Le libre-échange, c’est vraiment trop dangereux !

Pour les hommes politiques qui perdraient de leur pouvoir dans un accord de libre-échange, tous les arguments sont bons. Et ils le démontrent dans Le Monde.

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Le libre-échange, c’est vraiment trop dangereux !

Publié le 6 juin 2013
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Pour les hommes politiques qui perdraient de leur pouvoir dans un accord de libre-échange, tous les arguments sont bons. On pourrait se dire que ça n’engage qu’eux, mais malheureusement non.

Par Baptiste Créteur.

Un accord de libre-échange offre des possibilités accrues en supprimant les entraves et barrières à l’échange. Évidemment, il se trouve des représentants du peuple français pour vouloir l’en protéger, pour son bien.

Il est pourtant impossible à ce stade d’évaluer les bénéfices réels d’un tel accord. On peut en revanche s’inquiéter de l’importance des enjeux qu’il soulève.

Il est extrêmement simple d’évaluer les bénéfices directs pour les consommateurs et les entreprises, et les bénéfices indirects sont à la hauteur de la complexité administrative de l’Europe et des États-Unis : colossaux. Inutile de dire que la peur est mauvaise conseillère, mais que c’est elle qui guide le collectif d’auteurs qui ne voit que les enjeux négatifs.

Et y apporte d’ailleurs de surprenantes réponses.

Pour la France, certains secteurs doivent être maintenus hors du libre-échange. […] Au nom des exceptions culturelles, François Hollande a déjà exigé que les services audiovisuels soient exclus des négociations. […] Sur ce point, la menace américaine est claire : libéraliser le secteur de la culture en Europe, réduisant à néant les politiques favorisant la diversité culturelle mises en œuvres jusqu’à présent.

En quoi l’ouverture du secteur de la culture, permettant aux citoyens un choix autrement plus large, serait-elle nuisible à la diversité culturelle ?

A moins qu’on ne parle d’une diversité culturelle consistant à imposer des quotas de chansons en français pour assurer aux artistes une confortable rente, à subventionner un cinéma de qualité indiscutable et déficitaire et à rendre le spectacle intermittent. Sans même mentionner l’ouverture sur le monde que permet la maîtrise de langues étrangères contre laquelle on lutte en France avec un indiscutable succès.

Dans les faits, l’accord envisagé n’est pas neutre pour l’avenir européen. Aujourd’hui, ce ne sont pas les tarifs douaniers qui empêchent un libre-échange total entre l’Union européenne et les États-Unis, car ils sont déjà faibles. Le seul obstacle, ce sont les différences de règlementations entre les deux zones. Si un tel accord devait aboutir, ces normes devraient être harmonisées. Cela est à nos yeux une menace pour les acquis de la construction européenne, car ce rapprochement des règlementations se fera fatalement aux dépens des normes européennes, plus contraignantes car plus ambitieuses.

On ne dit plus contraignant mais ambitieux. L’ambition européenne nous protège des capitalistes qui ne pensent qu’au profit et pas à l’humain, des ampoules qui remplissent leur rôle et des concombres trop petits ; n’ouvrons pas la porte à une harmonisation des réglementations. Les Américains, ces idiots finis, pondent des normes qui vont complétement à l’encontre de ce qu’il faut faire, ou pas assez loin. Et pourquoi vouloir supprimer un peu de cette complexité qu’on a mis tant de temps à construire et qui nuit tant à nos entreprises ?

Ce que ne disent pas les signataires de cette tribune, [1] c’est que le pouvoir de créer une norme par-ci et une régulation par-là leur donne un sacré poids dans l’économie et qu’ils auraient du mal à partager ce pouvoir avec des Américains. Et pour se justifier, ils vont trouver d’impressionnantes failles.

Considérons par exemple la question des marchés publics. Une libre-circulation totale des biens et services entre les deux zones implique une ouverture des marchés publics européens aux entreprises américaines, et réciproquement.

Or, l’État fédéral américain ne peut prendre un tel engagement pour ses entités fédérées, seules compétentes dans ce domaine. Les entreprises européennes se verraient-elles écartées des marchés publics américains quand, dans le même temps, les entreprises américaines répondront aux offres publiques européennes ?

Mince alors, nous pourrions avoir une concurrence accrue dans les marchés publics, avec le risque qu’ils coutent moins cher au contribuable et que la dépense publique diminue ! Alors que les Américains, plus irrationnels que nous en économie comme chacun sait, ne manqueraient pas de systématiquement se priver de propositions additionnelles ; cela va de soi.

