Pénibilité : Vous n’aimez pas votre pull, élevez des mites !

Sur les 20 dernières années, la fatigue au travail a glissé du physique au mental, de l’atelier au bureau, du col bleu au col blanc.

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Pénibilité : Vous n’aimez pas votre pull, élevez des mites !

Publié le 3 janvier 2013
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Sur les 20 dernières années, la fatigue au travail a glissé du physique au mental, de l’atelier au bureau, du col bleu au col blanc.

Par Bernard Caillot.

Les Dieux de l’Olympe sont avec nous !
Des générations de mites vont surgir pour nous manger la laine sur le dos et après nous serons tous… Grecs !

La vie du DRH est un long chemin, toujours en côte, sur lequel il pousse son rocher de Sisyphe. Il poursuit le rêve que le législateur, tel le juge des enfers, lui confie : obtenir des partenaires sociaux l’accord parfait qui réglera les problèmes sociétaux que la société ne sait pas résoudre par le seul yaka législatif.

Pris sous la cascade des Lois, le DRH négocie et signe des accords sur tous les problèmes sociétaux : handicap, égalité hommes femmes, diversité, GPEC, seniors, etc.

Hélas, les accords aussi bien ficelés et nombreux qu’ils soient ne règlent pas les courroux sociétaux, les déséquilibres sociaux, les attentes des médias et des hommes ainsi que les dérives financières de multiples organismes plus ou moins paritaires. À chaque fois, l’encre à peine sèche, le rocher de la négociation roule à nouveau au bas de la colline.

Fin 2010, le DRH observait les cortèges contre le report inéluctable [1] de l’âge de départ en retraite. Pendant toute la période des défilés rituels, de crainte des dommages collatéraux,  il a navigué au plus près en surveillant les accords signés et en peaufinant les relations sociales internes à l’entreprise.

En 2011, les « accords seniors » à peine élaborés, une nouvelle loi a ramené le rocher au même endroit ; cette fois-ci le rocher est estampillé « pénibilité ». Le DRH va remonter la colline pour négocier un accord sur ce thème conséquence de la Loi du 9 novembre 2010 portant l’âge de la retraite à 62 ans.

À l’époque, cette « Loi portant réforme des retraites » était présentée comme la meilleure garantie de pérennité du système de protection sociale que « le monde nous envie mais ne copie jamais ». Elle devait être un bon pull-over qui garderait bien au chaud pour les générations futures – celles qui devront payer les dettes – la pyramide de Ponzi des retraites par répartition.

Bien que cette Loi n’ait qu’effleuré de très très loin les régimes spéciaux elle voulait compenser les différences de conditions de travail et prévenir la pénibilité rencontrée par les hommes au travail.

À son habitude pour garantir la vertu, le législateur a prévu un gros bâton. Les entreprises sont contraintes de négocier des accords ou de prévoir des plans d’action en matière de prévention. À défaut, une pénalité fixée à 1% du maximum des rémunérations ou gains leur sera appliquée [2]. Parallèlement les branches professionnelles ou les entreprises sont incitées (sic !) à engager des négociations pour proposer à leurs salariés exposés à des facteurs de pénibilité un aménagement pour la fin de leur carrière, euphémisme ouvrant la voie à toutes les justifications de départ anticipé.

L’origine officielle de cette préoccupation législative s’appuie sur une observation de bons sens : il existe des travaux plus pénibles que d’autres.

Immédiatement chacun pense au maçon élevant un mur sous la pluie avec de lourds parpaings. Personne ne tourne spontanément sa compassion vers un conducteur de TGV ou vers le professeur agrégé d’Éducation Physique et Sportive soumis à « une obligation réglementaire de service de 15 heures [3] » par semaine.

Et pourtant !

Heureusement dans l’entreprise industrielle – en partie grâce aux avancées technologiques, parfois à cause de la désindustrialisation – sueur et épuisement physique tendent à être rangés au rayon des souvenirs. Parallèlement les modifications technologiques, organisationnelles et sociétales ainsi que la conscience que chacun a de sa « souffrance d’homme au travail » font émerger un nouveau stigmate de l’activité professionnelle : le stress. Avec lui plane l’ombre du « Karoshi », vocable Japonais désignant les troubles associés au surmenage.

