Professions fermées : le client est-il roi ?

Avec les professions fermées, l’État détruit la concurrence pour le bonheur des professionnels en place et le malheur du client.

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Taxi Parisien (Crédits : Taxidriving, image libre de droits)

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Professions fermées : le client est-il roi ?

Publié le 30 octobre 2013
- A +

Par Jean-Yves Naudet.
Un article de l’aleps.

taxi

Si les monopoles (publics) disparaissent peu à peu, comme nous l’avons vu la semaine dernière, l’actualité immédiate, à propos des taxis ou des médicaments, attire notre attention sur une autre atteinte à la concurrence, celle des professions fermées.

Est-ce à dire que le secteur privé peut, lui aussi, supprimer la concurrence ? Pas à lui seul. Il lui faut l’appui des pouvoirs publics et si ces professions sont règlementées, ce n’est pas pour protéger le client, sa santé ou sa sécurité, mais pour protéger le professionnel des rigueurs de la concurrence. C’est donc bien l’État qui détruit la concurrence, pour le bonheur des professionnels en place et le malheur du client : le client-roi est devenu sujet.

La concurrence, problème de nombre ou d’ouverture ?

Ces derniers temps, ce sont les taxis qui ont été sur la sellette. Pour exercer cette profession, il ne suffit pas de savoir bien conduire et d’avoir un véhicule en bon état. Il faut encore avoir une « licence » donnant le droit d’exercer. À Paris, le nombre de taxis autorisés a été fixé par une loi de 1937 et n’a que très peu augmenté depuis. De même, chaque ville de province a son nombre de taxis strictement limité.

Voilà donc un bon exemple de profession fermée, ce qui explique que certains jours vous attendez en vain un taxi pendant une heure.

L’ouverture d’un marché est le critère essentiel qui définit la concurrence. Ce n’est pas le nombre en soi, comme l’ont cru les néo-classiques, mais l’ouverture, c’est-à-dire l’existence effective ou potentielle d’autres professionnels libres de s’installer et d’offrir leurs services. Circonstance aggravante pour les taxis : les tarifs sont fixés par l’État. La concurrence est donc inexistante : les heureux professionnels se partagent le marché. Enfin, à l’occasion d’un départ à la retraite ou d’un changement d’activité, le titulaire de la licence peut revendre fort cher sa plaque à quelqu’un qui attendait depuis longtemps de pouvoir s’installer.

De Rueff à Attali : des rapports au placard

Il y a longtemps que ce phénomène, qui concerne des centaines de professions, des notaires aux pharmaciens, a été dénoncé. C’était le cœur du rapport Rueff-Armand en 1960, ces professions fermées constituant le véritable obstacle à la croissance : ouvrir les professions, c’était faire baisser les prix, créer des emplois et libérer du pouvoir d’achat. Rien n’a été fait. Plus tard, Nicolas Sarkozy a confié une mission semblable à Jacques Attali, le diagnostic a été le même et les propositions d’ouverture identiques.

Rien de sérieux n’a été mis en œuvre. Les professions sont protégées par la loi et toute tentative de contournement est réprimée. On a vu des menaces contre des étudiants accusés de concurrence déloyale pour transporter des clients dans une sorte de « pousse-pousse » ou un arrêté fixant la longueur minimale des voitures pour empêcher la concurrence des petits véhicules !

L’argument est toujours le même : protéger le consommateur. D’où la fermeture de la profession de pharmacien (avoir un diplôme ne suffit pas, le nombre de pharmacies dépend du nombre d’habitants) comme des professions juridiques (comme notaire, pour « garantir » l’authenticité des actes). La protection du client peut justifier l’exigence de qualités professionnelles, sanctionnées par un diplôme, mais ne peuvent en aucun cas justifier la fermeture d’une profession : en quoi doubler le nombre d’offices de notaires ou de pharmacies menacerait-il la qualité du service, si le professionnel est compétent ?

Quinze minutes d’attente obligatoire pour les VTC

Les VTC, voitures de tourisme avec chauffeur : voici l’ennemi. D’une part le développement des moyens de communication, du type Smartphone a provoqué une explosion dans ce secteur, d’autre part les clients des taxis sont exaspérés. Une offre plus accessible, une demande plus pressante : voilà qui aurait dû conduire à l’ouverture attendue depuis si longtemps.

Mais c’était compter sans la force de dissuasion de la corporation. Après avoir envisagé une solution qui semblait devoir être acceptée par toutes les parties en présence, le ministère a tranché et on a eu une réglementation malthusienne. Non seulement on ne peut héler les VTC dans la rue, mais il faut désormais, c’est la loi, un délai minimum de quinze minutes entre un appel et la prise en charge du client. On a donné raison aux « enrayeurs », comme disait Bastiat, à ceux qui barrent la route au progrès et défendent les « droits acquis ». Mais en France on déteste ceux qui entreprennent, on préfère les rentes obtenues avec les privilèges.

