Le Chili, terrain d’essai de la liberté des banques

Retour sur une incroyable expérience libérale au XIXème siècle : la réforme de libéralisation complète des banques chiliennes, conduite par l’économiste français J.-G. Courcelle-Seneuil en 1860.

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Le Chili, terrain d’essai de la liberté des banques

Publié le 19 juin 2014
- A +

Par Benoît Malbranque
Un article de l’Institut Coppet

Dans cet article, nous avons deux ambitions : celle de raconter la mise en œuvre d’une réforme appliquant les principes de la liberté des banques au Chili ; et celle de juger du succès de ces réformes libérales.

banque_chiliMais avant que d’entrer dans le détail de ces deux points, qui formeront les deux sous-rubriques de cet article, indiquons les raisons qui ont présidé à la rédaction de cette courte étude. Il est à rappeler en effet que l’expérience chilienne, conduite par Courcelle-Seneuil, ne fut pas la seule application des principes de la liberté des banques. De manière célèbre, les banques ont fonctionné dans un large degré de liberté en Écosse (1716-1845), en Suisse (1826-1850), aux États-Unis (1837-1866), ainsi qu’au Canada (1867-1908). Même dans la seule Amérique du Sud, plusieurs cas de Free Banking ont été relevés, quoique pas toujours avec pertinence : le Brésil (1888-1892), l’Argentine (1887-1890), et la Colombie (1863-1886), qui avait suivi directement l’exemple chilien.

Si le Chili offre, de tous ces exemples, le plus intéressant et le plus enrichissant, c’est pour plusieurs raisons. Tout d’abord, et c’est sans doute le plus important, il s’agit là d’une véritable expérience de liberté des banques, où les recommandations pratiques des partisans du Free Banking ont véritablement été appliquées. Cela s’explique simplement par le fait que c’est l’un des grands théoriciens du Free Banking qui a mené directement la réforme. La deuxième raison, c’est que cette expérience fut d’une assez longue durée (1860-1898), ce qui permet d’observer correctement ses conséquences — bien que, sur ces quelques quarante années, il y ait eu différentes phases. La troisième, c’est que cette expérience libérale a eu lieu dans un pays relativement développé, ouvert sur le monde extérieur, et à une époque où les opérations bancaires avaient déjà une certaine ressemblance avec celles de notre époque.

Brève histoire de l’expérience chilienne

Avant la réforme de 1860 introduisant la liberté des banques, le système bancaire chilien avait d’abord reposé sur des bases assez classiques : un bi-métallisme, avec monnaie en or et monnaie en argent. Une brève introduction de papier monnaie fut essayée par le gouvernement chilien au début du XIXème siècle, mais elle fut de courte durée, et à partir de 1826, le papier monnaie disparut complètement.

Les premiers assouplissements réglementaires, prémisses à une libéralisation complète des banques, survinrent durant les années 1850, résultant dans la création de plusieurs banques commerciales. Cependant, le cadre juridique restait flou, et l’assouplissement laissait de nombreuses interdictions.

C’est en 1860 que le Chili, sous les conseils très écoutés de J.-G. Courcelle-Seneuil, mit en place la liberté complète des banques. La Loi Bancaire Générale, d’inspiration toute libérale et, pourrions-nous ajouter, toute française, fut promulguée le 23 juillet 1860. Elle autorisait la libre création de banques émettrices de billets, pour toute personne capable de se lancer dans des opérations commerciales (Art. 1). Un nombre très réduit de provisions plaçaient des obligations pour les banques. On peut les résumer sous cinq points : 1- obligation de publier des comptes mensuels et de les transmettre au Ministère des Finances (Art. 8 & 30) ; 2- obligation de garder les billets émis parfaitement convertibles en or ou en argent et de les payer à vue sur simple demande (Art. 26 & 27) ; 3- limitation du montant total des billets émis à 150% du capital de la banque ; 4- quelques obligations diverses dans la gouvernance d’entreprise (Art 9 & 26) ; 5- procédures obligatoires lors de la création d’une banque, comme communication du nom de la banque, des villes dans lesquelles elle opérerait, ainsi qu’une copie de ses statuts.

Nous voyons donc que cette loi bancaire était très libérale, et que dans la pratique les banques étaient laissées grandement libres d’opérer.

Effets de cette loi de liberté des banques au Chili

Pour définir de manière rigoureuse si cette expérience libérale fut un succès ou non, nous étudierons plusieurs points importants : 1- le degré de concentration / de concurrence du secteur bancaire chilien ; 2- le nombre de faillites d’établissements bancaires, illustrant l’instabilité ou non du système, ainsi que le montant des pertes pour les clients des banques ; 3- la rentabilité des établissements bancaires ; 4- le niveau des taux d’intérêt ; 5- le développement économique général, et notamment la croissance économique.

