Les quatre libéralismes

Le terme « libéralisme » s’applique aux États-Unis pour plusieurs courants bien distincts. Afin de ne pas se faire prendre au piège des mots, reprenons pas à pas l’histoire de ces courants.

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Les quatre libéralismes

Publié le 14 août 2013
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Le terme « libéralisme » s’applique aux États-Unis pour plusieurs courants bien distincts. Afin de ne pas se faire prendre au piège des mots, reprenons pas à pas l’histoire de ces courants.

Par Erik von Kuehnelt-Leddihn (Religion & Liberty 2, N°. 4, July/August 1992.)

Traduit de l’anglais par Michel Kuttler pour l’Institut Coppet

L’Amérique du Nord est une gigantesque île dans l’océan mondial. Les malentendus linguistiques entre ce continent et les autres parties du globe sont donc fréquentes : mettre Syrie et Liban au Moyen-Orient (où se trouve alors le Proche-Orient ?) est aussi erroné qu’employer le terme holocauste (un sacrifice hellénique destiné à gagner la faveur des dieux) pour désigner un massacre de masse brutal, et je ne parle même pas de l’idiotie qui consiste à parler de chauvinisme mâle.

Mettre dans le même sac monarchistes, traditionalistes et national-socialistes sous le terme de droitiers est aussi déroutant que l’étiquette de libéral pour désigner des gauchistes à moitié socialistes. Cette dernière erreur est relativement récente et, depuis que je suis arrivé aux États-Unis à la toute fin du New Deal, j’ai été le témoin des débuts de cette déplorable perversion.

 

Mais comment cela s’est-il produit ?

Dans sa connotation politique, le terme libéral nous arrive d’Espagne, la nation qui a toujours le plus – parfois trop – chéri la liberté. C’est ainsi qu’elle a produit un grand nombre d’anarchistes au cours des 150 dernières années. Lors de la résistance à l’invasion napoléonienne, l’Espagne a proclamé à Cadix, dans le sud libéré, une Constitution libérale dont les partisans se nommaient eux-mêmes los liberales. (ils ont stigmatisé leurs adversaires comme los serviles.) De toute évidence, un vrai libéral est quelqu’un qui prise beaucoup la liberté et, puisque le Nouveau Testament parle souvent de liberté (Eleutheria), mais presque jamais d’égalité, il n’est pas surprenant que le christianisme soit une théologie personnaliste. Les libéraux prennent donc position pour une liberté bien comprise.

En 1816, Southey a utilisé l’expression libéral pour la première fois en Angleterre, mais toujours sous sa forme espagnole, liberales. Sir Walter Scott a adopté la forme française : libéraux. En 1832, lors de la grande réforme parlementaire, les whigs se sont désignés comme liberal, et les Tories comme conservative. Curieusement, le libéral Chateaubriand appelait son journal Le conservateur, un mot qu’il avait inventé. Mais à cette époque, libéraux et conservateurs n’étaient pas si loin les uns des autres. Bien sûr, Burke, en tant que whig, était libéral et conservateur. Il est presque idolâtré par les conservateurs américains contemporains.

 

Les pré-libéraux

Edmund Burke est mort en 1797. Adam Smith, un moraliste, économiste et grand libéral, en 1790. Je les appellerai tous deux pré-libéraux, parce qu’ils ne se désignaient pas, ou ne pouvaient pas se désigner, comme libéraux. Je range même Voltaire parmi les premiers libéraux. C’est un homme qui aimait la liberté, soutenait le « libéral » Louis XVI contre les Parlements réactionnaires et qui fut totalement incompris, non pas tant par ses contemporains que par les générations futures. Il fit construire une église à Ferney, allait à la messe tous les dimanches, et était tout sauf démocrate.

Pour comprendre, il faut lire la brillante biographie d’Alfred Noyes, un converti au catholicisme. Nous pouvons nommer cette première vague du libéralisme le pré-libéralisme.

 

Le premier libéralisme

L’étape qui lui succède est le premier libéralisme. Ses représentants les plus éminents sont Alexis de Tocqueville, le comte de Montalembert et Lord Acton, trois aristocrates catholiques.

Ici, nous devons garder à l’esprit que les périodes du libéralisme (comme celles d’autres courants de pensée) se succèdent en vagues qui se chevauchent partiellement.

Tocqueville est né en 1805, et Acton est mort en 1902.

Ces premiers libéraux étaient des catholiques croyants, Montalembert et Acton tout au long de leur vie, et Tocqueville à la fin de sa vie. Leur amour de la liberté prend racine dans le christianisme.

 

Les vieux libéraux

La troisième vague que nous appellerons les vieux libéraux ne prend plus son inspiration dans le message chrétien, mais simplement de la conviction qu’il est agréable d’être libre, que l’oppression est inhumaine et qu’une société libre (avec une économie libre) est le système optimal, celui qui procure les biens à la majorité.

Leur relation au christianisme est ténue, car par nature ils n’aiment ni les dogmes ni la discipline ecclésiastique, ni l’autorité, et ils ont des tendances déistes et agnostiques. Toutefois, nous devons rester prudents et ne pas faire de généralisations forcées. Gladstone, qui fut certainement un libéral, était aussi un chrétien très croyant. Pourtant, les vieux libéraux sont entrés en conflit avec l’Église catholique (ainsi qu’avec l’orthodoxie protestante) et ont été formellement condamnés dans le Syllabus de Pie XI. (à juste titre ? En gros, oui.) Les vieux libéraux, qui revenaient sur le message des pré-libéraux, avaient un vif intérêt pour l’économie. Il va sans dire qu’ils s’opposaient à un gouvernement tout-puissant et au socialisme. (les représentants de l’école autrichienne d’économie étaient des vieux libéraux et, significativement, à quelques exceptions près, des aristocrates).

 

Les néo-libéraux et la société du Mont Pélerin

Immédiatement après la Seconde Guerre mondiale, les vieux libéraux, rejoints par les nouveaux libéraux, ont fondé en Suisse la Société du Mont Pèlerin.

Ses principaux cerveaux, Friedrich A. von Hayek, Ludwig von Mises et Wilhelm Roepke, voulurent la baptiser la « Tocqueville-Acton Society », mais le professeur Frank Knight de Chicago protesta violemment, déclarant qu’on ne pouvait nommer la société du nom de « deux aristocrates catholiques romains ». On la nomma finalement « Société du Mont Pèlerin », du nom de l’hôtel où la première réunion a eu lieu.

Les néo-libéraux étaient en majorité inspirés par le christianisme, et ont poursuivi l’élan des libéraux précoces.

Ainsi, nous voyons comment s’enchaînent l’étape un avec la troisième, et l’étape quatre avec la deuxième.

Beaucoup de néo-libéraux éminents étaient des Allemands et des Autrichiens qui avaient connu le Troisième Reich et, souvent, reconnu l’importance de rechercher des valeurs éternelles dans le message chrétien. Finalement, F.A. von Hayek aussi a compris l’importance de la religion dans la quête de liberté. La Société du Mont Pèlerin connut un schisme grave lorsque les néo-libéraux en sont sortis en 1961.

 

Perversion du terme

Aux États-Unis j’ai pu observer une perversion du terme libéral qui a conduit les vrais libéraux à se dire libertariens.

La grande et hospitalière maison du libéralisme ayant gardé toutes ses portes et ses fenêtres ouvertes, les vents de l’extérieur ont pu envahir le bâtiment. En bon libéral, il faut être ouvert d’esprit, respecter les signes des temps et ceux-ci, malheureusement, sont de gauche et collectivistes.

Ainsi, des libéraux déclarés sont devenus intolérants (illiberal). Le American Mercury, dont le rédacteur en chef était Eugene Lyons, a publié une série de credo :  le « Credo d’un conservateur»,  le « Credo d’un réactionnaire»,  le « Credo d’un socialiste » et puis, séparément, le « Credo d’un libéral de la vieille école », et le « Credo d’un néo-libéral ».

Inutile de dire que celui-ci penchait pour le socialisme et l’État omnipotent. Quand je parle en Asie, en Amérique du Sud, en Afrique, en Australie ou en Europe, je n’ai aucune difficulté à m’identifier comme libéral. Aux États-Unis, où des expressions consacrées sont si faciles à mélanger, je dois commencer par des explications. Quel dommage !


Sur le web.

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  • Fuck. C’est impossible de trouver des vrais libéraux ici. Tout des cathos, qui confondent réligion et politique.

    • A quel point l’anticléricalisme est-il nécessaire pour être un (vrai?) libéral ?

