L’homme, le singe et le langage

Le langage articulé qui rend la communication humaine possible nous différencie radicalement de nos cousins les singes.

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0
singe gorille CC Fotografik33

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

L’homme, le singe et le langage

Publié le 23 juillet 2014
- A +

Par Jacques Henry 

singe gorille CC Fotografik33Le langage est l’apanage de l’homme, une caractéristique que nos cousins les singes, en particulier les chimpanzés et les bonobos, ne partagent pas avec nous. Ils ne partagent d’ailleurs pas non plus le penchant guerrier des hommes qui, au lieu de se parler, puisqu’ils possèdent ce don, préfèrent s’entretuer, quitte à abattre des avions civils pour le plaisir ou pour d’obscures raisons politiques, mais c’est une autre histoire. Le cerveau des chimpanzés est muni, comme le notre, d’une aire dite « de Broca » localisée dans le lobe fronto-temporal du cerveau, également appelée aire du langage. Broca, illustre médecin français, fut le premier à localiser cette zone, normalement située dans l’hémisphère gauche du cerveau, en étudiant des patients qui présentaient une aphasie du langage appelée depuis « aphasie de Broca » car cette aire particulière du cerveau était endommagée. Chez le singe, il semble que tout fonctionne parfaitement au niveau cérébral. Ce qui fait que les singes sont incapables de parler ne vient donc pas du cerveau, mais de la structure musculaire du larynx et des cordes vocales.

Au cours de la première année de la vie, l’enfant apprend vite à montrer du doigt un objet, puis il accompagne ce geste rudimentaire par des sons tout aussi rudimentaires. Il apprend très vite, après avoir découvert ses capacités à moduler les sons, à répéter les mots qu’il entend, puis à progressivement construire des phrases. Le langage est ainsi apparu. Le jeune singe, de la même manière que l’enfant, montre du doigt les objets qui l’entourent quand il veut en prendre possession, mais il n’associera jamais ces gestes à un quelconque son modulé. Il reconnaît par contre très vite une centaine de mots qu’il a associés à une signification précise ainsi que des phrases courtes. Pour le langage simiesque, rien. Seulement des sons inarticulés, comme si le cerveau, l’aire de Broca, n’arrivait pas à transmettre les impulsions correctement aux muscles du larynx et à modifier les cordes vocales judicieusement.

Le film L’aube de la planète des singes met en scène des singes « mutants » qui parlent anglais, ce qui est véritablement de la science-fiction, car l’émergence du langage est apparu probablement au même moment que la bipédie pour toutes sortes de raisons, dont la nécessité de communiquer rapidement en cas de danger, bipédie chez les primates étant synonyme du genre « Homo ». De plus, les interconnexions entre différentes régions du cerveau sont chez le singe telles qu’il manque cruellement des capacités cognitives qui, chez l’homme, permettent très rapidement de communiquer avec un nombre limité de mots, combinables à l’infini pour former des phrases courtes. Même si le singe peut mémoriser une centaine de mots, et même s’il pouvait parler comme nous, il serait incapable de construire des phrases.

En effet, une autre différence notoire entre le singe et l’homme est la faculté d’abstraction permettant d’inclure dans la réflexion des notions aussi simples que le passé ou le futur, ou encore l’absence d’un objet ou d’une personne. La perception du passé et du futur est un processus qui apparaît chez l’enfant vers l’âge de deux ans, lorsque la mémoire commence à se construire et à s’organiser, alors qu’au même âge, le petit du bonobo possède déjà un cerveau en grande partie figé. Seul un apprentissage répétitif influera sur sa mémoire et non plus sur la densité de ces connexions intra-cérébrales qui différencient encore l’homme du singe.

 Ile La Gomera
Île la Gomera. En arrière plan le volcan El Teide (Tenerife).

 

Quand nos ancêtres directs sont arrivés en Europe il y a environ 80000 ans, organisés, capables de construire des armes, non pas pour s’entretuer mais pour se défendre contre les bêtes sauvages et se procurer de la nourriture de qualité, riche en protéines et très utile pour leur développement cérébral, ils étaient très probablement capables de communiquer par la parole. Qui dit organisation d’un groupe humain sous-entend la maîtrise de la communication. Ils ont rencontré sur leur chemin des créatures qui leur ressemblaient, les hommes de Neandertal, qui étaient établis dans ces contrées depuis des centaines de milliers d’années. Naturellement, il y eut une certaine mixité intime entre ces cousins très proches descendant paradoxalement des mêmes ancêtres d’origine africaine. Mais qu’en était-il de la faculté des hommes de Neandertal à parler et par conséquent à communiquer avec l’Homo sapiens sapiens nouveau venu ? Mystère ! On n’a toujours pas pu apporter le moindre élément de preuve sur ce dernier point.

