Made in France, E18 : « RSI-gît »

Tranches de vie ordinaires en République Démocratique (et Populaire) Française, imaginées mais pas dénuées de réalité – Épisode 18 : « RSI-gît. »

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0
Cimetière du Père Lachaise à Paris (Crédits San Diego Shooter, licence Creative Commons)

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Made in France, E18 : « RSI-gît »

Publié le 6 juin 2014
- A +

Par h16 et Baptiste Créteur.

La France est un pays d’ordre et de méthode. Il y a des choses qui se font, d’autres qui ne se font pas, mais quoi qu’il arrive, s’il y a une procédure pour les unes et les autres, elle sera appliquée à la lettre. Qu’on postera avec assiduité, tant que cela sera nécessaire. C’est d’ailleurs cette application rigoureuse de la méthode qu’a pu tester Marisol.

Marisol, c’est la femme de Louis, un travailleur indépendant, et un indépendant très travailleur. Comme tout indépendant, Louis cotise bien sûr au RSI, le « Régime Social des Indépendants ». Seulement voilà : même si Louis est fort travailleur, la conjoncture n’est pas toujours tendre et après des mois, puis des années difficiles, son activité a diminué tant et si bien qu’il ne parvient plus à faire face à ses charges et cotisations. Les jours passent, et ajoutent à son désespoir qu’on peut d’ailleurs mesurer, règle graduée en main, à la hauteur toujours plus imposante de la pile de courriers de relance des différentes administrations réclamant leur pitance toujours plus fort, comme des petits poussins affamés. Et constamment, l’administration la plus insistante, la plus demandeuse, la moins disposée à accorder des délais est précisément le RSI. Au vu du nombre de relances et de l’acharnement de l’organisme, Louis s’est plusieurs fois demandé si l’acronyme ne cache pas une sale blague, celle d’un organisme qui entend mettre vraiment les indépendants au régime.

Les derniers courriers sont plus que menaçants, ils virent à l’agressif. L’appétit féroce du Régime n’est toujours pas comblé, des actions coercitives vont être menées, des huissiers vont être lâchés, des comptes seront fermés, des poursuites seront engagées… Et des issues seront bouchées.

foutralysAprès s’être fait tout seul, Louis se fait tout petit. Ces relances, quasiment belliqueuses, l’inquiètent, l’obsèdent, l’obnubilent. Petit à petit, Louis s’assombrit. Marisol sent bien son mari se renfermer, mais elle ne sait pas plus que lui quoi faire pour calmer les fringales du gros régime joufflu. Jusqu’à ce jour fatidique où, ne parvenant plus à faire face, Louis commet l’irréparable. Dans la lettre où il explique son suicide, rédigée au dos d’un courrier de relance où des montants obscènes sont mentionnés en gras, Louis explique qu’il ne supporte plus l’idée de voir débarquer chez lui des huissiers venus saisir ses biens, lui qui a toujours promis de prendre soin de Marisol. L’absence de toute pitié de l’organisme inhumain, le harcèlement bureaucratique paperassier de plus en plus ubuesque, les longues heures à se cogner au téléphone du Vivaldi mal découpé ou du Chostakovitch en distorsion, en pure perte, auront poussé le brave homme à l’irréparable, à l’abandon, au bail-out terminal.

cerfa travail dissimuléBon. C’est très triste, tout ça, mais il ne faudrait pas oublier l’essentiel : Louis une fois mort et enterré, le RSI a toujours faim. L’équilibre financier de ses caisses est bien plus fragile encore que l’équilibre mental de Louis à quelques secondes de son geste. Le recouvrement des sommes dues ne peut donc attendre la fin du deuil de Marisol. Et puis le mélodrame, tout ça, ça va bien cinq minutes, mais il y a des courriers de relance à écrire, des courriers à mettre sous enveloppe, des enveloppes à timbrer puis à envoyer, et tout ça n’est pas gratuit, ça coûte même un paquet de pognon, ma petite Marisol. Il faut bien que quelqu’un paye et même si Louis s’est désisté d’un coup de pied nonchalant à la chaise qui le soutenait, ce n’est pas pour ça qu’on doit s’arrêter de réclamer en si bon chemin.

