À l’ONU, avec le soutien suisse, les amis de Kadhafi seront une fois encore récompensés

Quelle imposture de vouloir faire de Jean Ziegler un expert en droits de l’homme !

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Jean Ziegler en 2011 à Genève (Rama, licence CC by SA 2.0)

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À l’ONU, avec le soutien suisse, les amis de Kadhafi seront une fois encore récompensés

Publié le 5 septembre 2013
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Quelle imposture de vouloir faire de Jean Ziegler un expert en droits de l’homme !

Par Fabio Rafael Fiallo.

Jean Ziegler en 2011 à Genève (Rama, licence CC by SA 2.0)

Il faut se rendre à l’évidence : qu’est-ce qu’on est bien quand on se proclame « tiers-mondiste » ! Comme à l’époque de l’Inquisition, où l’on pouvait acheter des indulgences papales vous pardonnant vos péchés et vous ouvrant tout droit les portes du Paradis, aujourd’hui il faut s’afficher pourfendeur de la spéculation financière, et de l’Occident tout court, et surtout s’appeler Jean Ziegler, pour faire oublier toute compromission avec les pires dictatures de notre époque.

En effet, si vous remplissez de si honorables conditions, vous pouvez tout dire, soutenir les pires crapules, vous mettre du côté des despotes, vous pourrez toujours vous racheter. Vous pouvez, par exemple, avoir été des années durant l’ami de Kadhafi, le défendant sans modération, louant ses réalisations révolutionnaires, oblitérant ses torturés et ses tués, passant outre l’attentat de Lockerbie aussi, sans que cela n’entame en rien votre panache moral.

Vous pourrez serrer les mains ensanglantées de tous les autres despotes soi-disant tiers-mondistes : Mengistu, Mugabe, les frères Castro aussi, leur apportant votre admiration publique. Cela ne vous coûtera rien en termes de respectabilité.

Puis, lors d’une mission à Cuba dont vous devrez rendre compte au Conseil des droits humains de l’Onu, il vous sera permis de refuser d’accorder une petite audience de quelques minutes, pas plus, à une cinquantaine de Cubains dissidents qui vous avaient demandé de les recevoir, croyant, à tort, que vous étiez tenu de vous sentir concerné par l’épouvantable situation des droits de l’homme dans l’île rouge.

Cela, non plus, n’entamera pas d’un pouce votre auréole de tiers-mondiste respectable et d’expert en matière de droits humains. Surtout, insistons, si vous vous appelez Jean Ziegler.

À votre actif, vous possédez encore une autre vertu inestimable : vous savez passer outre la rigueur intellectuelle que l’on s’attend du professeur d’université que vous êtes, et privilégier les coups de gueule médiatiques sur les plateaux de télévision. On vous applaudira en tant que tiers-mondiste acharné. Et peu importe si, comme l’écrit le chroniqueur du journal Le Monde à propos du livre La Haine de l’Occident du même Jean Ziegler : « est-ce servir la cause des peuples du Sud que de caricaturer la réalité et de tordre le cou aux faits ?» [1]

Au chroniqueur du Monde d’en conclure : « ‘L’arrogance aveugle l’Occident’, écrit Ziegler. Que dire alors de la mauvaise foi dont témoigne trop souvent l’auteur du livre ? » [2]

Mais de ce genre de reproche, le Département fédéral des affaires étrangères (nom donné en Suisse au ministère des Relations extérieures) ne tiendra pas rigueur au compatriote immaculé, c’est-à-dire Jean Ziegler, et soutiendra sa candidature à un poste, tenez-vous bien, à la commission consultative du Conseil des droits humains de l’Onu – poste qui devra d’ailleurs être pourvu dans les tout prochains jours.

Qu’importe si le Parlement suisse, assumant une attitude qui l’honore, juge inappropriée une telle candidature. Le DFAE fera la sourde oreille et poursuivra sa démarche en faveur de son poulain.

Qu’importe encore si le candidat susmentionné aura donné des signes d’opportunisme à plus d’une occasion. Par exemple quand il dira – une fois le bourreau du peuple libyen en fuite – que si lui, Ziegler, avait su, il n’aurait pas serré la main de Kadhafi. Rien que cette affirmation devrait le disqualifier intellectuellement pour exercer une fonction quelconque au sein du Conseil onusien ; car s’il n’était pas conscient de la nature criminelle de Kadhafi, comment dans pareil cas faire confiance à son jugement ?

Un autre modèle de volte-face a trait à ses positions sur la production de biocarburants au Brésil. En 2007, Ziegler fustige une telle production, affirmant que « du point de vue du droit à l’alimentation, il s’agit d’une catastrophe » [3]. Mais voilà que plusieurs mois plus tard le même Ziegler, ayant postulé pour un poste au Conseil des droits humains de l’Onu, et ne pouvant pas ignorer le poids du Brésil dans le choix du candidat, tourne spectaculairement casaque, cesse de voir la production de biocarburants du Brésil comme une catastrophe et affirme désormais, ô miracle, que cette production « respecte le droit à l’alimentation de la population et aide à sortir les paysans marginalisés de la pauvreté » [4].

Tous ces retournements passeront comme une lettre à la poste aux yeux d’un DFAE qui n’en démord pas et continue à soutenir la candidature de Ziegler.

Voyez-vous, cher lecteur, on peut tout dire, on peut appuyer les pires despotes de la planète. On peut aussi se tromper une fois, deux fois, d’autres encore, et tromper autrui par ricochet. On peut, enfin, changer d’avis au gré des circonstances ou des convenances personnelles.

On vous passera tout cela, on vous lavera de toute faute morale, de tout aveuglement intellectuel, de tout propos réducteur, de tout revirement opportuniste. Le DFAE suisse vous accordera des indulgences et déversera son soutien à votre candidature à la commission consultative du Conseil des droits humains de l’ONU, si vous vous proclamez « tiers-mondiste ». Et surtout, encore une fois, si vous vous appelez Jean Ziegler.


Notes :

  1. Jean-Pierre Tuquoi, « Les fâcheuses approximations du Savonarole suisse », Le Monde, 14-10-08.
  2. Ibidem.
  3. Swissinfo.ch, « Jean Ziegler demande l’admission des réfugiés de la faim », 14 juin 2007.
  4. Swissinfo.ch, «Le grand écart de Ziegler sur les carburants verts», 28 mars 2008.
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