles ont aussi intérêt à rendre les produits obsolètes, à faire travailler plus les gens pour des salaires de moins en moins grands.
      Mais que fait l’État ???? On va finir en monopole avec des produits qu’il faudra racheter tous les jours en travaillant pour rien !!
      Travailleurs de tous pays ! Unissez-vous !

      • Rien de neuf : aucune entreprise en place n’appelle de ses voeux l’émergence d’un concurrent.

        Bastiat, souvent cité ici, était le premier à défendre le droit aux ouvriers de former des ententes pour s’opposer aux ententes entre entrepreneurs.

        Adam Smith aussi d’ailleurs avait déjà identifié les stratégies corporate pour lutter contre la concurrence.

        Tout ça pour dire que le marché, ça ne tombe pas du ciel, y compris celui du travail. C’est une conquète (bon article sur le bouquin de Fontaine sur le site d’ailleurs).

        • Tout à fait. Je m’associe à vos deux commentaires. (Et du coup certains risquent de voir un manque de cohérence avec mon message plus bas. Donc, par avance, Il n’y en a pas.)

      • @ Ph11: Vous devriez vous calmer mon vieux, vous avez l’air de voir des étatistes partout.

        • @Moi @Ph11

          On reconnait un double standard typique d’un autoritarien néolibéral qui défend la liberté d’association des patrons tout en condamnant la liberté d’association des travailleurs.

          Or, chez les capitalistes, le libre marché doit être valide pour tout capital, qu’il s’agisse de moyens de production, de finance ou de travail. Ce qu’il faut critiquer ici, ce n’est pas l’association des travailleurs ni l’association des patrons, mais la judiciarisation d’un défaut de marché.

          En effet, si l’association des patrons et l’association des travailleurs avaient été laissés libres, comme le décrit cet article, ce sont les lois du marché qui auraient simplement réglé la question. Au sens de la liberté de marché, l’union des travailleurs est une chose tout à fait naturelle et même souhaitable en réponse à l’union de patrons.

    • Hélas ? non, pas hélas.

      Une entente sur le dos des employès c’est comme une entente sur le dos des consommateurs : ça met le système sous pression et ça finit toujours par exploser. Sauf quand l’état interdit le boycott comme en France.

      Si une entente s’est révélée nécessaire c’est qu’il y avait une faiblesse…

  • Pour les hautes technologies, en effet. Cela à posé plus de problème, parait-il, dans l’industrie du cinéma.

    Mais bon, de toute façon, ce pacte anti-embauche est loin d’être le pire problème avec le politiques actuels des grands studios (on pourrait parler par exemple de la course actuelle au plus gros budget qui a des effets désastreux d’un point de vue créatif, ou de la manière dont les films sont marketés, et même de la manière dont leur réussites ou leur échec sont estimés (tenez-vous bien: avant même la sortie en salle). Ce second problème touchant aussi l’industrie du jeu vidéo quoique d’une manière un peu différente, ou bien encore du manque de culture cinématographique fatal de beaucoup de producteurs). Et puis, si ces entreprises veulent s’entendre entre elles, peu importe, c’est leurs droits.

    Après tout, les salariés ont bien ces petites choses qu’on appelle syndicats, qui sont des ententes finalement du même ordre, et qui sont très puissants dans cette industrie aux Etats-Unis. Renseignez-vous sur le syndicat des auteurs si vous voulez un exemple de ce dont je parle.

    Les problèmes qui frappent cette industrie (et aussi ceux qui frappent le secteur du high tech avec toutes ses querelles de brevets et ses connivences avec l’état) sont bien loin de se résumer à un pacte anti-embauche.

    Le problème du salaire des créatifs est bien plus prégnant dans le secteur de l’animation Japonaise. Comparer les modèles de production de ces deux pays est très intéressant, et très instructif aussi.

    • On parle bien de pacte anti-débauche ici. Un pacte anti-embauche, en France, ce serait par exemple la SS, les 35h ou le sinistre du dressement reproductif : un pacte à lui tout seul, celui-là.

  • « Dans une société libérale, l’État ne serait pas chargé de contraindre les politiques RH des entreprises. Faut-il avoir peur des pactes « anti-débauche » ? »
    C »est une décision de justice. Je vois pas en quoi la justice est illégitime à juger quand on la saisie.

    • « Apple ou Google ont scellé des ententes illégales »
      La justice n’a rien à voir dans l’histoire, c’est encore une fois l’état à travers des législations proliférantes qui entend tout réguler.
      La loi n’a pas à s’occuper des contrats de travail.

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