Un domaine plus sensible encore illustre le gouffre qui sépare les règlementations commerciales européennes et américaines : les normes sanitaires dans la production agricole. C’est là un motif régulier de friction entre les deux zones. Exigeante en matière de sécurité alimentaire, l’Union européenne observe le principe de précaution et adopte des normes sévères. Cela conduit à des désaccords continus avec les États-Unis : OGM, hormones de croissance, décontamination chimique des viandes… Au regard de cette profonde divergence idéologique, il semble difficile pour les marchés agricoles américains et européens de s’interpénétrer.

Le principe de précaution qui nous protège du progrès ne doit pas être sacrifié sur l’autel de la liberté individuelle. Non, non et non. Et encore moins si on peut se contenter d’une plus grande transparence, à laquelle les élus ne sont pas franchement accoutumés. Non, non et re-non. Et saluons une nouvelle pirouette syntaxique : l’Europe n’est pas contraignante, elle est exigeante. En plus d’être ambitieuse, donc.

Malheureusement, la pirouette a mal fini pour les acrobates de la pensée ; les voici mal en point pour discuter des changes.

Le risque le plus sérieux réside sans doute dans le déséquilibre de change qui existe entre les deux zones. Dépourvue de politique de change et dotée d’un euro surévalué par rapport au dollar, la zone euro souffre d’un déficit de compétitivité. Un accord de libre-échange pourrait conduire à une fuite d’entreprises européennes vers les États-Unis, qui auraient tout avantage à s’y installer pour produire et… exporter vers l’Europe.

Donc, les changes sont défavorables à l’Europe et le libre-échange inciterait aux délocalisations – bien entendu impossibles aujourd’hui compte tenu des faibles tarifs douaniers déjà mentionnés. Et les exportations massives qui en découleraient ne mèneraient en rien à une appréciation du dollar par rapport à l’euro ; c’est limpide. Continuons.

Par ailleurs, la baisse du coût de l’énergie aux États-Unis qui suivra l’exploitation des gaz de schiste devrait faire des délocalisations une aubaine difficile à contenir. Voila un nouvel avantage pour les États-Unis, toujours au détriment de l’Europe.

Le gaz de schiste, une aubaine, un avantage des États-Unis sur l’Europe ? Mais pourquoi alors ne pas ouvrir le débat en France ? Suis-je bête : les hommes politiques français ont l’art de se montrer ambitieux et exigeants.

S’ensuit une implacable logique que j’épargnerai au lecteur et résumerai à : les Américains sont pressés, les Anglais (ces traîtres) aussi, José-Manuel Barroso fait entrer en jeu des considérations personnelles et précipite les choses du côté ambitieuxde l’Atlantique ; mais l’accord est trop important pour aller vite. D’ailleurs, s’il ne faut pas aller vite, c’est sans doute que le principe même de cet accord est mauvais. Et il y a débat, la preuve : nous sommes contre. [2]

Enfin, nos sympathiques représentants vont nous parler de ce qu’ils veulent protéger, et ce n’est pas le citoyen.

Dans de trop nombreux secteurs, cet accord reviendrait à hypothéquer les acquis communautaires et à oublier les préoccupations des peuples européens en faveur du principe de précaution, de la protection environnementale, de la qualité des services publics…

Rappeler aussi, s’il le fallait, que c’est injuste puisque nous sommes 27 et qu’ils ne sont qu’un.

De plus, les États-Unis bénéficient d’accords bilatéraux déjà conclus avec une majorité des 27 États-membres. Ils pourront donc jouer sur plusieurs tableaux, à l’inverse de l’Union européenne.

À moins qu’ils ne soient 50, sur lesquels l’État fédéral n’a – comme mentionné plus haut – qu’un pouvoir limité. Mais c’est un détail, hein.

Washington voit en cet accord un moyen de faciliter ses échanges avec l’Allemagne et le Royaume-Uni.

Ne faut-il pas s’interroger sur les raisons pour lesquelles Washington se contrefoutrait de faciliter ses échanges avec la France ?

Dès lors, au regard des dégâts potentiels d’un tel accord pour le modèle européen, pourquoi prendre le risque de se faire déborder par les États-Unis ? Plutôt qu’un mandat réduit à son strict minimum, pourquoi ne pas décider le retrait pur et simple des négociations, pour garantir la sauvegarde des acquis européens ?

On atteint des records de bonne foi lorsqu’on parle de se faire déborder par les États-Unis dans un accord réciproque ; pourquoi ne seraient-ils pas débordés par les pays européens ?

Le record est une nouvelle fois battu quelques secondes plus tard : « cet accord ne serait selon nous acceptable qu’a minima, autant ne rien faire ».

La Commission est attirée par les bénéfices attendus de l’accord, mais ne mesure pas les bouleversements qu’il impliquerait. Certes, la recherche de la relance reste un objectif dans la crise que nous traversons, mais pas à tout prix. Nous ne pouvons pas accepter une option qui signerait la fin du projet européen. C’est pour cette raison que nous avons toujours refusé l’austérité comme politique économique.

Et nous vous en remercions ; grâce à vous, la dette bat, elle aussi, des records.

L’accord de libre-échange envisagé est potentiellement dévastateur. Il est donc préférable de ne pas mettre le doigt dans l’engrenage et d’écarter cette idée tant qu’il est encore temps.

En stricte application du principe de précaution, puisque c’est potentiellement dangereux, mieux vaut ne pas y toucher, et pas de questions, merci.

Il faut avoir confiance en le jugement des représentants des peuples européens, notamment des eurodéputés, et espérer que le projet d’accord sera vite enterré. Il n’est pas exclu que certains pourraient s’interroger sur la nature de cette entité « occidentale » en gestation. Le risque est, ni plus ni moins, de sacrifier la destinée commune des citoyens de l’Union européenne sur l’autel du libre-échange.

Il faut avoir confiance dans les représentants français ; ils feront tout ce qu’ils peuvent pour amener tous les citoyens européens à une destinée commune et peu enviable. Et pour les écarter de cette folie « occidentale » qui aura, le temps de quelques décennies tout au plus, laissé quelque espoir de voir un jour vivre les idéaux de liberté.


Notes :

  1. Henri Emmanuelli (Député des Landes), Roberto Romero (Secrétaire national du Parti socialiste au commerce extérieur, vice-président de la région Ile-de-France), Guillaume Balas (Membre du bureau national du Parti socialiste, président du groupe socialiste de la région Ile-de-France) et Frédéric Hocquard (Secrétaire national du Parti socialiste à la Culture)
  2. On voit bien que les positions sont contrastées, que l’idée même d’un accord et sa portée inquiètent. Le débat s’annonce tendu et on comprend les appels en faveur d’une limitation des secteurs concernés par les négociations. Pourtant, l’heure semble à la précipitation. Fin mars, le Congrès américain a donné trois mois au président Obama pour lancer des négociations. De leur côté, le président de la Commission européenne José Manuel Barroso et la Commission européenne espèrent obtenir des 27 un mandat de négociations avant le 14 juin. Et David Cameron, décidément pressé d’avancer, plaide pour un lancement des négociations dès le 17 juin. Un accord de libre-échange entre les deux zones les plus riches du monde doit faire l’objet d’une réflexion intense, d’autant plus qu’il aurait sur le projet européen un impact considérable. En cherchant à imposer un calendrier accéléré et des négociations immédiates, la Commission cède à un empressement coupable. Les calculs politiques personnels de M. Barroso, dont le mandat expire en mai 2014, n’y sont probablement pas étrangers. Les enjeux soulevés sont trop lourds et les sujets de friction trop sensibles pour que nous puissions nous permettre de conclure un accord précipité. Il faut donc s’interroger sur l’opportunité même d’un tel accord.
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  • Quand une équipe de foot est complètement enfoncée, elle se replie devant le goal, abandonne toute ambition, et tente de sauver les marrons du feu par un jeu défensif. C’est ça, le protectionnisme, qu’il soit douanier ou réglementaire.

    Puis, le protectionnisme, c’est bien vu : on « sauve » 200 emplois ringards par-ci par-là, et personne ne voit qu’on en détruit des milliers dans l’oeuf.

    A force, le consommateur paie le double (voir interdiction du photovolatique chinois), les techniques n’évoluent pas à cadence mondiale, et on se retrouve avec un genre d’Allemagne de l’Est (et du « bon vieux temps ».)

  • Je ne comprends pas bien l’utilité d’un tel article. La commission européenne, entierement a la botte des états-unis, négocie sans consulter les citoyens, et entérinera sans aucun doute ce catastrophique marché nord atlantique qui nous aménera OGM et autres joyeusetés.
    Mais rassurons-nous : ca coutera moins chez au consommateur!
    Car après tout, c’est quand même le sens de la vie : consommer.

  • Le Buy American Act (en français « Loi achetez américain ») est une loi fédérale américaine entrée en vigueur en 1933. Elle fut signée par le président Herbert Hoover le dernier jour de son mandat. Elle impose l’achat de biens produits sur le territoire américain pour les achats directs effectués par le gouvernement américain. Certaines dérogations fédérales imposent même une extension de la loi aux tiers qui effectuent des achats pour des projets utilisant des fonds fédéraux tels que les autoroutes ou les programmes de transport. La loi a ainsi pour but d’encourager les promoteurs à acheter des produits américains afin de privilégier l’industrie nationale. Il s’agit donc de mesures protectionnistes. (Source wikipédia mais j’aurais pu aller sur des sites comme the economist ou alternatives économiques)

    Bref oui les marchés publics américains sont protégés et oui ils continueront de l’être contrairement à ceux d’Europe.

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