Lao Tseu l’a dit, ce n’est pas une coïncidence

L’apparition quasi simultanée de Confucius, Socrate et Bouddha n’est-elle pas le signe d’une évolution synchrone de l’Humanité, sorte de moment de grâce universelle ?

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Lao Tseu l’a dit, ce n’est pas une coïncidence

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 8 avril 2014
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Par François Ménager

Il y a  dans l’histoire de l’Humanité des coïncidences étonnantes. Elles sont bien plus que des coïncidences, bien sûr. Dans le fait que les mêmes schémas se produisent en des lieux et des époques différents, ou justement en des lieux aussi différents que possible mais en des époques proches et parfois même identiques, nous sommes tentés de chercher des indices sur ce qu’est l’homme universel, des traces de l’homme en dehors de sa culture, des pistes qui courent vers notre origine.

Ainsi, je m’étonne depuis longtemps de cette incroyable rencontre : que s’est-il passé au cinquième siècle avant Jésus Christ ? Comment se fait-il que trois des plus grands sages de l’Humanité aient traversé l’Histoire des hommes au même moment ? Comme des étoiles, ils se sont rapprochés sans se voir, parmi les millénaires et par delà les mers immenses ils ont foulé la poussière terrestre au même moment. C’est là une troublante conjonction : Confucius, véritable père de la pensée chinoise, Socrate, qui engendre l’Europe, et Bouddha, le Saint indien qui illuminera toute l’Asie.

L’Humanité, après des millénaires de gestation, était-elle à ce moment comme un jeune adulte qui accède à la clairvoyance en même temps qu’à la vigueur, enfin et soudainement prête à entendre en tous les lieux du monde une certaine sagesse ?

L’apparition quasi simultanée de ces grands hommes, et, plus mystérieuse encore, leur bonne réception en Inde, en Grèce, et en Chine, par des disciples intelligents, dans des sociétés mûres et capables de recueillir puis transmettre les précieuses paroles, n’est-ce pas là le signe d’une évolution synchrone de l’Humanité, dans ses diverses familles éparpillées dans tous les pays de la terre, d’une maturité qui fait fi des distances et des cultures, sorte de moment de grâce universelle ?

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Imaginez un monde où vivent au même moment Confucius et Bouddha. Un monde où battent simultanément les grands cœurs de deux ou trois de ces hommes immenses. Un monde où Bouddha raconterait à Socrate une anecdote qu’il tient de Confucius. Bien entendu, ceci n’est qu’une vue de l’esprit, puisque quand bien même leurs existences se sont effectivement croisées, aucun échange ne fut possible entre eux. Voici les dates sur lesquelles achoppe la précision des historiens modernes :

  • Bouddha, VIème ou 5ème siècle avant notre ère (naissance inconnue – environ 400)
  • Socrate, né à la fin du Vème siècle (470 à 399)
  • Confucius, qui les précède de peu (551 à 479)

Au-delà de cette petite trinité personnelle, il faudrait encore noter, pour compléter cette moisson d’augustes ferments philosophiques, que Platon, Zhuangzi, Lao Tseu, Aristote, Périclès, Héraclite et sans doute quelques autres que j’oublie, ont tous mis au moins un pied dans le même fameux Vème siècle.

Il nous font donc imaginer ce qui semblera encore plus impossible aux esprits rationnels : c’est d’une communication avec le même invisible, la même sagesse, le même Esprit du Monde que tous trois tiraient leurs vues fulgurantes, jamais contradictoires, et qui nous étonnent par leur vigueur et leur clarté encore aujourd’hui, lorsque nous nous donnons la peine de nous y plonger. Avec des pinceaux différents, elles semblent peindre une même Voie.

