Sécurité : l’illusion technologique

Depuis le 11 septembre 2001 s’impose l’illusion que la sécurité serait atteignable par des moyens purement technologiques.

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Sécurité : l’illusion technologique

Publié le 8 mars 2013
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Depuis le 11 septembre 2001 s’impose l’illusion que la sécurité serait atteignable par des moyens purement technologiques.

Par Frédéric Prost.

Comme bien souvent la culture populaire représente un sismographe signifiant, si ce n’est fidèle, des forces à l’œuvre dans la société. On pourrait s’amuser à faire le lien entre les dernières avancées scientifiques et ses pendants littéraires en allant de la découverte de l’électricité et le Frankenstein de Mary Shelley, aux premières années de la conquête spatiale et de l’épidémie d’OVNIs des années 50 et 60 (phénomène qui, curieusement, est devenu beaucoup moins populaire maintenant qu’aller dans l’espace tient de la routine). Dans notre monde post 11 septembre il semblerait que nos préoccupations soient à la fois sécuritaires et technologiques. La série Person of Interest est tout à fait emblématique.

L’argument de cette série conjugue la figure classique des justiciers avec les nouvelles technologies. Un milliardaire a accès à une machine qui, étant donné la masse d’information qu’elle ingère (en gros tous les mails, appels téléphoniques, relevés de caméras de sécurité etc.) arrive à prédire où et qui sera impliqué dans des affaires criminelles. Une approche à la fois plus technologique et chargée en testostérone que les precogs de Minory Report.

Sans aller plus loin dans l’analyse de cette série (il y a pourtant de quoi remplir plusieurs essais), j’aimerais approfondir ce que je pense être le point central du zeitgeist qu’elle illustre : l’illusion selon laquelle la sécurité peut être obtenue par des moyens purement technologiques.

Il est à noter que cette série n’est qu’une ellipse pas si éloignée que ça de la réalité. Ainsi, la police de New-York utilise un prototype de logiciel n’ayant pas grand chose à envier à celui en œuvre dans la série. D’autre part la gestion de plus en plus technologique de la violence d’État, au moyen de drones est un débat brûlant : l’administration Obama est-elle en train de mettre en place un nouveau droit de la guerre ? Les drones pourront ils être utilisés par l’administration américaine sur le sol américain ?

Ce qui est commun derrière tout cela est la croyance que la sécurité est un sous-produit de la technologie et qu’en maîtrisant cette dernière on pourrait aller jusqu’à empêcher les actes de malveillance de survenir en les prévoyant ou en imposant une dissuasion décisive. C’est une manière de voir qui assimile la sécurité à un problème d’ordre technique dont les solutions passeraient par l’utilisation de technologies adéquates. Rien n’est plus faux.

On reconnait ici un avatar de plus de La présomption fatale scientiste. C’est déjà une erreur de penser que les connaissances peuvent être agglomérées, synthétisées, ou correctement traitées dans le monde économique : les différentes expériences communistes ont montré qu’on ne peut même pas calculer avec fiabilité des prix dans une économie totalement administrée. Or, dans le cas de la sécurité, le problème est encore plus vaste dans le sens où, dans ce cadre, les acteurs font tout ce qu’ils peuvent pour déjouer vos plans. Autrement dit, déjà en supposant que tout le monde coopère (ce qui est le cas en économie), vous ne pouvez pas prévoir quelque chose de simple (au sens où c’est une information qui se limite à un chiffre) comme un prix, comment imaginer être en capacité de prévoir quoi que ce soit dans un domaine ouvert (les actions terroristes pour ne parler que d’elles peuvent prendre littéralement n’importe quelle forme : d’une pulvérisation de produits toxiques dans le métro au meurtre de masse au couteau dans une maternelle en passant par les traditionnelles bombes) où les acteurs sont sciemment en train de chercher à vous faire échouer ?

Une autre raison majeure de la prégnance de cette illusion technologique vient de la confusion fallacieuse entre deux types de sécurité : celle contre des catastrophes naturelles et celle contre des actions humaines. Si les solutions technologiques ont toutes leur place dans le premier cas, il n’en va pas de même dans le second. Lorsque les ingénieurs ont calculé quelle devait être la hauteur du mur de protection de la centrale de Fukushima, ils se sont trompés avec le résultat que l’on sait. Mais cette faille de sécurité qui provient d’une sous-estimation numérique des dangers n’est pas de même nature que celle qui survient quand vous tentez d’empêcher un attentat à l’explosif dans un avion. Pour cela il faut mettre en place des procédures pour s’assurer qu’aucune bombe ne puisse être embarquée : fouilles, détecteurs, interdiction des liquides. La différence vient du fait qu’une fois la procédure établie le terroriste fera tout ce qu’il peut pour la contourner : par exemple répartir dans 4 bouteilles le contenu qu’il aurait pu mettre dans une seule, utiliser des appareils électroniques détournés etc. La liste de comment contourner une mesure de sécurité est par définition infinie pour qui veut bien se donner les moyens d’y réfléchir quelques instants. Et puis, au pire, si vraiment faire exploser un avion devient impossible, on fera exploser des trains ou couler des bateaux… La vague de Fukushima ne fera pas tout ce qu’elle peut pour détruire le mur de protection, de même que l’ouragan Katrina n’a pas suivi un parcours précis uniquement pour ennuyer les habitants de Nouvelle Orléans.