1)  Degré de concentration / de concurrence

L’un des effets bénéfiques de la loi de libéralisation de l’activité bancaire au Chili fut d’accroître de manière sensible le nombre de banques émettrices de billets, permettant l’instauration d’un véritable marché concurrentiel. En 1866, on comptait cinq banques émettrices de billets ; au début des années 1890, elles étaient 24.

La part de marché, si l’on peut dire, de ces différentes banques, n’était évidemment pas également partagée. Cependant, le degré de concentration du secteur a eu tendance à décliner sensiblement : quand en 1866 les trois plus grandes banques captaient 85% du total des dépôts, elles n’en possédaient plus que 65% à la fin des années 1880.

2) Nombre de faillites d’établissements bancaires

Selon de nombreux adversaires des banques libres, le fonctionnement concurrentiel d’établissements bancaires émettant des billets ne peut que provoquer des faillites et, à terme, le plus grand des chaos. L’un des adversaires de la liberté des banques, Pellegrino Rossi, expliqua par exemple que « La libre concurrence en matière de banque est un danger que ne peuvent tolérer les lois d’un peuple civilisé. » M. Thiers renchérit : « Deux banques à côté l’une de l’autre sont entraînées à s’entre-détruire ; c’est une rivalité mortelle. L’expérience et la science ont condamné cela comme une folie. » Voyons ce qui en a été dans l’expérience chilienne.

Les chiffres relatifs à l’expérience chilienne indiquent que le taux de banques ayant fait faillite sur la période 1860-1898 est de 20.5%, ce qui signifie qu’après quarante ans, un cinquième des établissements avaient disparu pour cause de faillite. Ce chiffre, qui paraît élevé, est en réalité inférieur aux moyennes historiques.

En outre, une étude attentive des différents cas de faillite de banques chiliennes durant la période montre que seuls les établissements de taille modeste ont subi de tels évènements. Par conséquent, les pertes pour les déposants restèrent toujours relativement faibles, de l’ordre de 0.12% annuellement. Ce chiffre signifie que chaque année, 0.12% du total des dépôts bancaires au Chili disparurent pour cause de faillites d’établissements bancaires, ce qui reste très modéré.

Un point important également à mentionner, c’est l’absence de cas de faillites frauduleuses. Les adversaires des banques libres laissent parfois sous-entendre que sous le système de la liberté des banques, des établissements pourraient être créés, émettre des billets, les échanger contre des valeurs réelles comme des métaux précieux, conserver des sommes importantes sur des comptes de clients, avant de disparaître furtivement en emportant tout l’argent. En vérité, de tels cas ne sont pas arrivés au Chili durant cette période, ce qui n’est pas une surprise, car sur aucun marché ces procédures frauduleuses sont des stratégies couronnées de succès.

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3) Rentabilité des établissements bancaires

Durant toute la période de la liberté des banques, les établissements bancaires tirèrent d’assez larges profits de leurs activités. On estime qu’en moyenne, sur ces quarante années, le taux de profit moyen fut d’environ 12%. De manière plus intéressante, les chiffres montrent que le taux de rentabilité des banques libres chiliennes a eu tendance à décliner au fil des années : de 17% de rentabilité au début des années 1860, on atteignit seulement 10% à la fin de la période de liberté. Cette diminution est une conséquence logique de l’augmentation du niveau de concurrence sur le secteur. La concurrence a en effet tendance à faire diminuer les prix et les profits, et c’est ce que vit le secteur bancaire chilien.

4) Niveau des taux d’intérêt

Ainsi que le confirment les chiffres présentés par Ignacio Briones, le niveau des taux d’intérêt a suivi une tendance continuellement baissière au cours des années de liberté des banques. Cette observation est en phase avec la remarque énoncée précédemment : une plus forte concurrence entre les institutions bancaires a provoqué une baisse des prix, le prix étant sur ce marché le taux d’intérêt.

5)  Développement économique général

Au cours de la période étudiée, nous observons que l’économie chilienne s’est développée à un niveau très rapide. La croissance annuelle du PIB entre 1860 et 1898 a été de 2.1%, ce qui est un niveau très élevé pour l’époque (les autres pays d’Amérique du Sud n’atteignirent pas ce niveau)

Conclusion

Le système de banques libres instauré au Chili grâce aux efforts du Français Jean-Gustave Courcelle-Seneuil, a donc été un grand succès économique, illustrant le bien-fondé d’une telle réforme.

