« Contre l’économie d’État », de Frédéric Bastiat

De nouveaux textes du grand économiste Frédéric Bastiat viennent d’être republiés chez Berg international, avec une préface inédite de Damien Theillier.

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« Contre l’économie d’État », de Frédéric Bastiat

Publié le 30 juillet 2014
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Par Damien Theillier

Contre l'économie d'EtatL’éditeur parisien Berg International vient de rééditer une série de textes de Frédéric Bastiat sous le titre Contre l’économie d’État. Ces textes font partie d’un recueil de petits pamphlets de Bastiat intitulé Ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas, datant de 1850 1.

Frédéric Bastiat (1801-1850) est un économiste et homme politique français, fort méconnu en France, bien que reconnu comme un auteur de première importance dans de nombreux autres pays. Il fut le contemporain d’Alexis de Tocqueville, auprès de qui il siégea à l’Assemblée nationale.

L’étymologie grecque du mot économie, qui repose sur oikos (la maison) et sur nomos (la règle) évoque la « tenue du ménage » autrement dit, l’art de régler l’activité de la famille de sorte que ses ressources suffisent à ses besoins. On peut donc définir l’économie comme la science des actions humaines, en particulier des choix que l’homme fait pour lutter contre la rareté.

Qu’est-ce qu’une économie d’État ? C’est une doctrine économique qui consiste essentiellement à justifier l’intervention de l’État dans la production et la distribution des biens.

Or la grande leçon de Frédéric Bastiat dans cette série de textes, c’est que l’intervention de l’État a des effets pervers que l’on ne voit pas. Seul le bon économiste est capable de les prévoir.

Autrement dit, toute décision politique constitue un acte économique. L’économie contemporaine exprime cette idée dans le concept de « coût d’opportunité », c’est-à-dire la valeur de ce à quoi on renonce au moment de faire un choix. La différence nette de résultat entre plusieurs opérations envisageables, mettant en œuvre les mêmes ressources données s’appelle un « coût d’opportunité ». Le coût d’un choix doit donc être comparé au coût d’un autre choix possible pour savoir s’il y a eu augmentation nette ou diminution nette de la richesse. Et c’est exactement ce qui correspond à « ce qu’on ne voit pas ». Car toute action, tout choix, comporte une partie visible et une partie invisible. La partie visible c’est le choix réalisé. La partie invisible c’est l’action à laquelle on a renoncé en faisant un choix. Tout choix implique un renoncement.

Par conséquent une « bonne » décision ou une « bonne » politique est une politique qui coûte moins à la société que ce qu’une autre allocation des ressources aurait pu lui coûter. Aussi faut-il juger l’efficacité d’une politique non seulement sur la base de ce qui arrive, mais aussi sur la base des alternatives qui auraient pu se produire.

Par exemple, dans « Droit au travail – Droit au profit », Bastiat explique : « Ce qu’on voit, c’est le travail et le profit permis par la cotisation sociale. Ce qu’on ne voit pas, ce sont les travaux auxquels donnerait lieu cette même cotisation si on la laissait aux contribuables. » Pour faire un bon calcul économique, il faudrait prendre en considération les emplois et les richesses qui auraient pu être créés si les contribuables avaient pu dépenser leur argent comme ils le souhaitaient au lieu de payer des taxes. Le calcul économique doit établir la relation entre ce qui existe et ce qui aurait pu exister si un autre choix avait été fait.

Chaque fois que nous évaluons l’impact d’un programme gouvernemental sans tenir compte de ce que les contribuables auraient fait à la place, avec l’argent qu’on leur a enlevé en impôt, on succombe à l’illusion politique. Et la plupart des illusions politiques ne survivent pas à la distinction de Bastiat entre ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas.

Ainsi, nous dit-il, c’est une illusion de croire que le gouvernement peut « créer des emplois » car pour chaque emploi public créé il détruit un emploi sur le marché. En effet, les emplois publics sont payés par les impôts. Les emplois publics ne sont pas créés, ils sont perçus. De plus, en supprimant un emploi qui répond aux besoins et aux désirs des consommateurs, on le remplace par un emploi qui sert les objectifs des seuls politiciens.

Tout euro dépensé par l’État doit nécessairement être obtenu par un euro d’impôt ou de dette. Si nous envisageons les choses sous cet angle, les soi-disant miracles des dépenses de l’État nous apparaissent sous un tout autre jour.

