Fed : Les défis de Janet Yellen

Dans un contexte de reprise économique fragile, Janet Yellen doit répondre aux attentes et faire face aux critiques.

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Janet Yellen (Crédits IMF, licence Creative Commons)

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Fed : Les défis de Janet Yellen

Publié le 18 mars 2014
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Dans un contexte de reprise économique fragile, Janet Yellen doit répondre aux attentes et faire face aux critiques. Quoi quil arrive, elle devra resserrer plus fortement sa politique monétaire à court ou moyen terme. Le cas échéant, l’économie mondiale devra réapprendre à tenir sur ses deux jambes, car la Fed ne pourra éternellement rester interventionniste.

Par Lucas Heslot.
Un article du Bulletin d’Amérique.

Janet Yellen

La politique monétaire keynésienne mise en place par Bernanke depuis 2009, appelée Quantitative Easing (QE), consistait à maintenir les taux d’intérêts directeurs à 0% et à racheter différents actifs financiers pour 85 milliards par mois – l’équivalent d’un New Deal par mois. Ce mécanisme a été critiqué par de nombreux économistes, qui ont souligné que l’objectif de relance du crédit aux entreprises et ménages n’était pas atteint. Les liquidités se déverseraient dans Wall Street plutôt que Main Street – c’est-à-dire vers « la grande finance » plutôt que vers les petites entreprises.

Le 18 décembre 2013, Ben Bernanke, chairman de la banque centrale américaine avant d’être remplacé en janvier 2014 par Janet Yellen, avait annoncé qu’il comptait réduire ses rachats d’actifs de 10 milliards de dollars par mois, passant ainsi à 75 milliards, puis 65 milliards aujourd’hui. Il a donc montré qu’il assumait toute la responsabilité de son action durant la Grande Récession. Cette normalisation, appelée tapering dans le jargon économique, consiste à ramener progressivement la Fed à une politique monétaire plus conventionnelle pendant que l’économie repart, afin de prévenir une trop forte inflation ou la formation de bulles d’investissement. Parallèlement, il a réaffirmé que les taux d’intérêts resteraient à 0% jusqu’à ce que le taux de chômage, anticipé pour 2015, passe sous la barre des 6,5%.

L’engagement du tapering – le plan de réduction de rachat d’actifs – d’abord sans conséquence immédiate, a occasionné des ajustements assez violents dans les pays émergents au mois de janvier, où se déversait une grande partie des liquidités de la Fed. Heureusement, il semble aujourd’hui que ces chocs auront des conséquences limitées sur la reprise des économies occidentales. On pourrait donc considérer que l’opération est un succès, malgré le scepticisme des observateurs.

Le risque déflationniste étant toujours présent, et alors que la reprise semble s’accélérer, la Fed pourrait maintenir ses taux d’intérêts très bas bien au-delà des échéances initialement prévues fin 2014. Elle s’éclairerait à l’avenir de différents indicateurs du marché du travail afin de juger du moment opportun pour les remonter, dont le taux de chômage à long terme, encore trop élevé. En somme, la Fed a maintenu son objectif de remontée des taux à moyen terme, mais a décidé de passer outre, se tournant plutôt vers un objectif de 6% de chômage, voire de PIB nominal ou d’une inflation à 2%.

Ces nouveaux objectifs ont été gravés dans le marbre par Janet Yellen depuis sa prise de fonction le 31 janvier. Nombre d’économistes ont en effet critiqué le fait que la Fed place son objectif seulement sur le taux de chômage pour conduire sa politique monétaire, et ont popularisé l’idée de se tourner vers des indicateurs plus variés, notamment le PIB nominal (le PIB ajusté à l’inflation). Le plus reconnu d’entre eux, Scott Sumner, enseignant à la Bentley University du Massachusetts, déclare : « La décision daujourdhui na pas abandonné le seuil de taux de chômage, mais la affaibli. Il devrait tout simplement être supprimé. Sils ont promis dattendre jusqu’à ce que la prévision dinflation grimpe à 2,5% avant de remonter les taux, cela se traduirait approximativement par 2% dinflation durant les années qui viennent, sachant que le taux dinflation est actuellement inférieur à 2%. Cest encore trop serré, mais bien mieux que lancienne politique, et encore mieux que la révision daujourdhui. Le taux de chômage naurait jamais dû faire partie de la forward guidance. »

Janet Yellen doit répondre à toutes ces critiques afin de changer les anticipations. Elle peut placer le curseur sur le PIB nominal et/ou simplement le taux d’inflation, plutôt que sur un taux de chômage qui pourrait se révéler difficile et trop long à atteindre.

Pour éviter de brusquer un marché boursier très volatil, la nouvelle présidente de la Fed doit assurer la continuité avec Ben Bernanke. À ce titre, même si la direction change, la perspective reste identique. Tous les yeux sont donc rivés sur la nouvelle dirigeante, qui devra réussir à sortir par le haut de cette politique exceptionnellement accommodante, sans trop de pots cassés.