Cette réflexion sur le langage fait penser, surtout pour un résident des Îles Canaries, que les habitants de l’île de la Gomera utilisent un langage particulier basé sur des sifflements modulés appelé « el silbo gomero ». Il est acquis que ce langage, que l’on pourrait rapprocher de celui des dauphins, provient des premiers habitants des Îles Canaries, des Berbères venus du Maghreb appelés Guanches. Ces occupants espagnols l’ont adopté pour une raison très simple. Cette île de forme arrondie, reste d’un puissant volcan, est parcourue par de profondes ravines et la communication entre les diverses hauteurs séparées par ces vallées escarpées, accessibles qu’aux seules chèvres des nombreux bergers du cru, n’était possible qu’à l’aide de ce type de langage. Imaginons que les Néandertaliens aient communiqué entre eux par des sifflements comme le silbo gomero, on peut aisément comprendre pourquoi nos ancêtres directs s’en sont débarrassé comme les Espagnols ont exterminé les Guanches jusqu’au dernier. Tout ça pour une incompréhension et un manque de communication. Comme quoi, à des dizaines de milliers d’années d’intervalle, la nature humaine n’a pas fondamentalement changé.

Inspiré d’un article du Max Planck Institute for Psycholinguistics (Nijmegen).


Sur le web 

 

Voir les commentaires (13)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (13)
  • Hum, pour compléter, il y a aussi l’aire de Wernicke qui est celle de la compréhension, Broca est celle de la production du langage.
    Entre les 2 aires, il y a un faisceau qui permet de conduire les informations d’une aire à l’autre. Il y a donc des aphasies de production/compréhension et conduction du langage.
    Donc question, le bonobo il a aussi une aire de Wernicke et un faisceau arqué?
    Et puis moi j’ai pensé que peut être qu’ils communiquaient pas par le langage nos ancêtres..à coup de gourdins? 😉

    • Bénédicte, vous me semblez très compétente.
      Je vous soumets donc le problème ci-après.
      Jacques Henry nous dit :
      « Quand nos ancêtres directs sont arrivés en Europe il y a environ 80000 ans, organisés, capables de construire des armes, […] pour se procurer de la nourriture de qualité, riche en protéines et très utile pour leur développement cérébral, … »
      Françoise Héritier, professeur au Collège de France, à propos de la différence mâle/femelle qu’elle voit comme « différence construite » [du Gendre avant l’heure] nous dit :
      « L’alimentation des femmes a toujours été sujette à des interdits. Les produits « bons », la viande, le gras, etc. étant réservés prioritairement aux hommes. (…) Cette « pression de sélection » a entraîné des transformations physiques. A découlé de cela le fait de privilégier les hommes grands et les femmes petites pour arriver à des écarts de taille et de corpulence entre hommes et femmes. »

      Donc, la carence des femmes en « nourriture de qualité, riche en protéine » aurait nuit à « leur développement cérébral ».
      Notez que ma confiance dans les propos de FH est plutôt limitée !

      • À mon avis nos ancêtres avaient juste faim, ils ne se disaient pas: hum tient cette antilope, elle est riche en protéine et servira au développement de nos connexions neuronales…
        Concernant les propos de Françoise Héritier, que je ne connais pas mais j’ai beaucoup de respect pour ses grandes connaissances et paroles qui ont fait d’elle une professeur du collège de France, heu je ne peux pas mettre en doute c’est dires, elles a du expérimenter sérieusement la vie préhistorique pour arriver à une telle ccl…

        j’imagine Néandertalien tuer la bête sauvage et ce dire (fier de lui), tiens je me taillerais bien une entrecôte là ( avec une ptite bière fraîche) et puis la belle-mère, hein, si elle pouvait aller faire un tour du côté de chez Neandertal, elle apprendrait le silence ( enfin elle me foutrait la paix)… Bon allé je laisse les rognons à ma femme, sinon je pourrait pas tirer mon coup ce soir…

        Quel est votre problème cher René? Moi je ne saurais jamais la vérité, je n’y étais pas, alors je les imagine beaux et intelligents, hommes et femmes en harmonie avec la nature, ahah 🙂

        • Correction: c’est homo sapiens sapiens que j’imagine, je suis perturbée en ce moment!

          • @Benedicte C. J’adore votre sens de l’humour 😉
            Etes-vous chercheur en psychologie cognitive ?

            • @ Émile Sabord: je vous retourne le compliment! Je vous répondrais dans 10 à 15 ans 😉
              @ René: nos points de vue convergent, il est vrai.
              Par contre, vous interprétez mes propos et m’attribuez vos interprétations sans vérifier, je n’apprécie pas du tout… Je dis que hommes et femmes vivaient en harmonie avec la nature, si femme cromignonne pesait plus lourd ds la balance alors homme faisait une guerre histoire de se défouler, impressionner et rétablir l’équilibre du monde. Et puis j’imagine facilement que leur vie dépendant fortement de la nature, ils y étaient attentifs et plutôt respectueux ( encore que c’est discutable)!

        • Bénédicte, j’ai beaucoup apprécié votre réponse.
          Je vous sens assez proche de mon analyse sur ce professeur quand vous dites « elle a du expérimenter sérieusement la vie préhistorique », c’est absolument mon point de vue !

          Quel est mon problème ?
          la belle Françoise, en défendant la « différence construite », ne se rendait pas compte du tort fait aux « hommes de sexe féminin » qui privés de « nourriture riche en protéine » aurait limité « leur développement cérébral ».
          Amicalement

  • Bonjour , vous semblez ignorer que le langage n’est pas que oral, mais passe aussi et probablement d’abord , par le geste…
    d’où la possibilité de communiquer avec les singes par le langage des sourds muets…ainsi que cela a été démontré.

    salutations

    • Je pense qu’il s’agit ici uniquement du langage articulé et pas des autres formes de communication. Par exemple n’est pas évoqué non plus le « langage » assez complexe des baleines.

      • Oui, et cela montre combien nous sommes proches des autres animaux..Notre remarquable capacité à vocaliser a certainement contribué à la réussite de l’espèce. Et laissons le néandertal tranquille, nous ne savons rien de son langage. De plus il est probablement parmi nous, absorbé par notre fertilité galopante…

  • L’homme, le singe ET ma belle mère à qui hélas il ne manque pas le langage…

  • Apparemment , nos ancetres , il y a 80.000 ans , fabriquaient des armes pour se defendre des mechantes betes sauvages (et accessoirement de les manger) – mais pas de leurs prochains. Personne n’etait au courant jusque la, mais nous voila fixes. Quel bonheur. C’est toujours un grand plaisir de se plonger dans le domaine des pseudo sciences. Ou l’on peut croire ce que l’on veut. Il y a 80.000 ans, en effet, notre race a connue une periode de paix sociale et intertribale sans precedent, ni repetition, dans l’histoire de l’humanite. Personnellement je n’en suis quand-meme pas si sur. Ma boule de cristal ne me permet pas de remonter aussi loin dans le passe…

    • Notez d’abord que -selon les « savants »- il faut ajouter un zéro à la datation, mais je n’y étais pas !
      Quant à la thèse ‘peace and love’ de l’époque, elle part de l’idée simple (quoique discutable) due à JJ Rousseau que c’est la civilisation (des sots plus récents évoquent le christianisme) qui pervertit.
      Comme si la compétition avait attendu.
      Pour plus de détail, voir Bénédicte C !

  • Les commentaires sont fermés.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

En France, le langage est un produit réglementé, et si l’on en croit les discussions actuelles autour de l’écriture inclusive, il semble appelé à l’être de plus en plus. Peut-être faudrait-il d’abord demander si toute cette réglementation est légitime.

Le langage est le véhicule de la pensée. C’est un outil, et il peut être plus ou moins bien adapté à l’état social du groupe qui le parle.

La langue a d’abord commencé par être un cri, le fruit d’une émotion vive, le plus inintelligent des signes. Mais, à mesure que la civilisatio... Poursuivre la lecture

Michel Desmurget est l’auteur notamment de La Fabrique du crétin digital, ouvrage sorti en 2019. Docteur en neurosciences et directeur de recherche à l’Inserm, il s’appuie sur ses travaux, ainsi que sur de très nombreuses études approfondies qui ont été menées à travers le monde, pour mesurer l’impact de la lecture sur l’intelligence dès le plus jeune âge, et d’autres qualités humaines essentielles qu’elle permet de développer.

Le constat est sans appel : le poids écrasant du digital, dans ce qu’il a de moins reluisant, au détriment du... Poursuivre la lecture

C’est un thème que nous avons eu l’occasion d’évoquer à de nombreuses reprises à travers de multiples articles (voir liste non exhaustive à la fin de ce texte), qui se trouve traité en tant que tel à travers ce passionnant ouvrage.

Celui des périls qui touchent la démocratie, et plus spécifiquement ici la manière dont celle-ci peut espérer être sauvée : grâce aux humanités et aux sciences sociales.

 

Démocratie et humanités

Dans sa préface, Philippe Nemo – qui est aussi le traducteur en français du dernier ouvrage du... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles