La philosophie de la liberté n’est pas un libéralisme

Souhaitons que le réveil libéral ne se fasse pas au nom d’un nouveau dogmatisme et que les philosophies de la liberté ne s’éprennent pas de politique.

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La philosophie de la liberté n’est pas un libéralisme

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 13 novembre 2013
- A +

Par Julien Gayrard.

La crise pourrait nous sembler bénéfique en ceci qu’elle oblige à un éveil des consciences : une révolte des esprits. Et qu’un peuple en danger engendre le génie. Rien n’est moins sûr.
La dimension politique qu’elle alimente, et dont les mass media se font l’ancillaire coupable, envahie la pensée du quotidien : nous devenons tous cet homo politicus. À chaque instant, nous angoissant devant nos écrans et proposant des remèdes. Nous devenons nos propres ministres récusant ministres et ministères. Ce qui nous sortira de ce mauvais pas, ce qui me sauvera, arrivera par l’entremise de la politique. Voilà quel pourrait être le leurre et l’illusion envahissant nos esprits.

Le libéralisme lui-même pourrait s’y laisser prendre en annonçant à son tour que cette crise est enfin le sursaut de l’individu, un sursaut tant attendu, en direction de l’éthique individuelle qu’il prône, par delà la politique et l’économie libérale. Si tel était le cas, il n’y aurait qu’à attendre que les choses se passent.

Prétendre rendre à l’individu sa liberté en lui inculquant le libéralisme et ses valeurs est sans doute fondé, mais il s’agit là encore d’une pensée politique. Et l’erreur de cette pensée serait de dire que le libéralisme, bien plus qu’une pensée politique, est une philosophie de la vie, et bien plus encore, une philosophie libérale.

Il n’y a pas de philosophie libérale, au sens strict du terme, mais des philosophies de la liberté. Et les philosophies de la liberté ne sauraient se fonder politiquement sans perdre aussitôt leur essence. L’homme des libertés n’est pas plus à chercher du côté d’un individualisme libéral que d’un Humanisme. Il les précède et ne propose aucun système.

Le propre de la pensée philosophique est de ne pas avoir défini d’emblée son objet et c’est ce qu’elle a d’essentiel. Le fait-elle ? Elle se dérobe à elle-même son objectif premier : la pensée critique. L’échec du discours philosophique se nomme alors pétition de principe. C’est ce qui a lieu lorsqu’elle fabrique ou pose – sans l’avouer et se l’avouer – l’objet même de son investigation, lorsqu’elle fait semblant de chercher et ne fait que réponde à son auditoire : « Nous allons découvrir ce que je cache dans ma main ».

C’est ce que fait Alain Badiou, par exemple, lorsqu’il se demande, sorte de déni intellectuel – ou bien sont-ce les journalistes ? – si « femme » peut être un concept de la philosophie ? Une pétition de principe qui vous est offerte d’emblée comme si chacun d’entre nous était dupe du fait que l’homme englobe la différence sexuelle. Nous voilà d’emblée hors du discours philosophique et retombés dans une sociologie du féminisme mou. Si, comme nous le rappelle Deleuze en bon platonicien, tout peut devenir l’occasion d’un discours philosophie, tout n’est pas philosophique. Ainsi en est-il du libéralisme.

La philosophie de la liberté n’est pas le libéralisme. Et c’est une bonne chose. Gaspard Koenig, dans Libération, déplore que « Jamais, au grand jamais, l’université française, soucieuse de m’apprendre à bien penser, ne m’a enseigné le libéralisme » : il faudrait pourtant s’en réjouir. Car annoncer le libéralisme comme un système philosophique serait un amalgame finissant par s’inventer une « métaphysique libérale » qui ne serait pas plus métaphysique que libérale. Kant fut « réveillé de son sommeil dogmatique » par le lumineux Hume. Souhaitons que le réveil libéral ne se fasse pas au nom d’un nouveau dogmatisme et que les philosophies de la liberté ne s’éprennent pas de politique.

