Entreprises : l’avenir incertain de l’apprentissage

L’apprentissage en entreprise est-il en sursis ?

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Entreprises : l’avenir incertain de l’apprentissage

Publié le 24 juillet 2014
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Par Luc Tardieu

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S’il y a un point sur lequel tout le monde s’accorde, c’est celui des bienfaits de l’apprentissage, et de la nécessité de l’encourager. S’il y a un point sur lequel personne ne tombe d’accord, c’est la façon de s’y prendre pour tirer profit de ce dispositif. À commencer par les ministres aux contours vagues qui nous gouvernent, dont les volte-face n’ont d’égal que la persistance dans l’inanité.

C’est un vieux réflexe politique, sans doute puisé dans le manuel du parfait petit illusionniste, lorsqu’on veut détourner l’attention de tel ou tel point, on crée un écran de fumée à proximité. En l’occurrence, ce qu’on aimerait bien cacher, c’est le recul sur le dossier de l’apprentissage ces dernières années. La façon dont on s’y prend, c’est en se livrant à un « jeu de yo-yo », dixit le député UMP Alain Chrétien, c’est-à-dire en accumulant les déclarations encourageantes, puis en rétropédalant, et ainsi de suite.

Entre janvier 2013 et janvier 2014, le nombre de contrats d’apprentissage a chuté de 19%, selon une enquête réalisée par l’Ifop pour l’Agefa-PME. Un chiffre qui étonne, au regard de l’avis dans l’ensemble favorable que se font les patrons de ce dispositif. Au sein des PME, ils sont ainsi 82% à en avoir une bonne image, 81% à le recommander et 48% à estimer que le diplôme décroché possède plus de valeur qu’un diplôme général.

Voilà donc un dispositif plébiscité et boudé dans le même geste par ceux qui sont censés y avoir recours. Comment expliquer cette désaffection ? Si les dirigeants d’entreprises mesurent bien l’intérêt qu’ils auraient à doper leurs effectifs grâce à l’alternance, ils sont aussi très conscients des obstacles qui se dressent sur leur route. Au premier rang desquels, fatalement, le coût.

Car un apprenti n’est pas gratuit, loin s’en faut. Il se murmure qu’il coûterait en moyenne 18 000 euros par an à l’entreprise qui souhaite louer (le luxe de) ses services. Aussi, lorsque François Hollande annonce, lors de la conférence sociale de 2013, vouloir atteindre le chiffre de 500 000 apprentis en formation à l’horizon 2017 (contre 415 000 en 2013), les dirigeants sont-ils en droit d’espérer que cette annonce sera accompagnée de mesures à même de les aider à atteindre cet objectif. Un petit coup de pouce, quoi. Pensez-vous.

À la même période, le gouvernement supprime partiellement l’indemnité compensatrice forfaitaire (ICF), aide de 1 000 euros versée à chaque entreprise recrutant un apprenti, la réservant aux seules PME de moins de 11 salariés. La mesure a permis d’économiser 500 millions d’euros sur les dépenses publiques. Revers de la médaille : elle est aussi à l’origine d’un recul de 8% des inscriptions dans les centres de formation d’apprentis (CFA) en 2013, de 14% sur les quatre premiers mois de 2014.

« À ce rythme, nous allons perdre 60.000 apprentis en deux ans… L’apprentissage étant la meilleure voie pour entrer dans l’emploi et pour se prémunir du chômage, c’est extrêmement inquiétant », note, le vague à l’âme, Florence Poivey, chargée de la formation professionnelle au Medef. D’autant qu’à ce premier coup de massue est venue s’ajouter une autre déconvenue, répondant au nom de « loi du 5 mars 2014 sur la formation professionnelle » et ayant amputé de 17% le financement de l’apprentissage. À quoi s’ajoute la concurrence que représente le développement des emplois d’avenir, mieux rémunérés et accessibles sans formation.