Sauf que Marisol n’entend pas tout à fait se laisser faire. Prise de colère devant une telle indécence, elle répond à la dernière missive et enjoint les agents du RSI « de lui écrire au cimetière. », puisqu’après tout, c’est là qu’il réside à présent.

Ce qui devait arriver arrive bien évidemment, et puisqu’il faut écrire au cimetière, le RSI le fait. Louis reçoit donc bien sa lettre au cimetière ; ou plus exactement, elle est remise à Marisol par un jardinier inquiet qu’on puisse écrire à un mort. Et lorsqu’une brève explication lui est donnée, il est même choqué d’apprendre que l’objet de la correspondance est le recouvrement de sommes dues.

« Même au cimetière, ils ne vous laissent pas tranquille. »

Avec un tel cadre, il n’est guère étonnant que l’affaire fasse un peu de bruit, au point que les journaux locaux s’emparent de l’affaire, sur le mode « En page 4, Marisol et son histoire ». Mais quand bien même le RSI poursuit-il des cadavres de ses encombrantes relances, il lui en faut plus pour s’excuser. La procédure reste la procédure, la méthode de recouvrement reste en place, les sommes dues sont toujours dues, et ce, même si Louis n’est plus.

Et tout est clair, limpide et parfaitement expliqué sur les courriers que Marisol peine à déchiffrer, ses gros yeux pleins de larmes : les sommes dues se résument à l’ultime cotisation de Louis, qui permettent de couvrir ses prestations santé un bon gros trimestre après son décès (des fois que) ainsi que toutes les cotisations relatives à l’activité professionnelle postérieure à son décès, quand bien même la cessation de cette activité avait été effectuée dans les temps et dans les formes. Et peu importe que le décès ait été enregistré dans les règles : pour le RSI, la mort n’est pas une raison suffisante pour arrêter inconsidérément d’assurer sa santé.

socialsecurity

Le cœur brisé, le ventre retourné et l’esprit plein d’une colère sourde, Marisol s’empresse de régulariser l’ultime cotisation de Louis, se fendant tout de même d’une lettre incendiaire au RSI où elle demande explicitement à être laissée tranquille.

Sans succès.

Cerfa euthanasie simplifiéeRien n’arrête une procédure lancée avec méthode. C’est précis et pointu, ces petites choses-là. C’est comme sur des rails : une fois lancé, rien n’arrête le train du RSI. On a à peine le temps de dire « non merci » qu’on est déjà arrivé à ces destinations où seul le travail rend libre. Moyennant quoi, le RSI continue donc ses relances, ses injonctions de payer, ses mises en demeure, et ses autres lettres compliquées auxquelles Marisol ne comprend plus rien.

Dans sa tête, tout tourne de plus en plus vite. L’étau est maintenant aussi resserré autour d’elle qu’il l’était sur son mari quelques semaines auparavant. Dans un ultime sursaut, cynique et narquois, elle écrit à l’organisme une missive dans laquelle elle lui demande d’adresser ses prochaines relances « à Saint-Pierre, qui transmettra ». Puis, du même geste que Louis, Marisol pousse la chaise qui la retient encore ici-bas.

Sur sa tombe, recouverte de courriers de relance, figure désormais un épitaphe unique au monde : « RSI-gît Marisol ».

Vous vous reconnaissez dans cette histoire ? Vous pensez qu’elle ressemble à des douzaines de cas relatés par la presse ? Vous lui trouvez une résonance particulière dans votre vie ? N’hésitez pas à en faire part dans les commentaires ci-dessous !