    • Peut-être n’est-ce pas un hasard… 😉

      • Possiblement, mais être encore anticlérical primaire après de telles explications historiques laisse un doute quant à la capacité de cette personne à raisonner

    • On sent du QI dans ce commentaire…

    • Ce sont les socialistes qui confondent religion et politique.
      Pas les chrétiens, cathos ou autres.

      Pour ne pas confondre religion et politique, il faut savoir quoi associer aux deux ordres. C’est impossible pour qui n’adhère à aucune religion (avec ou sans foi).

      Si donc on ne reconnaît pas deux ordres distincts, il ne reste que l’État comme seule autorité et le totalitarisme est inévitable.

      Le libéralisme a toujours été un mouvement politique au sens chrétien, c’est-à-dire compatible avec la religion chrétienne, sous l’influence de laquelle il s’est développé et avec laquelle il coexiste sans frictions.

      Je doute fort qu’il puisse en aller de même avec l’islam, et je ne crois pas nécessaire de souligner que le libéralisme est incompatible avec la religion socialiste…

  • Merci pour toutes ces explications,mais qui m’étonnent un peu.
    Je pense que « libéral » a d’abord existé en Français,sans doute conjointement avec l’Anglais,dans le sens surtout politique, l’économie en découlant,jusqu’à ce que celle-ci prenne une importance déterminante,mais les deux allant de pair.
    Le sens de « liberal » en anglo-saxon est étonnant et contradictoire pour les Français.J’ ai supposé qu’il y avait là,d’une part l’esprit de contradiction habituel aux Américains,d’autre part que, ayant des sources latines eux aussi,ils prenaient le mot dans le sens second de « généreux »,ce qui les inclinait vers l’assistanat de type étatiste,ainsi que les Fabiens Anglais.
    De là une inversion de sens étymologique et historique: Ce sont les Républicains qui,aux USA sont pour l’économie libérale,l’économie étatiste donc,en fait,étant le programme du parti dit Démocrate(en fait Social-Démocrate à l’Allemande )
    Mon impression était donc que la question était d’origine linguistique.
    Mais c »est pire si c’est un détournement linguistique par mensonge idéologique,peut-être à voir avec une ruse propagandiste ???
    Le sens,la définition, des mots venant du latin subi souvent des modifications en Français et en Anglais, mais là c’est inadmissible !
    Les sociaux-démocrates américains n’ont aucun droit à se décorer du titre de « libérals » ! Pour tout le monde,c’est une escroquerie mentale autant que linguistique !
    Le mot liberté vient d’une ancienne langue partagée par un certain nombres de peuples actuels,et aucun n’ a le droit de se l’approprier pour en changer le sens et la pratique !

    • Effectivement ce retournement de vocabulaire n’a été réussi que par les socialistes étatsuniens.

      Mais nos socialistes ne sont pas en reste, et il faut être d’une extrême vigilance pour contrer systématiquement leurs tentatives.

      Ainsi, récemment, ils ont proclamé avoir donne « une liberté », un « droit ».
      De tels termes devraient déclencher des réactions immédiates.

      En effet qu’est-ce que « une liberté », sinon la négation de « la liberté » ?
      Pour nous, la liberté est la règle et son contraire, l’empêchement, l’exception. Nous sommes conscients que l’État n’est que contrainte et coercition, c’est pourquoi nous le voulons limité autant que possible.
      Mais si nous laissons parler de « une liberté » sans réagir, nous reculons tacitement devant le principe socialiste contraire au nôtre, soit que ce qui n’est pas expressément autorisé, validé, approuvé, reconnu par l’État est interdit. Dans ce cas, effectivement, un gouvernement peut accorder « une liberté » nouvelle.

      Plus pratiquement, « une liberté » ou un « droit à » est illibéral parce que cela consiste à donner aux certains individus la possiblité de spolier les autres de leurs ressources au service de certains projets qui leur sont propres. De vivre aux dépens des tous les autres.
      Je décide, vous payez. Je peux faire ce que je souhaitais grâce à vos ressources, mais vous en avez d’autant moins pour faire ce que vous souhaitez.
      C’est illibéral.

      Que ce qui est arrivé aux États-Unis nous serve de leçon, apprenons à contrer la dialectique socialiste !

  • Les commentaires sont fermés.

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