Car au-delà des coïncidences de chiffres, plus frappante encore est la communauté de direction. En effet, lorsque je lis, sous la plume de Anne Cheng, les explications suivantes : « L’homme de bien [chez Confucius] doit tendre vers la réalisation du Souverain Bien qu’est le Ren (仁). Le Ren est une vertu d’humanité, le caractère chinois 仁 se composant des deux éléments 人 homme et 二 deux. Il ne désigne pas un bien abstrait, absolu, mais le bien qu’un homme peut faire à un autre. » Anne Cheng d’ajouter plus loin : « Une telle notion ne saurait être appréhendée que comme la manifestation de toutes les qualités humaines poussées à un degré suprême. » — comment ne pas penser ici à la Charité des chrétiens, l’Agape ? Pour les chrétiens, dans ce système de pensée très particulier et très éloigné du système chinois qu’est le monothéisme, c’est aussi une vertu d’Humanité, le bien qu’un homme peut faire à un autre, qui est le bien suprême ; c’est bien la Charité qui est la mère de toutes les vertus. D’une certaine façon, c’est ce bien suprême, considéré comme vivant, que l’on appelle Dieu, faute de mieux, faute d’un nom qui ne soit pas un mot.

Le commandement de Jésus « aime ton prochain comme toi même » semble ainsi répondre à l’Analecte XII, 22 où le disciple Fan Chi demandant à Confucius ce qu’est le Ren, ce dernier de répondre : « C’est aimer les hommes » et encore au VI, 28 : « Pratiquer le Ren, c’est commencer par soi-même : vouloir établir les autres autant qu’on veut s’établir soi-même, et souhaiter leur réussite autant qu’on souhaite la sienne propre. Puise en toi l’idée de ce que tu peux faire pour les autres – voilà ce qui te mettra sur la voie du ren. »

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Le caractère chinois Ren.

 

Peut-être trainait-il dans une bibliothèque de Nazareth une version araméenne des Analectes ? Ou alors le jeune Jésus a-t-il fréquenté des groupes de hippies confucéen qui se réunissaient le soir sous les abribus de Galilée ?

Je ne connais pas assez bien le bouddhisme pour l’appeler ici à la rescousse, mais sa doctrine générale ne me semble pas très éloignée de tout cela. Dira-t-on que ce sont là les valeurs classiques (et donc aujourd’hui dépassées et simplistes) des sociétés traditionnelles ? Que l’archaïsme est l’unique point commun de ces trois pensées ? Ce n’est en tout cas pas mon avis. Leur fécondité pour tout homme, de tout temps, en est la preuve. S’il existe une transcendance, une vérité qui ne change pas avec les âges, c’est celle là : l’amour du prochain, élevé au rang de principe de vie, unique et sacré.

Notre époque n’est peut-être pas exempte d’hommes sages. Mais l’accumulation des hommes sages de cet acabit n’est sans doute pas très utile, puisque la sagesse ne change pas, elle. Simple et belle, elle se trouve toute contenue dans quelques-unes de ces quelques paroles que les hommes se transmettent de génération en génération, tant bien que mal. On commente, certes, depuis des siècles, avec force intelligence. Mais dans le fond, les commentaires infinis ne cachent-ils pas la vérité toute simple ? Que peut-on ajouter, qui ne soit ni glose, ni détournement ? Ou alors faut-il croire qu’il viendra un Sage des Sages, sorte de sage 2.0, qui donnera une nouvelle avancée à l’union de l’Humanité dans l’amour universel ?

S’il vient, il sera lecteur de Contrepoints, c’est sûr. Et il laissera un commentaire.

Et en tout cas, il nous faut nous demander quel rôle nous devons jouer, nous la multitude qui n’en finit par de venir après les sages.


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  • Très joliment dit, cela me fait penser à l’auteur Paolo Coelho, pour la religiosité, la philosophie…des lectures accessibles à tous qui ont le mérite de parler de sagesse, d’amour de soi et de son prochain comme de valeurs fondamentales à notre transcendance.
    Qd au sage 2.0, si il pouvait se manifester ici, il y trouvera sa Marie-madeleine!

  • Mouais, façon de voir.

    Lire, de Jung. Synchronicité et Paraselcica.

  • C’est plus, à mon sens, le jeu des « mains invisibles » évoquées par Platon…
    Elles guident l’Humanité dans les desseins, des dieux en disait-ils.