Le terme karoshi a été introduit par trois médecins japonais dans un ouvrage publié en 1982 pour désigner un ensemble de troubles cardiovasculaires associés à un temps de travail excessif.

Le premier cas reconnu de karoshi date de 1969, il s’agissait d’un employé de 29 ans décédé d’un arrêt cardiaque sur son lieu de travail au sein du service expédition d’un grand journal japonais. Depuis, sous le terme de Burn-out, ce mal épisodique serait devenu épidémique atteignant même (voire surtout) des catégories professionnelles qui sont souvent en dessous des 1607 heures de Temps de Travail Effectif annuel [4] et, a fortiori, du temps de travail d’un japonais des années 1960. Celui-ci était plus proche des 2400 heures annuelles que de nos 35 heures hebdomadaires.

Pour les observateurs du terrain revendicatif, le syndrome d’épuisement professionnel – terme français pour Karoshi – concerne principalement les personnes dont « l’activité professionnelle implique un engagement relationnel important comme les travailleurs sociaux, les professions médicales et les enseignants » (dixit Wikipédia [5]) et par extension les anciens salariés des ex-services publics maintenant confrontés à une réelle obligation de servir le public.

Sur les 20 dernières années, la fatigue au travail a glissé du physique au mental, de l’atelier au bureau, du col bleu au col blanc. Les risques psychosociaux – RPS – sont devenus la cause la plus souvent mise en avant quand le sujet de la pénibilité est abordé et que tout autre argument et cause sont caducs.

Quand le site doctissimo.fr traite du « travail qui épuise » il n’évoque ni l’estampeur ni le maçon mais l’employé(e) de bureau « fatigué(e), découragé(e), démotivé(e) [car] tout n’est plus aussi rose au bureau et vous avez du mal à vous lever chaque matin. Attention, vous êtes peut-être touché par le burn-out, ce fameux syndrome d’épuisement professionnel. »

Pour ce site grand public même si les causes peuvent être multiples car « certains aspects de la personnalité peuvent parfois « prédisposer » au burn-out : une plus forte propension à l’anxiété ; une conscience professionnelle trop poussée ; le perfectionnisme ; le désir de plaire ; l’incapacité à déléguer… » la conclusion reste néanmoins sans appel : « Personne n’est à l’abri de ce syndrome. Et pour cause, la pression est de plus en plus forte, les exigences de plus en plus poussées et le risque de se retrouver sans travail bien réel. »

Par cette dernière explication la boucle est bouclée.

La souffrance au travail, le risque de burn-out, donc la pénibilité, peuvent être engendrés par la crainte d’être sans travail autant que par le fait d’en avoir un.

Au pays « du principe de précaution inscrit dans la constitution » il faut écarter les craintes et supprimer les causes dites profondes de ce mal et – pourquoi pas – afin de s’éloigner de la définition antique du travail [6] adopter les solutions des Grecs modernes afin de renforcer, peu à peu,  les régimes spéciaux en détricotant une réforme générale par une succession d’accords particuliers.

—-

De quel exemple grec parlons-nous ?

Le Conseil d’Orientation des Retraites dans le rapport de sa séance plénière du 16 mars 2011 « Inaptitude, incapacité, invalidité, pénibilité et retraite » traite de « La prise en compte de la pénibilité du travail dans les systèmes de retraite des pays de l’OCDE », il écrit au sujet de la Grèce :

En Grèce la liste des activités considérées comme insalubres et pénibles est très longue. Il y a au moins 580 catégories d’emplois qui y sont reconnues et dont l’exercice permet une retraite anticipée, dès 55 ans pour les hommes et 50 ans pour les femmes s’ils ont travaillé pendant au moins 4500 jours dont 3600 dans ces catégories spéciales (1000 de ces jours doivent avoir été travaillés dans les 10 ans qui précèdent l’introduction de la demande de retraite.