Si dans ces dernières années, une crise important survint, ce n’est pas tant à cause de la liberté des banques, qui avait déjà été sévèrement réduite.

En vérité, ce n’est qu’entre 1866 et 1874 que le système bancaire chilien fut un système de Banque Libre au sens strict du terme (c’est d’ailleurs sur cette période que le pays connut sa plus importance croissance économique). À partir du milieu des années 1870, la guerre contre l’Espagne poussa le gouvernement chilien à intervenir sur le marché bancaire en suspendant la convertibilité des billets et en se liant à plusieurs établissements pour financer ses déficits importants. Ainsi, si finalement le Chili connut des difficultés économiques, ce n’est pas à cause de la liberté des banques, mais à la suite d’attaques continues contre celle-ci, pendant près de deux décennies.

Bibliographie sommaire

Ignacio Briones, «Free-banking revisisted: the Chilean experience 1860-1898 »

George Selgin, « Short-Changed in Chile: The Truth about the Free-Banking Episode », Austrian Economics Review, winter-spring 1990

Pedro Jeftanovic & Rolf Lüders Sch., « La banca libre en Chile »


Sur le web.

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  • L’expérience chilienne de banques libres a trouvé sa limite dans le nécessaire financement de l’Etat régalien. Elle nous apprend qu’il importe de prévoir ce financement dès le départ dans l’organisation réglementaire du marché des monnaies en concurrence. C’est seulement dans ce cadre qu’une taxe de type Tobin peut devenir performante, au lieu d’être le néfaste projet, destructeur de capitaux donc d’emplois, tel qu’il est actuellement conçu.

  • Entre le socialisme monétaire et la liberté , le premier échoue toujours lamentablement et la seconde réussie toujours …

  • Il manque un « e » dans le deuxième paragraphe de la conclusion :

    « … une crise important survint, ce n’est pas … ».

    Bref. Excellent article. Informatif et concis, on en ressort enrichi d’un nom jusqu’alors inconnu Courcelle-Seneuil dont je partage avec vous l’article wikibéral suivant :
    http://www.wikiberal.org/wiki/Jean-Gustave_Courcelle-Seneuil

    Sur l’idée de fond, la libéralisation du secteur bancaire, la principale critique à faire d’un tel système est déjà inclue dans l’article et je pense que Friedman et Hayek ont remarqué la même chose qui est la suivante : en cas de guerre, le financement colossal nécessaire aux armées font que les politiciens n’hésitent pas à manipuler à leur guise les règles du jeu, en partenariat avec les banques « élues » qui vont profiter de ces emprunts massifs.

    Donc mon doute principal et peut être le seul du Free Banking System est de se retrouver incapable de fournir les fonds nécessaires non pas à des attaques vers extérieurs mais simplement à la défense du pays donc à la défense des libertés de ses citoyens. Certainement qu’une conscription militaire à la Suisse (concept du citoyen soldat) et un trésor de prévision organisé par le pouvoir pourrait permettre d’éviter de semer le chaos à chaque fois que des irresponsables voudront entreprendre des projets au-dessus de leurs moyens (une guerre par ex).

    Demander aux gens 20% de leurs réserves pour sauver leur pays d’une invasion est certainement moins populaire que de toucher à quelques lois pour rendre le papier commercial la nouvelle référence du commerce et dévaluer les réserves de tous. Mais une fois cette dernière mesure effectuée, les banques « élues » ont tellement grossies, que fort de ce nouveau rapport de force, pour elle l’intérêt sera de s’arranger pour que ce système se pérennise, avec le consentement de la classe politique avide de POUVOIR dépenser à leur guise au nom du Peuple.

    Ainsi il faudrait pour survivre, que le Free Banking System soit à même de pouvoir se défendre du politique. Une idée de la HSBC serait de menacer le pays d’accueil, de se déplacer ailleurs à la moindre mesure un temps soit peu dans la mauvaise direction de la part des politiques. Le siège social de la HSBC à Hong Kong peut être démonté en un mois et prendre le large avec toutes ses réserves.

    La monnaie électronique comme le Bitcoin est aussi une alternative empêchant le politique d’intervenir sur le secteur, à moins e contrôler tout le réseau, ce qui semble difficile mais qui se fait petit à petit donc méfiance. Rien ne garantie que nos maigres libertés d’aujourd’hui soient là pour l’éternité. C’est juste que la classe politique n’a pas encore eu le temps et l’imagination de scléroser ce qu’il reste de liberté dans le monde.

    Amen

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