« L’identité malheureuse » d’Alain Finkielkraut

Tout au long de ce voyage en identité malheureuse, Alain Finkielkraut entend faire la preuve qu’on peut éviter le politiquement correct sans tomber dans le politiquement abject.

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« L’identité malheureuse » d’Alain Finkielkraut

Publié le 12 décembre 2013
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Par Francis Richard.

IdentitéEn mai 1968, Alain Finkielkraut terminait son année de khâgne au lycée Henri IV, je terminais mon année de terminale dans le même établissement. Nous n’étions donc pas loin l’un de l’autre, du moins géographiquement.

Mais nous étions fort éloignés dans le domaine de la pensée puisque pour lui mai 1968 était un moment de grâce, alors que pour moi il s’agissait d’un moment de disgrâce, où je mettais dans le même panier partisans et adversaires de ce gâchis d’enfant gâtés.

Car si rien de ce qui est humain ne m’est étranger comme l’écrivait Térence, j’abomine cependant tous ceux qui parmi mes semblables sont des idéologues ou des sectaires. Comme je ne suis pas méchant de nature, je ne leur réserve toutefois qu’un châtiment spirituel, celui de les combattre par des arguments en me gardant bien de toute attaque ad hominem.

Alain Finkielkraut a changé. Aujourd’hui il souffre face à l’immigration qui compenserait « providentiellement la baisse de la natalité sur le Vieux Continent », parce qu’en fait les individus ne sont pas interchangeables, parce que les modes de vie finissent par se heurter et parce que, du coup, la crise éclate.

De nos jours la querelle de la laïcité n’oppose plus Religion et Lumières, mais laïques contre laïques. Le port du voile islamique à l’école désormais interdit en France en est une illustration. Il y a la laïcité libérale illustrée par ceux qui estiment que le port du voile est affaire privée et qu’il n’y a donc pas de raison de l’interdire, que ce soit à l’école ou ailleurs. Il y a la laïcité républicaine illustrée par ceux qui considèrent que l’école est un lieu de neutralité où les signes religieux ostentatoires doivent être prohibés.

Quand le voile islamique est porté en terre d’islam, remarque Alain Finkielkraut, on ne se sent pas chez soi mais – la nuance est importante –, quand il l’est dans nos pays, on ne se sent plus chez soi… Selon Alain Finkielkraut, le rôle de l’État ne se limite pas à la défense des principes de fraternité, de laïcité et d’égalité, « il défend un mode d’être, une forme de vie, un type de sociabilité, bref, risquons le mot, une identité commune ». Mais est-ce bien le rôle de l’État ? N’existe-t-elle, ou pas, spontanément ? À condition qu’elle ne soit évidemment pas étouffée par la violence étatique…

Quoi qu’il en soit, la désidentification française et européenne est aujourd’hui à l’œuvre. On n’en est plus à l’appartenance à une culture européenne caractérisée par une « capacité de garder une distance critique envers [soi-même], de vouloir [se] regarder par les yeux des autres, d’estimer la tolérance dans la vie publique, le scepticisme dans le travail intellectuel, de confronter toutes les raisons possibles aussi bien dans les procédures du droit que dans la science, bref de laisser ouvert le champ de l’incertitude ». (Leszek Kolakowski) On en est en réalité à ne plus vouloir entendre parler du tout d’appartenance parce que cela conduit à l’exclusion…

Seulement cette désidentification est unilatérale et ne s’applique qu’aux autochtones : « L’enracinement des uns est tenu pour suspect et leur orgueil généalogique pour « nauséabond », tandis que les autres sont invités à célébrer leur provenance et à cultiver leur altérité. » Cela va même très loin : « Pour la première fois dans l’histoire de l’immigration, l’accueilli refuse à l’accueillant, quel qu’il soit, la faculté d’incarner le pays d’accueil. » Dans le sens de cette désidentification, un nombre grandissant d’élèves refuse brutalement les contenus de l’enseignement que l’on veut leur dispenser.

Le grand problème contemporain ? « Ce n’est pas l’absence d’esprit critique, c’est la critique ignorante de la culture scolaire. »

Dans Race et Culture, Claude Lévi-Strauss disait qu’il n’était « nullement coupable de placer une manière de vivre ou de penser au-dessus de toutes les autres et d’éprouver peu d’attirance envers tels ou tels dont le genre de vie, respectable en lui-même, s’éloigne par trop de celui auquel on est traditionnellement attaché » :

Cette incommunicabilité relative n’autorise pas à opprimer ou à détruire les valeurs qu’on rejette ou leurs représentants, mais, maintenue dans ces limites, elle n’a rien de révoltant. Elle peut même représenter le prix à payer pour que les systèmes de valeurs de chaque famille spirituelle ou de chaque communauté se conservent, et trouvent dans leur propre fonds les ressources nécessaires à leur renouvellement.