Vouloir à tout prix multiplier les « solutions technologiques » au problème de la sécurité n’a qu’une seule issue possible : l’avènement d’une société policière dans laquelle non seulement la sécurité ne sera pas plus grande mais la liberté du plus grand nombre sera anéantie. Le mouvement général qu’on peut observer depuis une dizaine d’années n’est pas rassurant.

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  • Le raisonnement est le même avec les radars automatiques. Si les effets ont été notables au niveau de la vitesse moyenne, il est néanmoins clair qu’un système de répression automatique de ce type va s’acharner contre les citoyens innocents qui commettent des peccadilles. les grands délinquants, eux, mettent en place des stratégies de contournements efficaces qui les mettent à l’abri tout comme avant (voitures étrangères, de société ou de location, plaques étrangères ou fausses, permis étranger ou faux, …) . Cela leur donne d’ailleurs au passage un sentiment d’impunité et d’intelligence supérieur les poussant au niveaux suivants de la criminalité.

    Un exemple criant est par exemple l’Afghanistan où à cause des attentats utilisant l’engrais le plus courant et le moins cher, celui-ci est interdit. Le pays souffre beaucoup de cet interdit au niveau économique, le pays étant majoritairement agricole. Pourtant, cela n’a pas fait cesser les attentats car les terroristes se sont débrouillés autrement …

  • A propos de votre papier, je voudrai rapprocher le formidable documentaire passé sur Arte il y a quelques jours, réalisé par des israélien sur le Shin Bet et ses méthodes « The gatekeepers », où des hommes qui ont été à la tête du plus formidable service de contre-espionnage du monde se posent ce genre de question (on peut encore le revoir sur le site d’ArteTV pour ceux qui l’auraient raté; c’est excellentissime).
    Une remarque de détail sur l’impossibilité de déterminer les prix en système socialiste: ce n’est pas l’expérience qui l’a montré. Ludwig von Mises, dans son livre de 1922, Sozialismus, l’avait déjà démontré en utilisant des arguments théoriques irréfutables.

  • j’aime bien cet article, mais il me semble que paradoxalement l’auteur de la série est tout à fait conscient du caractère irréaliste de son pitch (qui accessoirement à un petit coté X men : informaticien génial+ machine + homme d’action marginal = prof Xavier+ cérébro+ équipe de choc de mutant) et des inconvénients de cette dérive sécuritaire. Vous noterez en outre que les premiers désignés par cette machine supposée géniale sont en fait d’une évidence à la portée du premier crétin venu : moi aussi je peux deviner qu’une procureur en cheville avec des flics véreux, une fillette seule survivante d’une tuerie mystérieuse, et un ex militaire avec des horaires louches associé à un autre ex-militaire autour de qui les cadavres s’accumulent, sont probablement impliqués dans une possibilité de mort à brève échéance.
    Autant dire que la machine ne sert à rien.
    Et comme l’auteur n’est pas un imbécile, je n’exclurais pas qu’il vise en fait à dénoncer cette tentation du panopticon informatique

    • il faut avoir vu la série en entier pour comprendre sa finalité :
      un comportement anormal ne permet pas de déterminer la culpabilité d’un individu
      cette série est foncièrement contre la société policière américaine où l’originalité vaut culpabilité

  • Très bon papier

    • Rappelez-vous Sarko qui voulait ficher les délinquants de maternelle !

      La réalité a toujours de l’avance sur la fiction.

  • La conclusion me semble le plus intéressant: l’accumulation des procédures de sécurité est liberticide… et s’opposant de ce fait à la nature même des hommes qui est de découvrir même au risque de,quelque chose que l’on devrait freiner . Le principal exemple de procédure à restreindre est le principe de précaution; prendre la précaution en principe rabougrit l’esprit d’initiative, le dynamisme, …. longue liste de défauts de ce sinistre principe.
    Pour ce qui est de la technologie qui n’améliore pas la sécurité, ce n’est pas vrai , et un simple contre-exemple suffit à le prouver: les systèmes d’alarme placés dans les maisons disuadent 90% des voleurs.

    • enfaitpourquoi: « Le principal exemple de procédure à restreindre est le principe de précaution; prendre la précaution en principe rabougrit l’esprit d’initiative, le dynamisme, …. longue liste de défauts de ce sinistre principe. »

      Ça fait plaisir de vous lire la dessus.

    • Avatar
      Frederic Prost
      9 mars 2013 at 8 h 11 min

      Je ne suis pas spécialiste mais il ne me paraîtrait pas étonnant que le montant total des sommes volées (rapporté à la population) n’ait pas baissé. Le cas des systèmes d’alarme n’est pas un contre-exemple mais une très bonne illustration : si voler les maisons devient impossible les malfrats vont se diriger vers une autre activité (le vol d’identité, les détournements de cartes bancaires etc.). La solution technologique n’a fait que repousser le crime ailleurs. C’est ce que je disais en mentionnant que si vraiment faire exploser un avion les terroristes trouveront autre chose. Comme les mesures de sécurités sont prises après coup (en gros on tente de rendre impossible ce qui vient de se produire) et que l’imagination humaine, pour le meilleur et pour le pire, est sans limite, c’est à une course éperdue à laquelle nous assistons. Les solutions sont complexes (en gros c’est le travail de police qui requiert des moyens, de l’intelligence, du savoir faire etc. mais également de la législation/dissuasion ainsi que de la morale publique) et pas uniquement technologique.

      Un bon exemple informatique est que depuis l’avènement de SSL/TLS les voleurs se sont détournés des banques … pour cibler les clients : c’est ce qu’on appelle le phishing.

  • « l’administration Obama est-elle en train de mettre en place un nouveau droit de la guerre ? »

    Quoi de plus absurde que cette notion de « droit de la guerre » ?
    Des conventions dans le domaine de la guerre ne peuvent avoir de sens que si elles sont réciproques, et si leur viol est payé cher.

    Ici on voudrait que les Occidentaux s’imposent unilatéralement des limites, dont le viol devient immédiatement l’atout majeur de leur ennemi ! Résultat: L’exact contraire de l’objectif recherché. La victoire assurée pour qui piétine ces règles.

    Les règles adoptées en Occident pour épargner les civils sont simples: Un ennemi ne dissimulant pas ses armes et portant un uniforme qui le rattache clairement à une chaîne de commandement, pris vivant, doit être traité selon la convention réciproque.
    Ainsi, des soldats allemands venus commettre des sabotages aux États-Unis débarquèrent-ils en uniforme, puis se changèrent une fois sur la terre ferme, afin de bénéficier de la protection des conventions lors de cette partie critique de leur mission (http://en.wikipedia.org/wiki/Ex_parte_Quirin).

    S’imposer des limitations unilatérales, surtout lorsqu’on dispose de la supériorité militaire, est un formidable moyen de promouvoir la barbarie.

    Les Occidentaux ne torturent pas en Afghanistan ? Les Talibans vont donc s’empresser de le faire, et de la manière la plus abjecte, afin de s’approprier la terreur. Dès lors leur victoire est inéluctable, et les droits humains définitivement éradiqués de la région.
    L’intervention occidentale sur de telles bases est donc contreproductive.

    Autre exemple: Oblabla interdit la torture, dès lors que faire des chefs terroristes islamistes identifiés ? Surpeupler Guantanamo ? Les emprisonner dans un État de droit ? Mais selon quel droit ?
    Après en avoir capturé puis relâché quelques-uns, il fallut se rendre à l’évidence: Le seul choix restant est de les abattre.
    Si le code de torture était resté valide, il aurait été possible de les cuisiner, donc leur capture aurait eu un sens.
    Eh! Oui: Les frappes de drone sont la conséquence directe de l’interdiction de la torture.

    Redécouvrons Pascal: L’homme n’est ni un ange ni une bête, et le malheur veut que qui veut faire l’homme fait la bête.

    Enfin sur le fond, sur l’État policier qui vient: On ne peut pas comprendre cette dérive si on refuse de prendre du recul et de considérer cette question dans le contexte de l’affrontement religieux en cours.
    Car la liberté est un concept anthropologique rejeté par les islamistes, au profit du totalitarisme islamique – dont Mohamed, et pas eux, est le fondateur.
    Dès lors l’expansion de l’islam ne peut pas se traduire autrement que par un recul des libertés – même s’il existe des musulmans libéraux.
    Pas seulement à cause des terroristes islamistes: La plupart des islamistes sont contre les effusions de sang, mais n’en sont pas moins des partisans résolus du totalitarisme islamique.
    Il ne s’agit plus seulement de lutter contre le crime.
    Le crime ne se bat pas contre la liberté, il n’est fondé que sur le vice (cupidité, égocentrisme…).

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