Les professionnels des taxis ont-ils remporté une grande victoire ? Ils auraient voulu aller plus loin dans leurs privilèges, et obtenir un délai… d’une heure ! Mais, surtout, ils n’ont pas compris les vrais dangers qui menacent leur avenir. Le danger, ce ne sont pas les VTC, ce sont les charges et contraintes qu’ils subissent et subiront de plus en plus. Ils feraient mieux de protester contre les impôts, contre les mesures anti-automobile et même contre la fermeture elle-même, qui les a conduits à payer leur droit d’entrée à des prix astronomiques.

La concurrence reprend toujours ses droits

On voit les mêmes combats d’arrière-garde dans d’autres professions fermées. Ainsi, les pharmaciens ont cherché à freiner la vente de produits de para-pharmacie en grande surface et la vente de médicaments par Internet. Il a fallu un arrêté ministériel pour l’autoriser, mais il est extrêmement restrictif : seules 36 officines sur plus de 22 000 ont obtenu l’agrément des agences régionales de santé. Il faut un serveur sécurisé et on ne peut acheter un meilleur référencement dans les moteurs de recherche. Bref la liberté d’entreprendre à la française.

En réalité, dans cette affaire de professions fermées, les choses ne manqueront pas d’évoluer. D’abord les directives européennes imposent la libre circulation des services comme de la main d’œuvre. Déjà, certaines décisions de justice entrouvrent la porte et certaines professions, comme les commissaires-priseurs, ont dû se plier à la concurrence. Ensuite, la poussée concurrentielle emporte tout sur son passage : si on ferme la porte, elle passe par la fenêtre. Nos professions fermées n’empêchent pas le monde entier d’innover. Internet rend ces réglementations obsolètes. Une récente enquête des Échos a montré que « l’avènement de la société numérique était en train de déverrouiller les professions » réglementées ; ce qu’Internet a fait dans les médias, le commerce ou les voyages commence à se faire dans ces professions fermées : nouveaux acteurs, extension du marché au monde entier. L’offre se diversifie.

Enfin, le résultat le plus clair de la fermeture et de la protection est de rendre nos entreprises moins innovantes et productives que les entreprises étrangères équivalentes. Car à l’étranger, les professionnels, n’étant pas soumis aux mêmes contraintes, se sont adaptés : miracle de la concurrence. Le monopole rend au contraire frileux et conservateur.

Certes, comme l’avait décrit Bastiat avec humour dans sa « pétition des fabricants de chandelles », les professions appellent les pouvoirs publics au secours pour demander qu’on mure les fenêtres et empêcher la concurrence déloyale du soleil. Mais ces nouveaux « marchands de chandelle », au lieu de demander au bourreau une minute de plus, feraient mieux d’innover, car la concurrence reprend toujours ses droits.

Quant aux pouvoirs publics, ils oublient que la finalité de l’entreprise n’est pas en elle-même, mais dans le service du client. Le roi, c’est le client, et lui seul.


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  • L’Etat, ce genre d’agriculteur qui prend tout ce qui bouge pour une vache à lait, n’a pas épargné les chauffeurs de taxis, les plombant de patentes, droits de stationnement, numérus clausus, rachat à 800.000 euros, etc.

    Bien entendu, et légitimement, ces bonnes poires s’étouffent quand elles voient surgir une concurrence moins oppressée qu’eux, et ont des réactions assez corporatistes devant l variété des régimes.

    Bien entendu, tout serait résolu si l’Etat se contentait de contrôler l’état technique des taxis et des compteurs, le permis de conduire et la connaissance de la ville des chauffeurs, et d’encaisser les impôts.

    Mais c’est mal connaître la dictature prédatrice, qui rackette et reglemente jusqu’à ce que mort s’en suive.

    Pareil d’ailleurs avec ces Bricorama et Castorame, dont les uns peuvent ouvrir, et par les autres, et encore, pas n’importe où !!!

    Que l’Etat aille mettre de l’ordre dans ses archives et dans ses budgets, et surtout n’approche pas l’économie !

  • J’ai l’impression que l’on est encore sous l’ancien régime…Plus de 200 ans après la révolution!

  • Classique parisien : Course de 14.70 euros, taxis G7 (donc disposant de la machine à CB) Question « Prenez-vous la carte bleue? » Réponse sèche, « non! »

    Ras le bol de ces tacos, j’ai beaucoup pris les taxis ces dernières semaines, j’en avais une image pas trop négative avant, là c’est le ras le bol. En quelques jours, un chauffeur confond la rue de Miromesnil avec le boulevard Messine – rien à voir – la CB, le tour de Paris la nuit avec grosse engueulade à la clé, etc.

    L’absence de concurrence produit toujours les mêmes effets : Mépris du client, abus, service globalement pourri. D’autant qu’on paie – a priori – le même prix pour une course dans une caisse défoncée et une belle et confortable berline… Juste anormal.

  • Les taxis ont beaucoup d’obligations légales que n’ont pas la concurrence des vtc, donc une distorsion de concurrence est évidente. J’ajoute que dans les départements existent des transports par bus subventionnés par les conseils généraux et qui ne coutent que 2 euros, donc concurrence déloyale. Les taxis sont loin d’être des privilègiés.

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