La taxe Tobin encourage la spéculation !

La taxe Tobin est un fiasco : appliquée en France depuis 2012, non seulement elle n’a pas produit les recettes attendues, mais elle a aussi encouragé la « spéculation » qu’elle prétendait combattre.

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La taxe Tobin encourage la spéculation !

Publié le 20 mars 2013
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La taxe Tobin est un fiasco : appliquée en France depuis 2012, non seulement elle n’a pas produit les recettes attendues, mais elle a aussi encouragé la « spéculation » qu’elle prétendait combattre.

Par Jean-Yves Naudet.
Un article de l’aleps.

La taxe Tobin fait partie de ces vieux serpents de mer dont plusieurs pays se méfient, mais que la classe politique française, toutes tendances confondues, tient en haute estime. Ce remède miracle ne serait-il pas de nature à faire disparaître la spéculation, tenue pour l’abomination des abominations ? De plus, ne rapporterait-il pas des recettes gigantesques, quasiment capables d’éponger les dettes souveraines ? Patatras ! Appliquée en France depuis 2012, non seulement elle n’a pas produit les recettes attendues, mais elle a aussi encouragé la « spéculation » qu’elle prétendait combattre… C’est un fiasco sur toute la ligne.

La taxe Tobin par Tobin

Rappelons l’origine de cette taxe, proposée en 1972 par James Tobin, Nobel d’économie, qui se proposait de réduire la volatilité des taux de change, due à la haute fréquence des transactions financières internationales. Taxer les transactions, c’était les ralentir. Cette intervention sur les finances internationales prenait pour argument le désordre monétaire qui régnait au lendemain de la disparition du système de Bretton Woods (1958) fondé sur des parités fixes des monnaies nationales en dollar, lui-même rivé à l’or. Dans les mois qui ont suivi, on n’avait pas encore généralisé les changes flottants (valeur des monnaies déterminée par le marché libre) et chaque banque centrale était tentée d’intervenir sans cesse pour maintenir sa devise à l’intérieur d’une zone de fluctuation fictive.

Dans un système mi-changes fixes, mi-changes libres, une taxe très minime pourrait freiner les fluctuations erratiques, mal contrôlées, et remettre un peu d’ordre en diminuant les opérations « spéculatives ». Mais comment distinguer les fluctuations erratiques des autres et la spéculation n’est-elle pas une riposte à la volatilité des marchés ? La plupart des économistes de l’époque (Friedman en tête) avaient combattu l’idée de Tobin, bien qu’elle pût avoir une certaine logique dans le cadre précis de cette période.

Or, voilà que les antimondialistes s’en sont emparé, en ont fait le symbole de la lutte contre « la mondialisation ultralibérale » et contre le libre commerce mondial. Tobin lui-même a vivement condamné cette récupération, et réaffirmé son attachement au libre commerce ; il avait aussi pris ses distances avec sa propre suggestion, dans la situation de changes libres qui a suivi. « On détourne mon nom » avait-il même affirmé.

La taxe Tobin sans Tobin

Cela n’a pas empêché l’idée de s’installer et se développer dans les esprits « politiquement corrects ». Condamnée par la plupart des pays, elle est devenue un des symboles de l’exception française, séduisant bien au-delà des amis de José Bové et d’ATTAC, aussi bien le PS que Jacques Chirac, qui y voyait un exemple de « financement innovant », terme magique pour désigner un nouvel impôt. On a glissé de l’idée d’origine (limiter les mouvements spéculatifs) vers un simple impôt de plus. L’ancien président avait même mis en place une taxe sur les billets d’avion, sorte de mini-taxe Tobin.

Nicolas Sarkozy a cherché, en vain, à faire adopter la taxe par ses partenaires et par le G20, mais, face aux oppositions farouches de certains pays, il s’est rabattu sur une taxe appliquée dans un premier temps à la France seule : c’est la TTF (Taxe sur les Transactions Financières), au taux de 0,1% (qui passe à 0,2% à l’arrivée des socialistes) ; elle ne porte que sur les achats d’actions de sociétés cotées à Paris dont la capitalisation dépasse un milliard d’euros. Enfin, Nicolas Sarkozy puis François Hollande ont fait pression pour que nos partenaires européens (les autres n’en n’ont pas voulu du tout) adoptent une taxe pour l’Union, mais à ce jour seuls 11 pays veulent nous suivre dans cette aventure, pour 2014. Faute d’accord général, on se limite, comme le dit F. Hollande, aux pays « qui le souhaitent ».

Un bilan désastreux

Un premier bilan de l’application en France vient d’être dressé. On en attendait 550 millions en 2012 (la taxe est entrée en vigueur en août) et 1,6 milliard en 2013. Le pactole. Douche froide : les rentrées ont été de 250 millions en 2012 et se situeront entre 600 et 800 millions en 2013 : moins de la moitié de ce qui était attendu. C’est que nos énarques, dans leurs calculs, ignorent l’effet Laffer : un impôt réduit la matière imposable.

Or nos « experts » avaient fait leurs calculs à volume de transactions inchangé, oubliant que Tobin lui-même l’avait proposé au départ pour réduire les mouvements de capitaux (le fameux « sable dans les rouages »).

Il est vrai qu’entre temps on avait glissé des transactions monétaires mondiales vers le seul marché des actions. La taxe s’appliquant à tous les acheteurs d’actions opérant à la bourse de Paris, qu’ils soient installés en France ou à l’étranger, ces derniers notamment se sont détournés des achats d’actions françaises, réduisant les transactions, donc le rendement de la taxe. Les échanges soumis à cette taxe se sont réduits de 21%.

Plus de spéculation « grâce » à la taxe

Il y a eu un effet secondaire intéressant : les opérateurs, découragés d’acheter des actions, se sont tournés vers les produits dérivés, qui, eux, ne sont pas soumis à la fameuse taxe ! Un produit dérivé est un instrument financier dont la valeur évolue en même temps que celui du produit « principal » (ici les actions) mais qui ne requiert que peu ou pas de placement initial et qui ne sera réglé que dans le futur : ces opérations à terme sont donc plus incertaines, plus « spéculatives » : abomination pour les tenants de la taxe ! Voilà le paradoxe ; avec cette taxe Tobin à la française, on a encouragé les opérations sur les produits les plus spéculatifs au détriment des opérations sur les actions « classiques ». De quoi faire perdre leur latin à ceux qui expliquent que la crise de 2008 a son origine chez les « méchants spéculateurs ». Effet pervers des interventions : elles aggravent les mouvements financiers spéculatifs, tout comme les banques centrales provoquent des bulles spéculatives avec leurs manipulations.

Qu’on se rassure : on soignera le mal par le mal et on va étendre cette idée française aux onze pays prêts à nous suivre dans cette aventure ; cette fois, c’est certain dit-on, ce sont des dizaines de milliards qui vont rentrer dans les caisses. Les esprits chagrins, comme le nôtre, prédisent que les capitaux vont fuir l’Europe si elle généralise la TTF.

Juste un impôt de plus

Il y a dans cette affaire deux éléments. D’abord la spéculation. La vie économique est faite d’incertitudes et il est normal de se protéger de ces incertitudes (par exemple sur des marchés à terme), en transférant le risque sur celui qui accepte de le prendre, le spéculateur, qui joue en quelque sorte un rôle d’assureur. En outre spéculer, c’est regarder au-delà de l’immédiat, « savoir mieux que le marché ce que réserve l’avenir » et donc dès qu’il y a incertitude, il y a spéculation, anticipation ; en ce sens nous sommes tous des spéculateurs car la vie n’est faite que d’incertitudes. Seule la mort est certaine ! Ce qui est perturbant pour les marchés, c’est quand l’État rajoute des incertitudes fiscales ou réglementaires à celles qui font naturellement partie de la vie économique.

L’autre élément important, c’est qu’au-delà de toutes les « postures politiques », une seule réalité s’impose : la taxe Tobin n’est rien d’autre qu’un impôt de plus. En ce sens, c’est une histoire bien française, car en France tout se termine toujours par un nouvel impôt.


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  • Très intéressant, merci. Mais si je puis me permettre: il eut été encore mieux de donner les sources, notamment celles des données chiffrées. Est-ce possible?

  • En assimilant produit dérivés et spéculation, contre point se tire une balle dans le pied. À force de vouloir trouver toute raison possible de critiquer l’estalishment, c’est le risque. Investir dans une option n’est pas plus spéculatif que d’investir directement dans le produit sous jacent. Contrepoint gagnerait plutôt à séparer les effets désastreux de la taxe tobin d’un côté, et de l’autre l’idiotie de voir la « spéculation » financière comme le mal absolu, car cela traduit une méconnaissance totale de l’économie de marché. Tout acteur économique spécule à chaque instant, c’est cela qui guide les choix qu’il va faire.

  • Qu’est-ce qui vous fait penser que la baisse des transactions est dûe à la taxe ? 0,2%, c’est très peu. Il y avait jadis un « impôt de Bourse » qui était, je pense, supérieur à ce taux.

    • Pour remettre en doute que ce soit l’effet de la taxe, il faudrait trouver une autre différence qui serait apparue à peu près au même moment entre les deux groupes de valeurs, celles soumises à la taxe et celles non.

      De plus, cet effet ayant été observé partout où une telle taxe a été instaurée (notamment en Suède il y a une quinzaine d’années), la probabilité d’une cause différente est très faible.

  • Fergunil:

    Si vous vous « hedgez », vous spéculez que le coût de ce hedge est plus faible que le coût du risque que vous prendriez avec une position nue 😉

    • En effet, et c’est là le problème d’augmenter le coût du hedge, et considérablement, vu qu’en général on se protège de risques faibles, et que la prime ne représente elle-même que des fractions de pourcent du montant à protéger, guère plus que la taxe prévue quand elle sera étendue : on ne pourra se protéger autant des risques, donc en cas de malheur…

  • Les commentaires sont fermés.

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