Pour sa part l’OCDE notaitdans son « Étude économique de la Grèce de 2007 » :

Il est tout à fait justifié d’accorder un traitement préférentiel lorsque l’exercice d’un métier donné conduit à une réduction de l’espérance de vie. En revanche, la proportion de personnes qui bénéficient actuellement de telles dispositions (40% de l’ensemble des hommes en retraite et 15% des femmes, dans le cadre du principal régime de retraite des salariés), de même que la longue liste de métiers auxquels elles s’appliquent, incitent à penser que la réglementation actuelle va largement au-delà de ce principe.

—-

La Loi de 2010 a ouvert une nouvelle boite de Pandore [7].

Entreprise par entreprise des négociations sont engagées.

Le syndrome de la feuille blanche commence à sévir. Depuis le 1er janvier 2012, quel employeur peut envisager de laisser longtemps vierge la « fiche individuelle pénibilité » à remettre au salarié [8]. Peut-on sérieusement imaginer un accord d’entreprise qui n’indiquerait aucun cas de pénibilité alors que des éléments sont si facilement visibles ? Des conséquences humaines potentiellement graves ainsi que la sécurité juridique de l’employeur poussent celui-ci vers un « zèle de précaution » dans la rédaction du document.

Ce dernier point est logique : pour l’Entreprise les conséquences financières peuvent être immédiates ; pour la collectivité, elles seront à long terme… Après moi le déluge ! disait Louis XV. « Courage nageons » pense la vox populi.

La fatigue physique, les charges lourdes, les horaires décalés, la pression des clients, l’usure du métier, les temps de transport [9] etc., tout ceci peut être invoqué avec une dose de réalité et une bonne dosette de compromis social comme des éléments ouvrant droit à des compensations spécifiques car ils peuvent être constitutifs de pénibilité conduisant aux symptômes ci-dessous parfaitement décrits dans un site tel que doctissimo.fr :

Comment savoir si vous êtes momentanément fatigué ou si vous souffrez de burn-out ? Plusieurs signes peuvent vous mettre la puce à l’oreille, notamment s’ils sont présents depuis quelque temps :

  • Vous vous fatiguez plus facilement et avez souvent des difficultés pour vous lever le matin ;
  • Vous travaillez de plus en plus alors que votre rendement diminue constamment ;
  • Vous avez l’impression que vos efforts sont rarement remarqués ;
  • Vous avez une attitude plus désabusée ;
  • Vous oubliez parfois vos rendez-vous ;
  • Vous êtes plus irritable ;
  • Vous voyez de moins en moins votre famille et vos amis intimes.

Les entreprises les plus stratifiées, aux organisations syndicales arc-boutées sur les « avantages acquis » et sur les spécificités de leur régime, vont rapidement écrire des accords.

Tout aussi rapidement les Juges vont s’emparer des accords, des accidents, des règles statistiques et de leurs exceptions pour faire une pelote de jurisprudences. Ensuite, les partenaires sociaux reprendront la jurisprudence pour demander l’extension des avantages du particulier au général.

Le cercle sera refermé !

Le pull du report d’âge de départ en retraite sera grignoté, rongé, percé par les dizaines de mites écloses dans les accords de branches et d’entreprises.

—-

Si en Grèce, l’histoire des abus va peut-être/certainement (?) se terminer dans un naufrage collectif, en France l’histoire de la Loi sur le report de l’âge de départ en retraite commence sous de très mauvais auspices. Avec le dispositif dit « carrières longues » le gouvernement Hollande a déjà fait un trou dans le pull.

À moins que les contraintes extérieures nous obligent à une discipline collective, on peut craindre que cette Loi se termine – selon l’expression utilisée par Jean Marc Vittori [10] – comme toutes les bonnes mesures en « louche percée » :

Prenez un bel impôt, simple, neuf, efficace, qui ramasse beaucoup d’argent. Immergez-le en France un bon demi-siècle. Ressor­tez-le. Observez. L’expérience marche à chaque fois : il est désormais tout troué. La louche s’est transformée en passoire rouillée. Sous la pression d’une myriade de lobbies, gouvernants et législateurs ont décidé au fil des ans des dizaines, voire des centaines d’excep­tions qui ont percé le métal au nom des meilleures raisons du monde.

—-

Néanmoins, espérons que le maçon et l’estampeur, rarement cités dans la nouvelle littérature sociale, ne se découvrent pas être les grands oubliés de cette histoire qui reste à écrire.

Espérons surtout que, par le « miracle de la péréquation » de la nouvelle contribution Accident du Travail [11] « spécifiquement dédiée au financement du nouveau dispositif pénibilité », ces catégories ne soient pas les principaux contributeurs à l’équilibre financier de nouveaux régimes spécifiques de retraite.

—-
Notes :

  1. Voir l’article « Seniors, Papy-boom et territoriale » publié par La Forge n° 26 d’octobre 2006 (Texte fourni à la demande par l’auteur).
  2. Sans oublier les risques liés aux sanctions habituelles en cas de manquement de l’employeur à son obligation de sécurité : sanctions pénales ; sanctions civiles (faute inexcusable) ; sanctions « prud’homales » (prises d’acte de rupture, dommages-intérêts…).
  3. Source : ftp://trf.education.gouv.fr/
  4. Rappel : 1.600 heures, équivalent annuel des 35 heures hebdomadaires, plus 7 heures de journée de solidarité.
  5. J’ai choisi des illustrations à partir de Wikipédia ou doctissimo.fr non pas parce que ces sources sont des références mais parce qu’elles sont la voix que « le public » entend. Souvent, celui-ci pense que leur « présentation des éléments » est la vérité, celle que « la Télé dit, que Wikipédia écrit, qu’Internet recopie en boucle sur lui-même ». Ces  reflets d’une opinion participent à former l’Opinion voire « un consensus ».
  6. L’étymologie du mot travail est liée au mot latin tripalium, instrument de torture à 3 piliers utilisé pour punir les esclaves rebelles. La malédiction biblique frappe Adam « condamné à gagner son pain à la sueur de son front ». Pour les marxistes, le travail est indissociable de l’exploitation et de l’aliénation. Pour les pays sous ces influences, tels que la France, la résultante principale du travail est « la peine, la fatigue et l’usure ». À l’inverse, les pays anglo-saxons souvent de culture protestante, voient dans le travail un « facteur d’émancipation, de libération et de réussite » qui est glorifié par son résultat : la fortune.
  7. Déesse grecque créée sur l’ordre de Zeus qui voulait se venger des hommes pour le vol du feu par Prométhée. Pandore cède à une curiosité, elle ouvre la célèbre boîte ce qui libère les maux contenus. Elle veut refermer la boîte pour les retenir il est hélas trop tard ! Seule l’Espérance, plus lente à réagir, y reste enfermée.
  8. Art. L. 4121-3-1 du code du travail et art. 60 de la loi n°2010-1330, 9 novembre 2010. Cette obligation concerne toutes les entreprises quels que soient l’effectif et la proportion de travailleurs exposés aux facteurs de pénibilité.
  9. Sans oublier : « les exigences du travail, les exigences émotionnelles, l’autonomie et les marges de manoeuvre, les rapports sociaux en milieux de travail, l’insécurité de l’emploi et du salaire… » Source : http://www.travail-emploi-sante.gouv.fr/IMG/pdf/LesRisquesPsychosociaux-FonctionPublique.pdf.
  10. Article des Échos du 6 octobre 2011 sur la déliquescence de la TVA, titré « La niche à 137 milliards d’euros ».
  11. La caisse A.T. est la seule à être structurellement en équilibre. Espérons que derrière la « pénibilité » ne se soit pas glissée la possibilité de lui faire financer – de façon politiquement indolore – les « nouveaux  régimes à caractères spéciaux ».
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  • Ce qui fait peur, c’est que notre pays a enfanté des myriades de trous du cul qui tentent de nous faire prendre des vessies pour des lanternes. Et qui concourent à faire de la France le pays foutu dans lequel nous vivons. Les émergents doivent se frotter les mains.

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