Le fait est que nous ne produisons du neuf qu’à partir de ce que nous avons reçu :

Oublier ou excommunier notre passé, ce n’est pas nous ouvrir à la dimension de l’avenir : c’est nous soumettre, sans résistance, à la force des choses. Si rien ne se perpétue, aucun commencement n’est possible. Et si tout se mélange, non plus. L’ancien et le moderne risquent de sombrer ensemble dans l’océan de l’indifférenciation.

imgscan contrepoints 2013-2344 FinkielkrautLa tentation est cependant grande – et nous sommes libres de le faire –, « de congédier nos pères », « de faire défaut », de compter pour rien la forme, de considérer que « seul le sens fait sens » : « Si la forme n’a aucune importance, alors à quoi bon se fatiguer à mettre les formes ? On va droit au but, on se dépouille de ces oripeaux inutiles. On dit son « ressenti » sans filtre, sans fioritures. » Pourtant, mettre les formes n’est-il pas essentiel ? « Quand je mets les formes, je respecte un usage, bien sûr, je joue un rôle, sans doute, je trahis mes origines, peut-être. Mais surtout, comme l’a bien montré Hume, je fais savoir à l’autre ou aux autres qu’ils comptent pour moi. Je m’incline devant eux, je prends acte de leur existence en atténuant la mienne… »

Et où peut-on apprendre à mettre les formes sinon chez les classiques : « Qu’est-ce qu’un classique, en effet ? C’est un livre dont l’aura est antérieur à la lecture » :

Nous admirons avant de comprendre et si nous comprenons, c’est parce que l’admiration a tenu bon et forcé tous les obstacles. L’a priori, en l’occurrence n’est pas un préjugé, c’est une condition de l’intelligence. Ainsi s’opère la transmission de la culture, ainsi découvre-t-on l’Enéide, le Roi Lear ou À la recherche du temps perdu.

Pour Alain Finkielkraut, le temps presse :

Tout est-il joué ? Oui, si la vigilance que le passé impose continue de nous mettre hors d’état de percevoir l’irréductible nouveauté de la réalité présente. Non, si nous mettons enfin nos montres à l’heure, si nous choisissons de faire face et si nous n’abandonnons pas, sans coup férir, l’idée et la pratique de la démocratie au processus qui porte le même nom.

Et qui poursuit inexorablement son travail d’indifférenciation…

Alain Finkielkraut, L’identité malheureuse, Stock, octobre 2013, 240 pages.


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  • Belle retranscription des textes de ce philosophe.

    La pensée d’Alain Finkelkraut est touchante par son engagement, par sa passion. Mais en tant que philosophe (français de surcroît), il est difficile de se soustraire à la poursuite des ombres.

    Aussi touchant et vrai que puisse paraître son discours, je ne parviens pas à me défaire de l’idée qu’il s’est mis en quête d’un fantôme omniprésent mais irréel qu’il ne retrouvera jamais. Cette quête ressemble à l’ultime acte d’un homme révolté à la recherches des ombres du passé.

    Je rejoins l’auteur de cet article qui tranche efficacement cette quête semblant perdue d’avance :

    « Mais, est-ce bien le rôle de l’État ? N’existe-t-elle (l’identité), ou pas, spontanément ? À condition qu’elle ne soit évidemment pas étouffée par violence étatique… »

    Le mot « spontannément » est important. Il efface les ombres et donne aux hommes la liberté de se tourner vers l’avenir.

  • Alain Finkielkault est un réactionnaire de « gauche ». De mon point de vue c’est le chemin le plus cours vers le national socialisme. Cet homme est à la perpendiculaire du libéralisme. Cherchez la liberté dans tout son univers je vous souhaite bonne chance. Je n’arrive pas à comprendre que ce site passe autant de temps à faire l’exégèse de la pensée de cet homme. On peut aussi le faire de la pensée de Melanchon… Son dernier fait d’arme est d’avoir signé une pétition débile pour donner un statut juridique plus élevé aux ….animaux! Et notamment faire interdire les rites d’abattage musulman(comme cela est maintenant le cas en Pologne). C’est vrai que nos filière se porte tellement bien en ce moment surtout en Bretagne.

    • vous avez deja assisté à un abattage rituel ? essayez, aprés je suis sur que vous allez voter pour le front national !

