Machiavel au Trocadéro

Les récentes émeutes du Trocadéro illustrent à merveille la théorie de la force légitime développée par Machiavel.

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Machiavel au Trocadéro

Publié le 23 mai 2013
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Les récentes émeutes du Trocadéro illustrent à merveille la théorie de la force légitime développée par Machiavel.

Par Jean-Baptiste Noé.

Les émeutes et les casses perpétrées au Trocadéro lors des festivités pour le titre du PSG illustrent à merveille la théorie de la force légitime développée par Machiavel. Dans Le Prince, l’auteur florentin explique que les États doivent veiller à ne pas faire appel à des mercenaires pour assurer leur protection, mais doivent développer une armée nationale. Les mercenaires étant payés pour défendre celui qui les paye, ils cessent d’occuper leur poste quand l’argent ne vient plus. Pire, même, ils peuvent se payer sur le terrain, en pillant et volant les populations civiles. Le mercenaire est un homme de guerre, qui loue ses services, dans un jeu d’offre et de demande où sa vie est en balance. Plus il est exposé, plus l’offre doit être importante. Mais si l’exposition est trop forte, le mercenaire n’ira pas risquer sa vie pour une cause qui ne le concerne pas.

À l’inverse, les soldats des armées nationales se défendent eux-mêmes. C’est pour leur terre, leur femme, leur pays qu’ils combattent. L’argent, via la solde, n’est pas alors la partie la plus importante de leur action. Ils mettent leur vie en danger pour repousser un danger plus grand encore. Si l’on reste dans un registre économique, la loi de l’offre et de la demande s’exerce aussi pour ce groupe d’hommes de guerre, mais ce n’est plus l’argent qui est mis dans les plateaux de la balance, mais la vie ou la liberté. Le soldat est donc prêt à aller beaucoup plus loin dans le combat, et à donner sa vie pour les autres.

Dans une vidéo réalisée par un journaliste du Figaro on voit les casseurs se saisir de barrières de sécurité et les jeter sur les vigiles. Que font les vigiles ? Ils fuient. Ils ne protègent pas les journalistes assis dans la tribune, mais leur demandent de partir et partent avant eux. C’est le cas typique du mercenaire. Les vigiles sont payés pour maintenir la foule dans un espace clos, pas pour prendre des barrières sur la tête et se faire blesser ou mutiler par celles-ci. La clairvoyance de Machiavel se voit aussi dans ces émeutes du Trocadéro.

Mais dans son opuscule, l’auteur italien va plus loin : il réfléchit à la notion d’État. L’Europe du XVIe siècle est marquée par l’émergence des États nationaux, ce que les historiens appellent l’État moderne. C’est le cas de la France, de l’Angleterre de la Castille, et des multiples principautés qui émaillent l’Italie, dont la Florence des Médicis. L’État moderne se dote d’une armée nationale, refusant les mercenaires, à l’instar d’un Charles V qui instaure la première armée vraiment française pendant la guerre de Cent Ans, réforme reprise par son successeur Charles VII avec l’ordonnance de Louppy-le-Châtel (1445) qui crée les compagnies d’ordonnance et les lances. C’est cette armée nationale, qui vibre au souvenir de Jeanne d’Arc, qui a permis de vaincre les Anglais. La France a conservé quelques mercenaires, notamment avec les Suisses, qui se sont fait tuer pour le roi lors de la prise des Tuileries en 1792, mais ces mercenaires sont toujours peu nombreux, contrairement aux États non nationaux, comme l’Empire allemand.

Si l’État a une armée, c’est qu’il cherche à s’emparer de la violence. Hobbes dira que l’État a le monopole de la violence légitime. Et c’est bien d’un monopole qu’il s’agit, puisque les groupes privés de sécurité sont interdits.

Or, en ce mois de mai 2013, l’État a été incapable de maintenir la sécurité dans le cœur de Paris. Le quartier du Trocadéro a été dévasté, des Parisiens et des touristes ont été molestés. L’avenue des Champs-Élysées est devenue le terrain de jeu des tires-bourses et des coupe-jarrets, comme à l’époque des bandits de grand chemin. À Marseille, on avait déjà eu les trains attaqués, comme autrefois les diligences. L’État ne répond plus à sa fonction première, à la fonction même qui le légitime, à savoir assurer la sécurité de ses ressortissants. L’État est omniprésent dans les domaines qui ne sont pas les siens : éducation, logement, transport… il est absent dans le domaine qui est le cœur même de sa légitimité. L’État, de son propre fait, a rompu le contrat tacite conclu entre lui et ses citoyens. Rappelons que, comme le définit la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, les citoyens payent des contributions pour donner à l’État les moyens de les protéger. Si l’État ne les protège plus, à quoi servent alors les contributions que l’on lui verse ? Nous revenons ainsi à Machiavel : l’État se dissout lui-même. L’État a montré sa très grande faiblesse : il n’est pas capable d’aligner quelques CRS pour empêcher une centaine de casseurs de piller Paris. D’après les informations qui commencent à circuler, les CRS auraient reçu l’ordre de se retirer et de faire peu d’interpellations, afin de ne pas embraser les banlieues chaudes et de provoquer des émeutes sanglantes dans les zones de non-droit. Il a été choisi de sacrifier vitrines et magasins parisiens, de sacrifier l’image de la France et le tourisme, un des piliers de son économie, pour ne pas provoquer d’émeutes dans les banlieues. L’État a donc montré sa double faiblesse : refus d’interpeller des voyous, et incapacité à sécuriser des zones du territoire français.

L’impuissance publique, marquée en économie par l’accroissement du chômage, en finance, par l’explosion de la dette, en culture, par l’abandon de nos monuments nationaux, se poursuit dans l’incapacité actuelle de l’État à assurer la puissance de la force légitime. C’est parce que l’État est trop présent ici qu’il est quasiment absent là-bas. Ce qui menace désormais l’État, c’est la révolte des citoyens abandonnés. Révolte sourde pour l’instant, révolte qui peut passer dans les urnes, si les citoyens croient encore en la force de l’élection, ou dans la rue, s’ils espèrent en la force de l’action directe. L’État ne possède plus que la maigre banderole de la démocratie pour essayer d’endiguer le flux des mécontentements. Sauf que cette démocratie, il n’a de cesse de la tromper, en adoptant des lois rejetées par le peuple. L’État semble pris à la gorge de ses propres mots ; le peuple, pour une fois, pourrait retourner en acte les propos tenus par l’État lui-même.


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  • L’Etat socialiste obèse qui s’imagine omnipotent est en réalité impuissant.

    Comme à chaque fois qu’on l’administre à une nation, le socialisme ne produit rien d’autre que des pénuries, des chômeurs, des dettes, de l’insécurité, de l’injustice et l’anarchie sociale au bout du chemin.

    Heureusement, il n’est jamais trop tard pour instaurer un Etat minimal régalien.

    • Certes mais ne négligeons pas la perversion de la démocratie purement représentative: Les socialistes ne veulent simplement pas fâcher leur électorat.

      On les a vus réprimer et brimer sans retenue des manifestants pacifiques, mais électeurs de droite…

      Peut-on espérer que les socialistes sacrifient leur avenir personnel en servant l’État, plutôt qu’utiliser l’État au service de leur avenir personnel, c’est-à-dire se maintenir à sa tête ?

  • Poussons u peu plus avant le raisonnement, en citant l’article 2 de la déclaration des droits de l’homme:

    « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression. »

    A partir du moment où l’action de l’état consiste à violer ces droits, celui-ci s’auto-contredit, et détruit de facto sa propre prétention de légitimité.

  • Mais enfin… l’état n’est pas, ou plus, national. Les membres de l’état forment un peuple dans le peuple, coupé du peuple. On ne travaille pas pour l’état, on « appartient » à la fonction publique. On EST fonctionnaire, comme on peut être sioux ou aryen ; c’est en théorie par choix, en pratique essentiellement par hérédité.
    La loyauté du fonctionnaire va à ses chefs plus qu’aux lois, et absolument pas au peuple. Il ne sait rien de la vie du peuple (le commerçant ou le tour-opérator au Trocadero par exemple), et il n’en a rien à foutre, en fait.
    L’etat est de plus en plus étranger. Il n’est plus, au mieux, qu’un mercenaire (au pire, on peut le considérer comme une armée d’occupation). Il se comporte donc à l’égard du peuple comme un mercenaire : il prend ses aises et ne remplit les fonctions qu’on lui assigne que dans la mesure où ça ne le fatigue pas trop, qu’il ne prend pas trop de risques, ou que ça concourt à ses propres buts. Buts qui ne sont pas ceux du peuple, bien sûr.

    Quoi de surprenant ?

    • Description encore quelque peu exagérée (mais on y va tout droit si rien ne change) qui a cependant le mérite d’éclairer le sens du mot « patriotisme » dans la bouche des socialistes. Avec les constructivistes au pouvoir (socialistes de droite ou de gauche), il ne s’agit plus pour l’Etat de servir mais d’asservir. Ceux qui refusent le joug des mercenaires étatiques sont jugés antipatriotiques. Ils doivent donc disparaître, comme tout ce qui n’est pas encore attaché à l’Etat dans le pays. C’est le processus de collectivisation.

      L’assujettissement des peuples aux Etats commence par la rhétorique, tel le discours tenu récemment par Obama envers les entreprises, qui consiste, contre toute logique, à inverser le lien de dépendance entre ceux qui financent et ceux qui profitent, pour faire croire que les premiers dépendraient des seconds. Dans la même veine, on se souvient d’un Montebourg, avant les élections présidentielles, affirmant que les entrepreneurs n’étaient pas utiles et qu’on pouvait (devait même) se débarrasser d’eux.

  • « l’État a le monopole de la violence légitime », citation de Thomas Hobbes ou Max Weber?

  • Je penses surtout que l’euro marque sa fin et les monnaies fiduciares aussi!Car quand la monnaie s’éffonde la paix civile aussi s’éffondre!Voir l’histoire de l’éffondreent de l’empire Romain…Donc à mois de vouloir une guerre civile généralisée il faut d’urgence revenir au standard or et argent global!

  • S’il déborde du domaine régalien l’Etat devient une force d’occupation, parfois commandée mais pas toujours (voir la IV°République) par le parti politique majoritaire au moment dans l’arithmétique électorale imposée, mais toujours minoritaire rapporté à la nation.
    Les champs sociaux que l’Etat met en culture ne cessent de croître. « 1984 » c’est toujours plus qu’hier et bien moins que demain 🙂

  • Bravo JB NOE . C’est exactement la reflexion faite …depuis que les difficultés planent pour payer les militaires , les gendarmes , les policiers (?) .Je ne serai pas surpris que nous arrivions comme en GB ou la securité est assurée par des groupes privés comme aux USA ( c’était le cas pour les J.O de Londres !!!! )

  • mhh, et votre beau raisonnement si les patrons et les gens dans les cafés étaient armés? Quid de la notion de « milice » qui vous semble si incongrue. Pourtant, il faudrait réviser les classiques…

    • il y a un exemple celebre dans l’histoire, de desintegration de l’etat, et de son remplacement par des milices bourgeoise ( les gardes nationnales ) le debut de la revolution francaise:
      a partir de l’été 1788, il n’y a plus d’argent dans les caisses de l’etat, et la guerre entre le pouvoir executif faible de louis 16 et son conseil, et le pouvoir judiciaire ( les parlementaires ) entraine un affaiblissement complet de l’autorité. en effet, lors des nombreuses emeutes qui emaillent ces mois qui precédent l’explosion de l’été 1789, lorsque les forces de l’orde loyales au roi procèdent a des arrestations, elles sont regulièrement desavouée en justice par les parlementaires , qui joue resolument leurs roles d’opposant ( ils s’en mordront les doigts ! )
      rapidement, les forces de l’ordre laisse faire.
      peu a peu, elles sont remplacées, dans les grandes villes, par des volontaires, que les menbres du parti  » patriote  » qui ce constitu , souvent des bourgeois eclairés, jugent fiable, afin d’eviter les pillages: les gardes nationnales.
      c’ est une de ces forces nouvelles, forte de 40000 hommes, a paris, en juillet, mais qui manque cruellement d’armes et de poudre, qui enlève la bastille .

  • Les vigiles n’ont pas plus réagi que cela parce que la loi le leur en empêche aussi.

  • le problême , à ce jour , c’est que le secteur du luxe , nottament à paris , se plaint de l’insécurité qui règne à proximité des magazins de luxe , trés fréquentés par les touristes surtout chinois , qui se baladent avec de grosses sommes en liquide et se font de plus en plus agrésser ; dior , yves saint laurent , etc , ont peur de voir les touristes partir dans d’autres pays européens , plus sur ; le gouvernement fait la sourde oreille quand le peuple se plaint de l’insécurité galopante ; va t’il faire de même avec les patrons d’entreprises de luxe ? au risque de voir ceux ci tailler la route , laissant derrière eux un peu plus de chomeurs et encore moins d’argent dans les caisse de l’état ? attention hollande ! si tu ne réagis pas , tu vas te prendre un retour de manivelle dans la tronche dont tu ne te reméttras pas ;

    • Il est intéressant d’observer les patrons sortir de leur réserve habituelle et réagir de plus en plus vertement aux errements des socialistes.

      Les patrons français auraient-ils enfin compris qu’ils ont un rôle politique fondamental à jouer et qu’ils ne doivent plus laisser ce terrain, la nature ayant horreur du vide, aux incompétents professionnels de droite comme de gauche ?

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