Last but not least, le poste de ministre chargé de l’Apprentissage et de la Formation professionnelle est tout bonnement passé à la trappe lors de la composition du gouvernement Valls. Comme gage de volonté de favoriser le dispositif, on admettra qu’on a vu mieux.

Mais quand même, estimons-nous heureux. Sur les 200 millions d’euros destinés au financement de l’apprentissage, annoncés lors de la dernière conférence sociale des 7 et 8 juillet 2014, 146 millions devraient être débloqués l’an prochain. L’Assemblée nationale vient en tout cas de se prononcer dans ce sens. Ovation du peuple de gauche.

Résumons-nous. Les gesticulations vont bon train sur le sujet, or il importe d’en démêler la course folle, pour mieux mettre en évidence leur non sens. Il y a un an, Hollande annonçait vouloir doper le nombre d’apprentis. Dans la foulée, il baissait de 500 millions d’euros les aides destinées à leur formation. Pour, un an plus tard, dans sa grande mansuétude, remettre 146 millions sur la table. Un tour de passe-passe qui permettra in fine d’économiser plus de 350 millions d’euros par an sur le dos de l’alternance, tout en donnant l’impression d’une générosité sans borne. Bien vu.

Si l’alternance à la française n’a pas encore rendu l’âme, c’est grâce aux efforts redoublés des grands groupes, les seuls ayant une visibilité suffisante sur leur avenir pour se permettre de faire appel à des apprentis. Sous la houlette d’Henri Proglio, chantre de l’alternance en France, EDF possède ainsi 5% d’apprentis en son sein. Et ils ne sont pas exactement là pour du beurre. 8% des cadres recrutés par l’entreprise sont d’anciens alternants draftés.

Mais le producteur d’électricité n’est pas le seul à jouer le jeu. Réunies au sein de leur club, l’Afep, les 105 plus grandes entreprises françaises s’engageaient en mars 2013 à renforcer leur engagement pour l’alternance. Un an plus tard, force est de constater qu’elles n’ont pas chômé. Orange accueille à ce jour plus de 7 700 alternants, Carrefour ou GDF Suez plus de 5 000 chacun, BPCE plus de 2 500, etc. Avec plus de 10 000 alternants formés de par le monde, Siemens possède 6% d’alternants en France parmi ses 7 000 employés, et compte encore faire appel à 250 nouvelles recrues. Si son taux de transformation était de 8% en 2012, le groupe souhaite le faire passer à 15% d’ici 2016. Chez BNP Paribas ou Castorama, ce sont jusqu’à 50% des contrats en alternance qui sont par la suite embauchés.

Ces chiffres donnent de l’espoir, alors que l’alternance s’impose comme une façon de rendre enfin les jeunes solubles dans le monde du travail. Malheureusement, si les grandes entreprises étoffent leurs rangs d’apprentis, et que le nombre de contrats d’apprentissage continue dans le même temps de baisser de façon drastique à l’échelle de l’Hexagone, la conclusion corollaire qui s’impose est alarmante : dans les structures plus modestes, PME et ETI, la crise de l’apprentissage est considérable.

Henri Proglio, encore lui, proposait en 2009, dans le cadre d’un rapport remis à Laurent Wauquiez, alors secrétaire d’État chargé de l’Emploi, de mettre en place un crédit d’impôt à l’usage des entreprises encourageant l’alternance. Mis en place, ce crédit n’est plus valable depuis le 1er janvier 2014 que pour les premières années d’apprentissage, et encore à certaines conditions. On ne s’étonnera donc pas si le chômage, et en particulier celui des jeunes, stagne à des hauteurs vertigineuses dans les prochains mois. Que François Hollande et consorts se rassurent toutefois, d’ici septembre et la grande conférence prévue sur le thème de l’apprentissage, ils auront tout le temps d’imaginer de nouvelles diversions.

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  • Ils viennent aussi de fortement réduire (50% ou plus, selon les cas) le credit d’impôt pour l’apprentissage.

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