      • J’ai vu et en ai même mangé, et je vous assure que la viande à le même gout. Ce qui est ridicule dans toute cet histoire, c’est que les animaux vont passer leurs vies entières dans des conditions très difficiles à supporter(même pour les agriculteurs qui s’en occupent) mais c’est l’abattage dit « rituel » qui ne gène pas celui qui le pratique on veux le supprimer. Mais l’alliance bobo-fn peux être très efficace quand il s’agit d’empêcher les gens de vivre en paix. Je tiens aussi à rappeler que le temps ou le fn était vaguement libéral est terminé. Aujourd’hui il est ÉTATISTE et DEMONDIALISTE.
        J’attends que l’on me prouve que la pensé d’Alain F ai quelque chose de libérale

        • moi, personnellement, je m’en fout qu’il ne soit pas un LIBERAL pur jus, à partir du momment ou je suis d’accord avec une partie de ses idées, je ne vais pas me priver de les déffendre.
          vous pretendez que les animaux que l’on abat son elevés dans des conditions trés difficiles, je ne sais pas d’ou vous tenez cela, probablement le 20 heures ? pour ma part, moi, je suis éleveur, je sais donc de quoi je parle. que les animaux soit elevés dans des conditions difficiles ( lots à l’intérieur ) ou au contraire idéale ( elevage à l’herbe les trois-quart de l’année comme chez moi ) je ne vois vraiment pas pourquoi il faudrait leur rajouter la souffrance sur la fin d’un abattage  » rituel  » pour contenter une partie de la population qui n’est pas capable de s’intègrer dans notre pays et qui refuse de quiter son moyen-age.
          d’un point de vue technique, il faut aussi dire la vérité: l’abattage rituel entraine des souillures qui font que les quartier arrières ne sont généralement pas consommer par les arrrièrés qui comme les vendéens en 1793, refusent les bienfait du monde moderne.

      • Il ne diffère pas de l’abattage industriel!

    • « Alain Finkielkault est »… Mais on s’en fout de qui il est. Ce qui compte c’est ce qu’il fait, ce qu’il dit.
      Dit-il la vérité ? Sa description du réel est-elle juste ? S’exprime-t-il clairement ? Ses préconisations explicites ou implicites sont-elles en phase avec les buts ? Les moyens sont-ils adaptés, suffisants, nécessaires ou excessifs ?

      « Alain Finkielkault est »… un type qu’on invite, qui cause dans le poste. C’est pour ça, et seulement pour ça, qu’il est important de savoir ce qu’il dit.
      Il dit la haine portée à l’autochtone, réputé coupable : raciste, xenophobe, colabo, colonisateur, coupable de ne pas accueillir l’étranger, et surtout, surtout, d’avoir une culture ancienne et donc de ne pas adhérer à l’idéologie moderniste de la table rase. Il dit la persistance du mythe du bon sauvage, représenté par l’étranger, et donc sommé de conserver sa pureté originelle.
      Il dit, au fond, le danger du mythe de la Révolution (le retour à « l’âge d’or » préculturel, préhumain).
      Venant de la gauche, c’est plus qu’intéressant, c’est fondamental

  • La pensée de Finkielkraut est très bien retranscrit.
    Cette pensée on peut en débattre, ca c’est évident sans la sacraliser ni la diaboliser.
    Je suis d’accord avec la « désidentification unilatérale » subie par une grande partie de la population française.

    Cette identité française n’a pas à être remplacé sechement par une autre. Mais elle n’est pas figée pour autant et évolue, intègre lentement des éléments étrangers tout comme l’Islam.
    Pas que j’aime cette religion (je ne l’aime pas) mais notre société finira par assimiler entre autres cette religion.
    Et il existera un Islam de France.
    Les identités. sont vivantes, se protègent, se nourrissent, évoluent.

    • Les identités sont vivantes … donc mortelles. Dans les deux sens du termes : elles peuvent mourir et tuer ; tuer des vrais gens. Vouloir lutter contre les identités a du sens, à condition de viser les bonnes. En terne de religion
      L’identité catholique est centraliste, donc non libérale.
      L’identité islamique est messianique et anarchique (le Coran est un foutoir qui peut servir à justifier n’importe quelle connerie).
      L’identité protestante est individualiste mais pose des limites claires (la Bible ne permet pas de justifier l’agression d’autrui, mais chacun doit s’en saisir lui même)
      L’identité socialiste est collectiviste et anarchique : il n’a y a pas de textes canonique clair, et pas d’autre droit que celui des plus forts.
      L’identité libérale … n’existe pas. Too bad.

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