    Perso, depuis quelques temps que je prépare un roman « d’actualité-fantastik », publié sur mon blog pour le mois d’août prochain, je me pose justement la question de savoir qu’elle est sa nature.
    J’ai bien une hypothèse absurde, celle qu’elles viennent ‘de l’avenir ».
    Mais c’est tellement « dingue » que je ne sais pas comment la formaliser.

    Parce que bon, il y a de moins en moins de doute que le hasard puisse un jour expliquer nos attitudes, comportements et autres « idéaux » qui préjuge de notre présent, y compris politiques, sociaux et économiques.
    Le « fil rouge » est ailleurs, même s’il apparaît parfaitement cohérent dans tous ses « micros-aspects » qui font notre quotidien.

    Merci, avec votre permission, je reprendrai … un jour ou l’autre, je ne sais pas encore…

  • C’est comme la conjonction miraculeuse au tennis entre Nadal, Federer et Djokovic ? o_O
    [ ] –>

  • Certes on recherche à voir un schéma… Je cite  » elles semblent peindre une même Voie. »

    Pour moi il n’y a que hasard, coïncidence et ces trois sages ne sont pas vraiment contemporains comme on peut le laisser entendre. Il y a quelques décennies d’écart entre eux.
    ◾Bouddha, VIème ou 5ème siècle avant notre ère (naissance inconnue – environ 400)
    ◾Socrate, né à la fin du Vème siècle (470 à 399)
    ◾Confucius, qui les précède de peu (551 à 479)

    La disparité géographique des uns et des autres n’aura pas empêché les idées de voyager. Mais certes, qu’elles aient émergé à plusieurs endroits à la fois est troublant mais de là à l’expliquer comme vous le faites :
    « c’est d’une communication avec le même invisible, la même sagesse, le même Esprit du Monde que tous trois tiraient leurs vues fulgurantes, jamais contradictoires »
    Cela heurte tout à fait mon esprit irrationnel.

    L’explication que les cerveaux humains ont évolué de manière synchrone à travers le globe, qu’ils ont été capable de générer des grands esprits comme ces trois là et bien d’autres assez futés pour les entendre : A mon humble avis, la Théorie de l’évolution fondé par Darwin et validé par de nombreux anthropologues.
    « L’Humanité, après des millénaires de gestation, était-elle à ce moment comme un jeune adulte qui accède à la clairvoyance en même temps qu’à la vigueur, enfin et soudainement prête à entendre en tous les lieux du monde une certaine sagesse ? »

    J’aborde dans votre sens qu’aujourd’hui, nous sommes une société mondialisé qui compte bien des milliers de sages mais proportionnellement les imbéciles se comptent par millions.
    Je cite « Mais dans le fond, les commentaires infinis ne cachent-ils pas la vérité toute simple ? »

    Je vous cite à nouveau : « S’il existe une transcendance, une vérité qui ne change pas avec les âges, c’est celle là : l’amour du prochain, élevé au rang de principe de vie, unique et sacré. »
    Biologiquement, c’est l’égoïsme du gène (pour paraphraser l’évolutionniste Richard Dawkins) qui est le moteur de la vie. Cela n’exclut pas pour autant la coopération, l’altruisme, la sociabilité.

    Mais personnellement, je ne partage pas du tout votre messianisme. Avec tout mon respect car c’est là une question de foi.

    • J’ai lu un petit bouquin que je trouve très clair: C’est de l’eau de David Foster Wallace. Il nous explique en quoi la croyance peut être bénéfique pour nous, individu, et comment elle peut être dangereuse.
      Il suffit d’avoir conscience de sa croyance.
      @ G.L : vous croyez en l’évolutionnisme, au biologique. J’y crois aussi et tant que j’ai conscience que je crois en cela alors, je peux croire aussi en l’amour comme principe unique qui guide ma vie. L’un n’empêche pas l’autre, pour moi ce serait même faire preuve d’une certaine écologie, rigueur de la pensée, en soit une éthique individuelle ( je ne suis pas très douée pour manier les concepts philo, si j’ai tord, corrigeais moi…)!