Voir les commentaires (17)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (17)
  • Le RSI est la pire administration a laquelle j’ai jamais eu affaire. Ils me harcelent depuis 2007 et les sommes reclamees varient de 1780E a 38.000E sans qu’on sache pourquoi. J’ai ete poursuivi et ai du plaider mon dossier au Tribunal Administratif de la Securite Sociale a 4 reprises. J’ai eu des verdicts favorables a 4 reprises et malgre des decisions de justice, le RSI continue a me harceler. Je n’ai pas les moyens de me payer un avocat, mais il es hors de question de laisser tomber face a ces batards. J’ai vu des familles ruinees au TASS, sans defense face a ces charognards.

    En tout cas, NE JAMAIS se faire prelever! Tout faire par recommande avec accuse de reception et tenir bon. Mais des que je peux, je me casse de ce pays de fous.

  • Je me répète encore et encore
    Faites votre rescrit social !
    Posez les questions que le RSI ne peut entendre poser devant le TASS .
    Vous serez tranquille !

  • Seules alternatives :

    Quitter la sécu

    Monter une SAS pour cotiser au régime général.
    Plus cher mais au moins avec L’URSSAF on sait ce qu’on va payer chaque mois.

  • Les courriers sont toujours impersonnels. Le seul moyen d’avoir un correspondant nommé est la procédure devant la commission de recours amiable (et encore, d’une procédure à l’autre, ce n’est pas la même personne, et leurs conclusions se contredisent souvent).

  • Cette société est une engeance!!
    A la retraite, je crée une entité de conseils qui ne produit aucun chiffre d’affaire, pas de facture émise!! Il était, alors prévu que la première année était totalement libre de charge à fortiori si pas de CA!!
    Je procède à la fermeture de la société dans la même année fiscale, dons toujours pas de cotisation pas plus que d’impôts!!
    Et bien non!! Deux ans après la clôture, le RSI -cette hydre immonde- se réveille et met en branle sa machinerie diabolique, je dois deux trimestres de cotisation RETRAITE moi qui suis à la retraite!!
    C’est d’autant plus invraisemblable que les trimestres demandés sont les deux suivants l’arrêt de la société!! Malgré le bon sens, le RSI ne démord pas et après plusieurs mois de relances fait intervenir un huissier qui procède au blocage de mes comptes bancaires et partant d’une somme due (?) de 128€ j’en arrive à devoir 742€!! Qui dit mieux? Dans me même temps j’apprenais que le directeur du RSI Montpellier faisait faire pour plus de un million d’Euros de travaux de déco dans les bureaux, il lui faut son confort même au prix de suicides!! L’hydre a faim!!!
    Le Gouvernement est très au fait de ces évènements, que fait il? Que fait la Ministre Touraine? RIEN!!!!

  • Je suis bouleversé . Le récit et les commentaires confirment qu’on vit dans un pays à la dérive . Les politiques feraient mieux de s’occuper de ce problème au lieu de nous prendre pour des imbéciles et nous proposer les demi mesures sur des choses non essentielles. Nos élus mettent le nez là ou il y a un peu d’argent à prendre. Croyez vous qu’ils vont s’attarder sur ce problème ? Non. C’est l’argent facile et pompé sur ceux qui peuvent se défendre le moins. C’est l’argent qui nourrit d’une certaine façon les caisses d’état. Qui les nourrit. On ne crache pas dans la soupe. C’est ça le problème de notre pays – la classe politique qui veut se mettre dans les poches. L’argent est plus important que l’être humain. Personne ne pense à relever la France, tout le monde pense à remplir son compte bancaire. Il faut une révolution pour changer ça !!! Mais nous sommes mal partis, pour le moment on ne peut même pas changer de président.
    J’étais moi même à mon compte et rsi c’est la plus grande arnaque autorisé par l’état. Bien l’huilée impitoyable tranchante elle coupe des têtes des gens qui ont l’initiative et l’envie de s’en sortir. C’est le frein de développement en France. La honte. Je ne veux pas vous raconter mon histoire avec rsi car elle est insignifiante et sans intérêt. Aujourd’hui je suis sans emplois, mais j’ai une préoccupation dans ma tête. Comment faire pour gagner un peu d’argent et rien donner à l’état ( ou plutôt à ceux qui en profitent c’est a dire les politiques).
    Regardez les à la télévision comme ils se battent pour leurs places. Beaucoup de paroles, peu d’actes concrètes, beaucoup d’indemnités , peu de résultats. Beaucoup de malversations , peu de condamnations. Beaucoup d’électeurs et tous des moutons. La refonte complète de notre système est indispensable. Elle s’impose. Nous n’avons pas d’autre choix. Mais en attendant nous poursuivons tranquillement mais sûrement – droit dans le mur.
    Et bien le FN a obtenu des excellentes résultats car c’est le parti qui a l’air de s’occuper des ouvriers et des classes moyennes. Si on peut avoir encore de l’espoir c’est en eux qu’il faut le placer.
    Je suis moi-même étonne de finir ainsi mon écrit . J’ai laissé ma main taper sur clavier et mon cœur écrit la suite . Je pense dorénavant que le passage FN est indispensable pour nous permettre de cultiver encore un peu d’espoir pour notre pays.
    CAR C EST LE SEUL ESPOIR QUI NOUS RESTE.
    AD

    • Mais qu’est ce que le FN vient ficher là dedans? Ce n’est certes pas Marine et ses acolytes qui viendront vous sortir de la mouise dans ce cas là! Seul vôtre adhésion à l’association de défense qui s’est crée il y a peu pourra vous aider, adresser tous les copies des courriers du RSI à Marisol Touraine, çà l’occupera un peu!!

    • En quoi le FN, qui veut je cite « plus de normes », une administration « préservée » (entendez recrutement d efonctionnaires), peut-il empêcher ce genre de dérives. Le FN c’est l’économie planifiée, ce n’est pas la libre entreprise !

  • Le RSI n’est pas mal pour son incompétence, la CIPAV n’est pas mieux. Des incompétents, profiteurs, taxeurs. Impossible de discuter avec les uns ou les autres, vos problèmes, ils s’en foutent carrément. Ce qui compte , c’est juste votre fric.

    Hé bien, je ne paierai plus.

  • Les commentaires sont fermés.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don
1
Sauvegarder cet article

Par Jacques Clouteau

[caption id="attachment_217468" align="aligncenter" width="640"] zoetnet-heroes-(CC BY 2.0)[/caption]

Voici quelques années je suis allé visiter la Valachie du Nord.

Quelle idée, me direz-vous, d'aller visiter la Valachie du Nord, un des derniers paradis communistes de la planète, pratiquement le seul qui a su arrêter le nuage de poussière quand le mur de Berlin est tombé en 1989... C'est une vieille histoire de famille qui remonte aux années 1930. Ma grand-mère, qui était valaque, est tombée amoureus... Poursuivre la lecture

bise
0
Sauvegarder cet article

Par Mathieu Avanzi[1. Mathieu Avanzi, maître de conférences en linguistique française, Sorbonne Université.]. Un article de The Conversation

Cet article est publié dans le cadre de la prochaine Fête de la science (du 5 au 13 octobre 2019 en métropole et du 9 au 17 novembre en outre-mer et à l’international) dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition aura pour thème « À demain, raconter la science, imaginer l’avenir ». Retrouvez tous les débats et les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.Poursuivre la lecture

Par Benoît Deltombe. 

Ce qu’il y a de paradoxal, avec le RSI (Régime Social des Indépendants), c’est qu’il agrège quelques trois millions d’entreprises, dont aucune ne se plaint de son fonctionnement, à preuve l’absence de tout contentieux, alors même que l’analyse de son organisation, en forme de « bulle de savon », révèle une fragilité préoccupante.

Ne perdez cependant pas de vue que la première exigence est celle de la résilience : d’expérience, dans un litige devant une seule juridiction, il a fallu 21 procédures, uniquement... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles