De la spécificité du football

Doit-on considérer le football, sport le plus populaire au monde, comme devant relever de l’exception ?

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De la spécificité du football

Publié le 8 mai 2014
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Par Adel Taamalli.

foot

L’UEFA risque de voir remis en cause par la juridiction européenne son Fair-play financier, du nom d’une politique phare menée par son président Michel Platini, laquelle interdit aux clubs d’avoir des pertes dans leur bilan annuel.

La presse nous apprend, en effet, qu’un avocat belge spécialisé en droit européen, Maître Jean-Louis Dupont, a porté l’affaire devant la Commission européenne… comme il l’avait fait lors de l’affaire qui aboutit au fameux arrêt Bosman, voici près de vingt ans. Un arrêt qui, rappelons-le, révolutionna le monde du ballon rond puisqu’il obligeait les clubs européens de l’époque à compter les joueurs de nationalité de pays étrangers mais membres de l’Union européenne comme s’ils étaient des joueurs nationaux, et ce, en vertu de la libre circulation des travailleurs adoptée par Bruxelles. Alors que jusque-là, il fallait obligatoirement qu’une équipe présente sur le terrain au minimum huit joueurs possédant un passeport du pays auquel appartenait le club.

C’est ainsi que, du fait de l’inflation des transferts que cette mesure a permise, en association avec d’autres facteurs liés à la mondialisation et à la libéralisation des échanges, on en arrive à des situations où rien de légal ne peut empêcher qu’un club comme Arsenal, un des exemples les plus forts en la matière, remplisse une feuille de match dans laquelle ne figure pas un seul Anglais.

Michel Platini, avec d’autres, a toujours défendu la spécificité du football, qui se matérialiserait en une sorte d’exception culturelle, elle-même assortie à la place majeure qu’occupe ce sport dans l’imaginaire européen (et même mondial).

Or, l’arrêt Bosman, un futur autre arrêt abrogeant le règlement sur le Fair-play financier, ou même, la décision des autorités françaises du football de ne pas se conformer à la récente déclaration de la FIFA d’autoriser les couvre-chefs religieux pendant les rencontres, imposent que nous nous posions la question suivante : doit-on considérer le football, sport le plus populaire au monde, comme devant relever de l’exception ?

Le football et son exceptionnel impact

Bien au-dessus de tous les autres de ce monde, le football a l’avantage incommensurable d’être le sport préféré des Terriens. Jeu simple puisqu’il ne nécessité que peu de matériel pour sa mise en pratique, il a séduit, depuis son apparition en Angleterre dans les années 1860, des centaines de millions de personnes, lesquels proviennent des quatre coins du globe.

À l’heure de la mondialisation dont il est, incontestablement aujourd’hui, un porte-étendard, le football est devenu cette activité universelle qui permet de connecter les différentes cultures dans une même célébration d’une identique passion, alors que beaucoup craignent le déclenchement d’un véritable choc des civilisations. Ce qui fait que des compétitions comme la Coupe du monde soient suivis en direct par des millions de personnes et que la finale de ce même tournoi soit regardée par plus d’un milliard de personnes !

Il n’est pas faux de dire, qu’un jour, s’il était interdit de pratique, pour quelle que raison que ce soit, la réaction populaire provoquée alors serait, en conséquence, immense…

C’est pourquoi, le football, grâce à cette place si particulière, possède, de manière intrinsèque, de nombreux arguments à faire valoir afin de gagner une place d’exception dans le paysage politique et culturel de toute nation.

Présentons quelques exemples de situations, de façon à étayer le fait que le football a bien été, parfois, le cadre ayant permis, sans coup férir, la sortie de certains de ses acteurs de la normalité ambiante, et ce, avec l’appui, semble-t-il, de la majorité de ceux qui en ont eu vent.

Exemples passés de l’exceptionnalité du football

Guy Roux, dans ses mémoires qui viennent de paraître, explique qu’il a voulu, peu avant un match d’importance pour l’AJ Auxerre, et alors même que cela se passait en plein mois de ramadan, convaincre deux des joueurs-clés de son effectif, les Algériens Moussa Saïb et Abdelhafid Tasfouat, de ne pas jeûner le jour de la rencontre. Après s’être renseigné, il téléphona, devant eux et en enclenchant le haut-parleur de l’appareil afin qu’ils entendent la conversation, le recteur de la Grande Mosquée de Paris, Dalil Boubakeur. Après avoir reçu les explications de Guy Roux, le religieux autorisa les joueurs à ne pas jeûner, en mettant en avant l’exceptionnalité de la pratique physique induite par leur métier. Une pratique imposant une ingurgitation calorique suffisante de façon à répondre, par anticipation, à la dépense énergétique qui aura obligatoirement cours pendant le match qui va suivre.

Cela n’est pas sans rappeler l’exemption de jeûne exceptionnelle que délivrèrent les autorités religieuses tunisiennes aux joueurs de l’équipe nationale qui devaient affronter, pendant l’été, l’équipe d’Afrique du Sud lors de la finale de la coupe d’Afrique des nations de 1996.

Ainsi, selon un a priori islamique, et lorsqu’il s’agit d’un événement exceptionnel tel qu’un match de football d’importance, les autorités religieuses semblent disposées à autoriser la non-pratique du jeûne, quitte à ce que le jour éventuellement manqué soit rattrapé plus tard.

Prenons un autre exemple, plus parlant pour les gens de notre pays, puisqu’il concerne la victoire de l’équipe « Black-Blanc-Beur » lors de la mémorable Coupe du monde 1998.

Une fois celle-ci consommée, et la gigantesque célébration qui l’a suivie terminée, un sentiment général de bien-être a gagné, cet été-là, les cœurs des Français.

L’ensoleillement de saison et ses implications sur le moral aidant, c’était comme si, de l’avis de tous ceux qui vécurent cette époque, l’on vivait sur le toit du monde. Il n’est ainsi pas surprenant que l’on puisse lire, dans une étude très sérieuse produite par l’INSEE sur le bonheur des Français, ces lignes suivantes, édifiantes : « l’année 1998 est peut-être particulière, la victoire de la France en coupe du monde de football ayant provoqué une vague – très temporaire – de « bonheur » ! »1

Seul le football semble pouvoir prodiguer, parmi tous les sports, un tel contentement. Et la raison en est simple : il est le sport le plus populaire, et permet donc, autour de mêmes idées simples (telles que l’attachement à un pays), une réelle communion. Il aurait pu en être ainsi d’un autre sport ou d’une autre activité. Mais c’est le football que le destin a choisi de sélectionner. La vocation de ce sport est donc d’occuper, régulièrement, et si intensément, les esprits de beaucoup parmi nous, et ce, quel que soit l’endroit de la Terre où l’on se trouve.

D’où la question de la spécificité du football. Devons-nous la défendre, quitte à être à contre-courant des évolutions de nos contextes, ou bien la nier et inciter le football, comme toute autre activité, à s’adapter, avec plus ou moins de sagesse, à l’ordre du monde ?

Le football et l’esprit du temps

Vouloir limiter le nombre de nationaux européens dans les équipes de club, afin que la composition de celles-ci reflète réellement l’appartenance au pays dans lequel elles évoluent ; interdire le voile islamique sur un terrain de football, en vue de matérialiser, dans les faits, une vision laïciste de la société, bien que la liberté de conscience et de culte soit garantie par notre Constitution ; imposer aux clubs un Fair-play financier, de façon à les obliger à adopter des pratiques saines dans la gestion de leur trésorerie, même si cela risque de se révéler aller à l’encontre de la libre-concurrence et de l’impossibilité d’empêcher un investissement, dispositions inscrites dans le marbre du droit européen ; voici les prises de position qui peuvent apparemment s’opposer à l’esprit du temps.

Sauf qu’il est difficile, sur ces sujets, et sur d’autres, de ne pas faire montre de contradiction avec soi-même.

Moi, par exemple ! Je suis pour la limitation de la composition d’une équipe, le jour d’un match officiel, à trois étrangers, même européens, afin que la logique de la localisation géographique de celle-ci soit préservée : car, pour compléter l’occurrence citée plus haut, Arsenal est un club d’Angleterre, avec des supporters fréquentant le stade qui sont de « nationalité » anglaise pour la plupart, et surtout, se qualifiant aux échelons européens en participant à des compétitions anglaises (coupes, championnat). Il est raisonnablement logique de vouloir que ses joueurs soient en majorité anglais.

Ma position serait donc contre la logique de mon époque, celle qui, pour nos pays, a vu l’émergence de la supra-nation européenne, dont les décisions de droit, notamment sur la libre-circulation, auront une incidence de plus en plus directe dans notre vie quotidienne, ce que le football montre en étant une sorte d’avant-garde de la « nation » européenne cosmopolite de demain.

En revanche, j’ai écrit, sur Contrepoints, un texte présentant des contre-arguments à la prise de position unanime des autorités françaises du football en faveur de l’interdiction du voile sur les terrains. Je pense, en effet, que cela va à l’encontre de l’éthique du droit français et européen en matière de la liberté des individus. Et je crois, là, être le défenseur de l’esprit de mon temps, puisque le voile islamique, qu’on le veuille ou non, fait incontestablement partie de la société française. Je reconnais, toutefois, que ceux qui s’opposent à l’introduction de cet habit religieux dans le sport, pensent que cet accoutrement est lui-même à contre-courant de notre modernité.

img contrepoints288 footMais, cela se complique, j’incline à me prononcer pour les dispositions du Fair-play financier, y compris pour un élargissement de la mesure aux dettes des clubs et non plus seulement à leurs pertes, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Car ces dispositions permettent un contrôle des dépenses des clubs en leur imposant une discipline budgétaire.

Surtout, elles peuvent être le facteur à ce que les classements généraux dans les championnats et les compétitions européennes soient fidèles à l’Histoire. En d’autres termes, pas de possibilité qu’un nouvel Abramovic choisisse un club de deuxième tableau et, en y investissant des sommes faramineuses, le propulse aux avants postes. Car la popularité du football est appuyée par celle du football professionnel. Et celle-ci a besoin de long terme pour que s’inscrive une fidélité d’un supporter à un club. Or l’arrivée subite de nouveaux clubs sur les hautes marches des podiums impliquent le développement d’un nomadisme du supportariat.

Sauf que cette position sur le Fair-play financier qui est la mienne se met en porte-à-faux, je le concède, de ce qui ressort de notre temps, à savoir l’extension du champ du droit européen qui vise à entraver le moins possible la liberté d’entreprise génératrice d’emplois, lorsqu’elle est portée par de lourds investissements…

Conclusion

Le football peut-il, par principe, s’arroger un droit d’exceptionnalité ? Il est clair qu’il possède des caractéristiques propres menant à répondre par l’affirmative.

Mais il ne peut s’exclure du champ sociétal et juridique, en jouissant d’une sorte de droit d’extra-territorialité. Il doit tout de même garder, comme l’exige la FIFA, son indépendance par rapport au pouvoir politique. Ainsi, il est heureux que ses instances dirigeantes gardent une certaine maîtrise, en ayant le pouvoir, sauf avis contraire émis en conformité avec le droit par des autorités judiciaires ou politiques, de sanction, comme c’est le cas actuellement en ce qui concerne le PSG puni par l’UEFA.

Cependant, il ne peut, par la voix de ses dirigeants, exiger des populations de se soumettre au diktat de ses compétitions, ce que Michel Platini a osé en demandant aux Brésiliens de cesser leur mouvement de manifestation de manière momentanée afin d’accueillir dignement la Coupe du monde de juin prochain. C’est au peuple brésilien lui-même de se poser la question, et d’y répondre, selon les priorités qu’il jugera les plus opportunes, même s’il souhaitait mettre, sur un piédestal, le football, auquel il confèrerait alors une spécificité…

  1. Voir p.169, Le bonheur attend-il le nombre des années ?, Cédric Afsa, Vincent Marcus, in France, portrait social, édition 2008.
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  • Le Sport professionnel est une industrie du spectacle. En tant que secteur d’activité, elle doit pouvoir se doter d’un code déontologique et éthique, d’un règlement propre aux métiers du sport professionnel.
    Certaines règles d’une branche professionnelle (comme le Football) ne peuvent aller à l’encontre des droits naturels et inaliénables de l’Etre Humain. (Un exemple extrême, interdire le football féminin…).
    Ensuite comme pour tout les corps de métiers, il faut savoir reconnaître des spécificités. Une de ses spécificités est qu’une équipe locale ou nationale doit être représentative de cette localité ou de cette nation.

    • L’idée qu’une équipe locale doit être représentative de cette localité induit t’elle que l’équipe en question doivent posséder sur le terrain des joueurs venant de la dite localité?
      C’est selon moi une mauvaise idée ! D’abord comme vous le dites, le football est une industrie du spectacle, libre donc aux équipes d’être composées de sorte à ce qu’elles puissent le mieux possible assurer le dit spectacle. Ensuite les régions qui ne possède pas suffisamment de bonne équipe, condamnent les joueurs de cette région à jouer à un niveau qui n’est pas le leur. Enfin c’est le début d’une usine à gaz pour savoir si tel joueur peut jouer dans tel club ou non en raison de ses origines…
      Il me semble que c’est au club eux mêmes de savoir comment fédérer leurs supporters et être représentatif de leur localité.

    • G.L.
      « Certaines règles d’une branche professionnelle (comme le Football) ne peuvent aller à l’encontre des droits naturels et inaliénables de l’Etre Humain »

      « une équipe locale ou nationale doit être représentative de cette localité ou de cette nation. »

      Il n’y a pas une contradiction sous jacente dans ces deux propositions ?

  • « Doit-on considérer le football, sport le plus populaire au monde, comme devant relever de l’exception ? »

    Excusez mes pulsions cartésiennes, mais, une exception en est une parce qu’il y a un principe.

    Où est énoncé le principe dans l’article ?

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