    • très bon article!

  • Tout ça est démonté, mis en miettes dans le livre de Carl Gustav JUNG; Synchronicité et Paraselcica . /

  • Bravo, vous venez de redécouvrir ce que Karl Jaspers a nommé l’Âge axial de l’humanité. Cette période a aussi vu naître le zoroastrisme, le taoïsme, le début de la rédaction de la Bible hébraïque…

    Deux hypothèses sont en concurrence. La première explique cette coïncidence par le fait que voyageurs et marchands assuraient un contact plus fluide et plus rapide que ce qu’on croit entre civilisations. La seconde, émise par David Graeber entre autres, fait remarquer la coïncidence entre l’émergence de ces écoles de pensée et l’arrivée du concept de monnaie dans ces différentes régions du monde.

    Un point de contact intéressant entre économie et culture, qu’il faudrait peut être approfondir…

  • Biais de sélection.
    Socrate est un nain, mis sur un piédestal par son disciple Platon. Et Platon, qu’a-t-il fait ? il a écrit et créé une école qui a une postérité.
    Inversement, Zoroastre, qui lui est bien du calibre de Confucius et Bouddha, et peu ou prou de la même époque, vous l’oubliez. Pourquoi ? parce que le zoroastrisme a AUJOURD’HUI disparu, contrairement au confucianisme et au bouddhisme. Pourtant le zoroastrisme a eu une influence majeure, et imprègne encore le chiisme et le judaïsme. Or on sait que le zoroastrisme ne sort pas d’un crâne génial unique. Il est le produit d’une longue tradition, avec des maitres dont nous ne savons rien ; on peut dire la même chose du confucianisme et du bouddhisme.
    Des Zoroastres dont vous ne parlez pas, dont vous ne savez rien; il y en a eu avant, après, et ailleurs (en Égypte, en Amérique centrale, à Lascaux et dans le vert Sahara, …) . Des innombrables. Le bouddhisme l’affirme : les Bouddhas sont innombrables, ils nous semble rares simplement parce que nous sommes incapables de les voir même quand ils sont juste là.
    Bref : « ce n’est pas une coïncidence », c’est un artefact de VOTRE prisme, de vos limites. Que s’est-il passé au cinquième siècle avant Jésus Christ ? Sur le plan de la conscience humaine, de la maturité, de la capacité à entendre des paroles précieuse, strictement rien. Votre article en est la paradoxale preuve, puisque vous n’avez pas entendu le message de l’universalité, dans le temps et l’espace, véhiculé par vos 3 idoles 🙂

  • Je suis d accord avec l idée de synchronicite, au sens jungienne du therme, pourquoi pas d ailleurs.
    Mais les doctrines respectives sont radicalement différentes l unes des autres.
    Socrate : règne de la raison
    Confu tseu : respect de l équilibre social, et de l équilibre interne
    Bouddha : le bien et le mal n existent pas, et dont relatifs le seul bien absolu est de purifier son égo, jusqu’à sa disparition.

    Cependant, on ne peut que reconnaître le rayonnement, magnifique, majestueux, et casi solaire, de ces trois lumières de l espèce humaine 🙂

  • Lire <> de Karl Jaspers…

  • La synchronicité est une illusion. Les hommes d’époque similaire sont confrontés à un type de problèmes humains similaires, avec une base philosophique comparable également (car les idées circulent vite, de tout temps). Il est normal que les plus sgaes d’entre eux en arrivent à peu près aux mêmes conclusions. Bouddha eut-il été né à l’époque des Lumières il aurait probablement enseigné des choses comparables aux idées de John Locke ou de Tocqueville.

  • Très joli texte rempli d’espoir et de vues assez hautes qui font voir la beauté de l’immensité sans se perdre dans les détails affligeants. La révolution quantique arrive. Le vœu sera exhaussé.

  • Les commentaires sont fermés.

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