Cette leçon de base a inspiré le journaliste économique américain Henry Hazlitt (1894-1993), auteur d’un petit ouvrage de vulgarisation économique intitulé Economics in One Lesson2

« Aucune foi au monde n’est plus tenace ni plus entière que la foi dans les dépenses de l’État », écrit Hazlitt. « De tous côtés, on les présente comme une panacée capable de guérir nos maux économiques. L’industrie privée est-elle partiellement somnolente ? On peut y remédier par les dépenses publiques. Y a-t-il du chômage ? Cela est évidemment dû à l’insuffisance du pouvoir d’achat. Et le remède est tout aussi évident : le gouvernement n’a qu’à engager des dépenses pour suppléer ce manque à acheter. »

Hazlitt nous montre que Bastiat a réfuté l’économie d’État et en particulier l’économie keynésienne près d’un siècle avant Keynes. Ce dernier pensait que les dépenses publiques augmentaient la production en raison d’un multiplicateur : si le gouvernement construit un pont, les ouvrier du pont peuvent acheter du pain, puis les boulangers peuvent acheter des chaussures, etc.

À cela, Bastiat a répondu dans Travaux publics : « L’État ouvre un chemin, bâtit un palais, redresse une rue, perce un canal; par là, il donne du travail à certains ouvriers, c’est ce qu’on voit; mais il prive de travail certains autres, c’est ce qu’on ne voit pas. »

Frédéric Bastiat, Contre l’économie d’État, Berg international, 64 p. 


Sur le web

  1. Le licenciement, L’impôt, Théâtres, Beaux-Arts, Travaux publics, Les Machines, Crédit, Droit au Travail et Droit au Profit.
  2. Traduit par Mme Gaëtan Pirou sous le titre Économie en une leçon, disponible en version électronique sur le site d’Hervé de Quengo.
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  • On lit beaucoup de choses sur M.BASTIAT et sa pensée économique. Dont acte.
    Elle est intéressante voir brillante. Soit.

    Mais j’invite ses « fans », à regarder de près sa biographie. Un velléitaire médiocre en actes.
    Un émotif sans courage face aux femmes. Le rédacteur de la très médiocre constitution des « cent jours  » de Napoléon.
    ETC.
    Et donc, si ses textes économiques n’ont pas eu l’influence que beaucoup regrettent, c’est, peut-être, aussi, parce que l’homme n’était pas crédible !
    A méditer sur beaucoup d’autres sujets. la Crédibilité du messager …

    • OUPS ! Je suis désolé, je retire ce que je viens d’écrire sur F.BASTIAT, il s’agit de Benjamin CONSTANT…

      Pardonnez moi.

      Je vais de ce pas me préoccuper de la biographie de F.BASTIAT.

      Toutes mes excuses encore.

    • OUI, j’ai commis une boulette…

      Je viens d’ailleurs de relire sa pensée sur la gestion des caisses d’assurance maladie et de secours mutuel et l’intervention de l’état.
      Édifiant et visionnaire …

      (Cf : F.Bastiat wikipédia)

      • J’ai lu récemment Les harmonies économiques, son grand oeuvre inachevé (mort à 50 ans, quelle catastrophe!).

        Je n’ai rien lu de plus édifiant, même si dernièrement George Gilder m’a ouvert des horizons sur l’innovation en économie approchée par la théorie de l’information.

      • J’oubliais une lecture urgente pour notre époque: Maudit argent.
        http://bastiat.org/fr/maudit_argent.html

        À lire absolument.

        « — Quoi! le papier-monnaie procède de la même erreur?

        — Directement. Quand les législateurs, après avoir ruiné les hommes par la guerre et l’impôt, persévèrent dans leur idée, ils se disent: « Si le peuple souffre, c’est qu’il n’a pas assez d’argent. Il en faut faire. » Et comme il n’est pas aisé de multiplier les métaux précieux, surtout quand on a épuisé les prétendues ressources de la prohibition, « nous ferons du numéraire fictif, ajoutent-ils, rien n’est plus aisé, et chaque citoyen en aura plein son portefeuille! ils seront tous riches. »

        — En effet, ce procédé est plus expéditif que l’autre, et puis il n’aboutit pas à la guerre étrangère.

        — Non, mais à la guerre civile. »

    • bastiat était crédible et benjamin était … constant !

  • J’aime bien ce pragmatisme. Mais Bastiat n’a pas vécu la crise de 29. Rien ne nous dit qu’il n’aurait pas soutenu Keynes. (L’exemple du pont: pas de pont , le batelier privé continu son business et prélève une part des revenus des commerçants qui transportent les marchandises….) Bref ce pragmatisme est un outil indispensable pour juger de l’efficacité du politique publique, mais ne l’interdit pas. Attention à ne pas sombrer d’un sectarisme à un autre!

    • « pas de pont , le batelier privé continu son business et prélève une part des revenus des commerçants qui transportent les marchandises » : dans votre exemple, qu’est-ce qui empêche un deuxième, un troisième, un quatrième batelier de s’installer pour vivre du business tout en faisant baisser les prix ?
      Vous allez dire que le pont est payé une fois par la collectivité, et les bateliers à chaque passage. Mais le pont est également payé par des gens qui ne l’utilisent pas ; il a un coût de construction très élevé, conduisant à une hausse des impôts ponctuelle alors que le coût d’usage des bateaux est étalé dans le temps, etc.

      • Fucius a raison , il n’y a ni tabou ni chasse gardée. et votre remarque est intéressante.
        Mais dans votre raisonnement, vous ne prenez pas en compte la plus valu d’usage, le pont est plus facile et rapide qu’un réseau de passeurs.

        Elle me remémore le cas du tunnel sous la manche a été un investissement privé, ruineux pour ses actionnaires….sauvé par l’action de l’état pour le garantir . Le canal de Suez fut aussi un échec pour ses actionnaires de leur vivant du moins, car ensuite leurs enfants et leurs petits enfants en tirèrent un grand bénéfice.
        Cela illustre que souvent l’optimum n’est pas accessible ou connu.
        Il y a aussi beaucoup d’exemple de biens communs dont la construction a été décidé par la collectivité économique et non politique, c’est par exemple les aéroports qui sont encore souvent la propriété des chambres de commerce et d’industrie. Je pense qu’une des limites aux raisonnements est l’horizon temporel, je veux dire qu’aujourd’hui s’est établie une sorte règle non dite: au privé les investissements rapidement rentables (moins de 10ans) et au public les autres. Evidemment la frontière est très floue.

    • « Rien ne nous dit qu’il n’aurait pas soutenu Keynes. »
      Si.
      Un siècle avant Keynes, il avait rédigé la réfutation la plus lumineuse du keynésianisme:
      http://bastiat.org/fr/maudit_argent.html

      Bastiat aurait compris avant tout le monde que la crise exigeait une diminution de la dépense publique et une monnaie stable; que la cause de la dépression de 29 était la politique socialiste.

      Une économie de marché connaît des récessions, qui sont saines, brèves, et suivies de rebonds et d’expansion.
      Les dépressions résultent de l’entêtement dans l’erreur dirigiste.
      Nous y sommes.

      « L’exemple du pont[…] »
      Attention je vais proférer un blasphème, préparez-vous à un choc:
      Quid d’un pont privé ? Sur une route privée ?

      Il me revient qu’une compagnie privée a construit une ligne transaméricaine à ses frais, pendant que le gouvernement en finançait une autre.
      Bien entendu la première fut nettement meilleure quoique bien moins coûteuse.

      Le dogme des infrastructures privées nous coûte des gaspillages sans fin et accessoirement de la corruption.
      L’État devrait se cantonner à sa mission de préserver la liberté (c-à-d. interdire d’user de la force), sauf nécessité absolue et objective.

    • « Bastiat n’a pas vécu la crise de 29 » : il a connu la ruine de son pays suite aux guerres, une occupation étrangère, des chutes de régimes à foison, deux révolutions… A titre personnel, il a lutté contre une maladie mortelle incurable. Et surtout, il a débattu avec une saisissante pertinence contre certains des inventeurs du socialisme. Cette expérience de vie n’était-elle pas suffisamment riche ?

      • Bien sur que son expérience vaut celle d’autres, mais voilà il n’a pas pu débattre avec Keynes, c’est ainsi. Et je ne confonds pas Keynes avec le socialisme. Ce serait un contre sens.

    • Bonjour,

      Hmmm non, non et … non, Bastiat n’aurait jamais, Ô Grand Jamais, soutenu J. M. Keynes… Il était profondément anti-socialisme, et, Keynes invite au constructivisme, au Socialisme. Et heureux hasard, Keynes rentre dans la définition de socialiste que se faisait Bastiat 100 ans plus tôt.

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Nicolas Tenzer est enseignant à Sciences Po Paris, non resident senior fellow au Center for European Policy Analysis (CEPA) et blogueur de politique internationale sur Tenzer Strategics. Son dernier livre Notre guerre. Le crime et l’oubli : pour une pensée stratégique, vient de sortir aux Éditions de l’Observatoire. Ce grand entretien a été publié pour la première fois dans nos colonnes le 29 janvier dernier. Nous le republions pour donner une lumière nouvelles aux déclarations du président Macron, lequel n’a « pas exclu » l’envoi de troupes ... Poursuivre la lecture

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