Retour sur le Prix Nobel d’économie 2013

Le Nobel d’économie 2013 a récompensé une combinaison de travaux ayant permis une avancée dans la connaissance de la fixation des prix des actifs. Explications.

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Retour sur le Prix Nobel d’économie 2013

Publié le 28 juin 2014
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Par Sylvain Fontan.

Prix Nobel d'économie 2013Le prix Nobel d’économie 2013 a été décerné il y a quelques mois à trois économistes américains, Eugene F. Fama, Lars Peter Hansen et Robert J. Shiller. À première vue, ce choix a de quoi déconcerter tant les personnalités récompensées proviennent de courants idéologiques différents. Toutefois, le Nobel d’économie 2013 a ici primé davantage une combinaison de travaux ayant permis une avancée dans la connaissance de la fixation des prix des actifs qu’une théorie en tant que telle.

Rappels sur le prix Nobel

L’objectif du prix Nobel se réfère à un cadre précis. En effet, le prix Nobel récompense les personnalités jugées ayant apporté le plus grand bénéfice à l’humanité au cours de l’année. Il existe différents domaines concernés par ce prix : la médecine, la physique, la chimie, la littérature, la paix et l’économie. Toutefois, en ce qui concerne l’économie, ce prix a été créé en 1969 et son appellation exacte est « le prix de la banque Royale de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel ». Alfred Nobel étant, entre autres, l’inventeur de la dynamite. Le prix est doté de 8 millions de couronnes suédoises (910’000 euros) qui sont payées par la banque de Suède.

Une combinaison atypique d’économistes

Eugène Fama est un des pères de la théorie libérale de l’efficience des marchés. Selon cette théorie, les acteurs sont tous rationnels et ils intègrent la totalité des informations disponibles sur les marchés. Dans ce cadre, les marchés donnent à tout instant un prix qui est le meilleur prix.

Lars Peter Hansen est le père des techniques économétriques modernes. L’économétrie est le domaine des sciences économiques appliquant les techniques statistiques et mathématiques à l’élaboration de modèles. Il a développé une méthode statistique dite « méthode des moments généralisés » particulièrement bien adaptée pour tester les théories rationnelles de la fixation des prix des actifs. En d’autres termes, il a  développé un modèle de référence permettant d’analyser l’adaptation des agents économiques dans leurs décisions financières face aux changements d’environnement.

Robert Shiller est un des théoriciens de la finance comportementale. Selon lui, la rationalité des individus n’est pas systématique car les émotions sont plus importantes dans les décisions économiques que la rationalité pure. Les travaux de Shiller analysent notamment les facteurs tels que la confiance ou les craintes sur les décisions des agents économiques comme les investisseurs. Notons cependant, que contrairement aux apparences, Shiller n’est pas du tout un adversaire de la finance, bien au contraire. Il a toujours défendu la nécessité de développer la finance (nouveaux marchés, nouveaux instruments, « démocratisation » des marchés) afin de renforcer son utilité pour l’économie et les citoyens.

Ainsi, le Nobel 2013 récompense des individus qui soutiennent des analyses radicalement opposées. En effet, les trois économistes récompensés proviennent de courants idéologiques opposés quant à l’efficacité du marché à fixer le bon prix. Le trio se compose de deux équipes qui représentent l’opposition traditionnelle des économistes aux Etats-Unis :

  • Fama et Hansen sont de l’université de Chicago. Ils considèrent le marché comme le référentiel de la régulation économique. Dès lors, ils sont partisans de la liberté absolue des marchés (école libérale néoclassique).
  • Schiller est de l’université de Yale. Il considère que les marchés ne sont pas naturellement efficients. Dès lors, il est partisan d’une intervention très forte de l’Etat dans l’économie (école keynésienne).

Ce n’est pas la première fois que le prix Nobel est décerné à des personnalités très différentes. En effet, en 1974, le Nobel a été conjointement attribué à Gunnal Myrdal (théoricien de l’Etat-Providence) et à Friedrich Hayek (penseur du libéralisme). À ce titre, cela avait donné naissance à une blague très connue en économie, à savoir : « L’économie est la seule discipline dans laquelle deux personnes peuvent se partager un même Nobel en disant des choses opposées« .

Un socle commun mais des analyses différentes

Tous s’accordent sur le fait que le marché est le meilleur moyen de transmettre l’information. Ainsi, chaque opérateur de marché devant prendre une décision va se fonder sur un certain nombre d’éléments d’information disponibles. Dès lors, la meilleure information que les opérateurs ont à leur disposition est la série historique, c’est-à-dire la formation des prix antérieurs sur un marché.

À partir de là, les positions divergent. Pour le souci de la démonstration, Lars Peter Hansen sera laissé « de côté » car il n’est pas un théoricien pur, mais plutôt un mathématicien qui fait ensuite les calculs sur le plan économétrique :

  • Pour Fama, à partir du moment où le marché est le meilleur moyen de diffuser l’information, il est inutile de s’inquiéter des périodes de « bulle » car les variations (hausses et baisses) sont naturelles. In fine, il y a une stabilité qui se dégage sur le long terme, avec l’apparition d’une tendance. Il faut l’accepter comme un fait contre lequel il est inutile de lutter car cela ne peut que se révéler négatif à terme. Les opérateurs réagissent donc rationnellement en incorporant dans leurs comportements le fait que le marché est volatile. Ils savent qu’il existe un risque contre lequel il convient de trouver des moyens pour se couvrir.
  • Shiller pense quant à lui qu’il y a des bulles car il existe des irrationalités individuelles qu’il qualifie « d’exubérances irrationnelles des marchés » ; autrement dit, à partir des informations fournies par le marché, et avec des effets moutonniers d’entraînement : quand le prix augmente, les opérateurs anticipent une hausse des prix, ce qui a pour effet d’amplifier la hausse initiale des prix. Le phénomène intervient même quand ils savent que l’historique des prix indique qu’il va y avoir un retournement du marché car il est absolument impossible de prévoir le moment où ce retournement interviendra. Dès lors, il faut un régulateur qui oblige les acteurs à évoluer dans un cadre et à prendre des précautions.

Le défi est de rendre compatibles des théories qui ne le sont pas par nature. Il est difficile de rendre compatible la somme des rationalités individuelles avec l’exubérance générale. En effet, cela revient à vouloir concilier un comportement humain qui sera rationnel au niveau individuel mais avec un résultat général qui peut être irrationnel. Typiquement, c’est la séquence des années 2000 qui  a entraîné la crise globale actuelle. En effet, alors que les théories du marché ont semblé faillir, c’est en réalité le régulateur qui a fait des erreurs car son intervention dans le système a perturbé le marché en modifiant la séquence d’information dont disposait chaque acteur. La conséquence est que cette intervention s’est retournée contre l’intention initiale du régulateur en créant encore plus de volatilité. Concrètement, c’est l’intervention de la banque centrale américaine au tournant des années 2000 qui a amené l’explosion de la bulle immobilière en 2007, car en voulant réguler le marché immobilier, elle a en réalité créé les conditions à l’origine de cette bulle.

Récompense des travaux empiriques, non pas des positions idéologiques

Les nobélisés sont officiellement récompensés pour leur « analyse empirique des prix d’actifs ». En d’autres termes, l’académie Nobel ne distingue pas les trois économistes pour leur pensée économique, mais pour leur travail d’accumulation de données qui permet de disposer de séries historiques très précises concernant l’évolution de prix des actifs mobiliers (en substance tout ce dans quoi il est possible d’investir : actions, obligations…). La confrontation de ces calculs à la réalité permet une avancée dans la connaissance de la fixation de prix des actifs. Concrètement, cela permet d’évaluer les prix des actifs (c’est-à-dire savoir si un actif est surévalué ou sous-évalué, mesurer les performances afin d’en tirer des conclusions sur la mesure du risque lié à cet actif).

Plus largement, cela permet de prévoir l’évolution des cours sur de longues périodes. En effet, dans les années 1960 Eugène Fama (entre autres) avait déjà démontré que le prix des actifs était extrêmement difficile à prévoir à court terme (heures, jours et semaines). En revanche, l’idée de toutes ces recherches était de pouvoir prévoir l’évolution des actifs dans un horizon temporel plus lointain (années). Ainsi, comme l’a relevé le compte rendu officiel de l’Académie Nobel : «Il est tout à fait possible de prévoir le cours général de ces prix sur de longues périodes comme les trois à cinq prochaines années » et  « Leurs méthodes sont devenues des outils standard dans la recherche universitaire, et leurs avancées fournissent des guides aussi bien pour le développement de la théorie que pour la pratique professionnelle des investisseurs »

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  • « alors que les théories du marché ont semblé faillir, c’est en réalité le régulateur qui a fait des erreurs car son intervention dans le système a perturbé le marché »

    Il y a pire encore ! De nombreuses banques centrales (un quart d’entre elles d’après certaines sources, incluant notamment la Chinoise et la Japonaise) achètent directement des actions sur les marchés depuis quelques années, sans aucune contrepartie. Le mouvement serait même en accélération. Que reste-t-il de l’information prix/quantité lorsque l’émetteur de monnaie en situation de monopole acquiert directement des actifs ? Comment avoir confiance dans un système où le régulateur n’est plus qu’un simple acteur ?

    Qui régule le régulateur ?

    En dernière analyse, le marché régulera les régulateurs dévoyés. Il fera son oeuvre en indiquant à terme le vrai prix des actifs maltraités, à savoir un prix et une quantité asymptotiquement nuls. La confusion des genres dans le domaine financier, au mépris des fonctions de chacun, ne peut mener qu’à la catastrophe, pour les mêmes raisons expliquant pourquoi les manipulations économiques des Etats finissent toujours mal. Ces raisons sont notoires : irresponsabilité, incompétence et corruption.

  • IL EN EST DES PRÉVISIONS ÉCONOMIQUES, À L’INSTAR DE CELLES ISSUES DU MARC DE CAFÉ, EN CE QU’ELLES N’ENGAGENT QUE CEUX QUI Y CROIENT AINSI QUE LES AUTRES. ysmv

  • « Le prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel » et non « prix Nobel ».
    Les économistes se trompant tout le temps (sauf qques uns, comme M. ALLAIS), ce serait bon de la rappeler.

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