Dans ce contexte, la communication est primordiale et le principe de forward guidance, qui consiste à souffler les futurs mouvements de la Fed aux marchés et acteurs de l’économie en amont de leur engagement, constitue une innovation majeure dans la politique monétaire. Ce principe a encore ses faiblesses et n’est pas toujours respecté à la lettre, et comporte donc des risques non négligeables de perte de crédibilité qui pourraient remettre en cause tout le travail effectué depuis 2009 – comme par exemple le 18 septembre 2013, quand Bernanke décida de manière inattendue de repousser le tapering, prenant de court l’ensemble des acteurs.

L’objectif de Yellen est par conséquent de perfectionner ce principe de communication afin de le rendre imparable et plus rigoureux. Elle doit, en outre, éviter les erreurs faites par Bernanke et sa politique du on-and-off – QE 1, puis QE 2, puis QE 3 jusqu’à nouvel ordre – qui ont mis les marchés dans la confusion, en réduisant la visibilité et, partant, en conduisant à des risques importants de bulles d’investissements à court-terme. La question centrale aujourd’hui porte donc sur la continuité, ou non, du curseur de forward guidance de Bernanke, de plus en plus remis en question. C’est ce qui semble se profiler jusqu’ici, la nouvelle chairman étant insensible aux appels du pied de Wall Street voulant la conduire à assouplir son calendrier de sortie du QE, alors qu’une météo capricieuse aurait affaibli la reprise.

Mis à part la sémantique, et même si l’engagement du tapering fut un succès, Yellen comme Bernanke jugent qu’une « politique monétaire très accommodante reste appropriée ». En effet, avec une inflation tout aussi basse et un taux de chômage encore assez élevé, 2013 n’a pas été bien meilleure que 2012, même si la Fed a compensé une partie de l’austérité fiscale (sic). Toutefois, si la politique monétaire reste exceptionnellement accommodante au moins jusqu’en 2015, c’est aujourd’hui à la Maison Blanche et au Congrès de faire leur travail, en engageant une politique fiscale favorable à l’expansion économique durable et non à l’instabilité. Le changement de leader devra donc manifestement s’accompagner d’un changement de cap. De la part de la banque centrale d’abord, mais aussi de la part de Washington.

La triple mission de Yellen est délicate. Quoi qu’il arrive, elle devra resserrer plus fortement sa politique monétaire à court ou moyen terme. Le cas échéant, l’économie américaine, et mondiale devront réapprendre à tenir sur leurs deux jambes car la Fed ne pourra éternellement rester interventionniste. Si le succès est confirmé, la forward guidance aura révolutionné la politique monétaire et coupé le sifflet à toutes les mauvaises langues. Si elle pèche par manque de courage ou d’habileté, le dollar s’en verra fortement affaibli, et nous nous dirigerons vers une nouvelle décennie perdue.


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  • Yellen va attendre l’excuse d’un nouveau recul des marchés pour oublier le tapering et réactiver le QE, dans quelques semaines ou mois. Obama a besoin de ces injections car il espère terminer son mandat sans avoir à faire les réformes indispensables de l’Etat. Après lui, le déluge : son successeur devra assumer. Ainsi, les USA feront face en même temps à la crise, au remboursement de la dette passée et aux réformes, se plaçant dans la même situation que la France. Sans les injections de la Fed, les USA sont déjà en récession.

    • Si vous pouvez être sûre d’une chose, c’est que le tapering ne sera jamais inversé. Les marchés ont perdu 8% en janvier et Yellen n’a pas bougeé. D’ailleurs j’en parle dans l’article.

      • Oui mais le problème c’est que le Dow Jones ne résistera jamais à la vague de selling qui s’annonce de toute façon vue sa configuaration en forme de parabole s’accélèrant vers la fin. Les liquidations qui vont suivre seront farmineuses et l’économie réelle sera emportée dans la chute (cf crise de Lehman, cf crise de 29, etc). l’histoire se répète : les crises sont toujours monétaire et liées exclusivement aux interventions des banques centrales.

      • @Lucas

        En janvier, Yellen n’avait pas encore la main. Je pense au contraire qu’elle annulera le tapering à la première occasion, avec le retour au QE plein, ne serait-ce que pour montrer sa différence avec son prédécesseur. La Fed est en train de changer ses critères pour justifier sa politique accommodante. Ce n’est pas l’effet du hasard. 8% n’étaient visiblement pas une excuse suffisante. Probablement les marchés doivent-ils maintenant baisser du double pour provoquer l’excuse attendue par la Fed, et sans doute par la BCE dans le même temps, avec l’autre excuse d’un euro réputé trop cher.