Pour avoir eu l’occasion également d’étudier la philosophie au-delà de nos frontières, il m’est arrivé, en constant le caractère sociologique ou politique des prétendus systèmes philosophiques, de regretter la très littéraire et très classique Continental philosophy. Et me souvenir que la philosophie de la liberté, avant d’avoir vocation au libéralisme, à des valeurs individuelles ou autres, devait, pour rester telle, se tenir dans sa propre sphère : celle de la philosophie comme appareil critique. Et que cela n’empêche pas, bien au contraire, de devenir alors, comme le souligne Alain Policar, le matériau d’une « réappropriation ».

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  • Mouais. Le libéralisme ne se fonde pas sur des valeurs (si ce n’est la liberté) mais sur la justice, qui permet la coexistence de valeurs individuelles différentes. Et le libéralisme n’est pas si politique que ça, il est plutôt, de par sa nature même, anti-politique. D’où le titre de l’ouvrage de Mathieu Laine : « Post-politique ».

  • Je suis le seul a n’avoir absolument rien compris à cet article ?

    • A PeacefulJoe:
      Oui, Monsieur Julien Gayrard nous fait partager son grand savoir.
      Il nous montre qu’il est un grand philosophe parmi les grands. Il n’est pas d’accord avec Koenig (maître à penser de Christine Lagarde). Il cite tous les grands philosophes qu’il connait d’ailleurs (enfin presque, il n’y avait pas assez de place). La preuve qu’il est un grand philosophe c’est que seuls les philosophes attitrés, qui ont leur carte de philosophe j’entends, peuvent suivre ses raisonnements.
      Oui, c’est abscons mais c’est beau!
      L’homme est certainement une grosse pointure.

    • Non. Pareil pour moi

  • Le libéralisme est politique avant d’être économique.
    Donc, si, ça existe le libéralisme politique. C’est même l’air que nous respirons tous les jours. C’est lui, porté par les philosophes des Lumières (Locke, Rousseau, Diderot, Voltaire, Montesquieu, puis Spinoza, Kant…) qui limite les pouvoirs de l’Etat et de l’Eglise pour restaurer les droits de l’individu, droits dits naturels et inaliénables. C’est lui qui fonde la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, maintenant devenue universelle, qui entraîne la démocratie, l’abolition de l’esclavage, l’égalité juridique de tous, y compris des hommes et des femmes.

  • Question aux libéraux :

    Pourquoi ceux-ci ne complètent-ils jamais le mot Liberté aux petites phrases sibyllines du genre « à condition qu’elle ne nuise à autrui » ou » elle s’arrête là où celles des autres commencent » ?

    • @Citoyen : surtout ne bougez pas, gardez la pose, je vais chercher mon appareil photo.

      • Patronus, à question gênante tjrs la vieille recette : Pirouette cacahouète roulé arrière et salto !

        • Les libéraux n’ont jamais dit autre chose il me semble. « la Liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres » est un dicton typiquement libéral selon moi !

          • A constater le nombre de conflits où sont impliqués les USA depuis plus de 50 ans (Vietnam, Irak, etc … ), c’est surtout : ‘La liberté des autres s’arrête là où commencent mes intérêts’.

            • Hors sujet !
              Je vous parle du contenu d’une théorie politique et des principes sur lesquelles elle se fonde et pas de la politique particulière de tel ou tel État.
              D’ailleurs je ne vois pas en quoi la politique des USA illustre le pensée libérale à moins que vous considériez que tout État qui n’applique pas les préceptes du marxisme-léninisme est de facto utlra-turbo-méga-libéral ! 🙂

  • Si ce n’est qu’une philosophie de la liberté ne se conçoit qu’à partir de son opposé, l’autorité !
    Comme toute philosophie, d’ailleurs !

    Est-il surprenant que ce soient la crainte,la coercition et la nécessité qui soient l’utérus de toute liberté ?

  • Les commentaires sont fermés.

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