  • Il faut ajouter à cela un glissement inéxorable du dollar à mesure que la FED détruit sa valeur. Attendez-vous à une panique sur le dollar quand le dernier tapering sera abandonné pour un énième QE. Ils sont pris à leur propre piège et quelque soit le sens où il décident d’aller (QE vs. Tapering), la réalité les rattrappera.

    • Ça fait des mois que j’entend ce discours. Les dirigeants de la Fed connaissent très bien les risques. S’ils n’étaient pas prêts à les assumer, ils n’auraient pas engagés le tapering en premier lieu.

      Le risque systémique est plutôt au niveau du relèvement des taux d’intérêt. La, il va y avoir du sport.

      • Certes, c’est un discours que beaucoup tiennent aujourd’hui. Mais, ils ont raison. Les bulles monétaires finissent toujours par lâcher et la liquidation finit par faire rage.

        Le problème c’est que tout le monde sera captivé par le flux de bonnes nouvelles et se précipitera à l’achat. Bien sûr, il y aura quelqu’un en face pour leur vendre. Puis comme par hasard, les mauvaises nouvelles sortiront et le ras de marré de supply (vendeurs qui veulent à tout prix sortir du marché en panique). Un QE pourrait le ralentir mais il donnera l’illusion au public que finalement la purge n’est pas si terrible et que la reprise n’est pas loin. Terrible erreur, car il aurait fallu sortir à tout prix.

        Regardez le Nikkei dans les années 90 : le Japon est le pays le plus fort du monde, les nouvelles sont excellentes, les gens s’endettent et achétent des titres en bourse. Les investisseurs avisés, en face, font de superbes ventes pour des quantités énormes sans que leurs ventes ne fassent baisser les cours.
        Et c’est là que tout l’art repose : les périodes d’euphorie permettent de vendre des quantités énormes de titres sans que le cours n’en soit impacté. Ils tiennent leur vente comme tout bon commercant.

        Puis d’un seul coup, on se rend compte que tout ne va pas si bien que cela et c’est la panique qui commence.

        Scrutez ce phénomène dans les semaines à venir.

        • que pensez vous de l’argument : la bourse n’est pas chère puisque les P/E ratios restent historiquement bas ?
          (un exemple ici : http://ordrespontane.blogspot.fr/2014/03/reflechissez-bien.html )
          J’ai du mal à croire à une vague de vente massive dans un tel contexte

          • Vous avez raison et c’est pour ça que je pense qu’il n’y aura pas de grand crash. Vous partez du fait qu’il y aurait une bulle, alors qu’il n’y en a pas, ou qu’elle est très limitée, puisque la politique monétaire ne s’est pas transmise à l’économie. Les seules bulles présentes sont dans les marchés émergents et menacent seulement 0,4% de la croissance des pays occidentaux, approximativement.

            Après bien sur, une bulle on sait jamais quand on est dedans. Il est possible que nous soyons dans une bulle sans précédent depuis 2009… Mais la politique du ON/OFF et la forward guidante a, à mon avis, empêché le marché d’être trop euphorique.

            L’ajustement prendra la forme d’un ralentissement de hausse et se fera progressivement.

            Enfin on dit toujours que l’économiste vous expliquera demain pourquoi ce qu’il a dit hier n’est pas arrivé, alors on peut toujours se tromper…

          • Je pense que la bourse n’est pas une affaire de fondamental mais une affaire de psychologie. Il y a les insiders qui comprennent très bien les fondamentaux et les outsiders (surnommé « le troupeau » par les pros) qui se font manipuler. Et c’est en période de cycle expansif des banques centrales que les insiders ont les plus belles opportunités de business.

            En bref : Quand c’est peu cher, personne n’ose acheter car les insiders font tout pour que le cours ait l’air « dépréssif » et chassent les faibles du titres (« shakeouts »)
            Quand c’est cher, les insiders essayent de lancer des vagues haussières sur les bonnes nouvelles pour revendre ce qu’ils ont acheté peu cher. Le vrai slogan à utiliser en bourse : vendre quand ça monte, acheter quand ça baisse mais c’est très dur car il faut recevoir de très bonnes formations sur le trading. Exemple mythique : Warren Buffet (un « insider »)

            • Si vraiment un news, une infos etc. avait une quelconque valeur et représentait une opportunité de faire un profit sur un marché, croyez-vous vraiment qu’elle serait divulguée sur toutes les antennes de la planète ?

              Les news que l’ont reçoit sont incompléte, tronquée, naïve, et ne traite les sujets qu’en surface

          • Puisque j’aime contrepoints, je partage un lien qui résume assez bien la situation et qui peut peut-être vous intéresser ou soulever des critiques, c’est selon :

            http://www.kitco.com/ind/Conner/2014-01-27-The-Most-Dangerous-Chart-in-the-World.html

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