Les prix sont faits à la marge

Dans un marché libre, comme celui des matières premières par exemple, les prix se font à la marge, et voici pourquoi.

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Les prix sont faits à la marge

Publié le 29 décembre 2012
- A +

Dans un marché libre, comme celui des matières premières par exemple, les prix se font à la marge, et voici pourquoi.

Par Charles Gave.
Article publié en collaboration avec l’Institut des Libertés

À plusieurs reprises dans les échanges que j’ai eu avec les lecteurs sur les matières premières en général et leurs prix en particulier, j’ai mentionné dans une phrase un peu cryptique que « les prix des matières premières étaient faits à la marge », comme tous les autres prix dans les marchés libres d’ailleurs. De nombreux lecteurs m’ont du coup demandé ce que je pouvais bien vouloir dire par là. Je vais donc essayer d’expliquer cette notion absolument centrale, pour tous ceux qui cherchent à comprendre l’évolution des marchés financiers (et de l’économie), aussi simplement que je le peux.

Prenons le pétrole.

La consommation, c’est-à-dire la demande de pétrole est d’environ 85 millions de barils/jour en ce moment.

Si la capacité de production, l’offre, est de 87 millions de barils par jour, et que donc il existe une capacité excédentaire d’environ 2 millions de barils par jour, personne ne se fait trop de souci et les prix sont stables, voire en légère baisse. Imaginons que des événements politiques interviennent au Moyen-Orient ou au Nigeria, qui réduisent l’offre de façon temporaire de 3 millions de barils par jour.

La demande devient supérieure à l’offre de 1 million de barils par jour ce qui représente un déficit de 1,1% entre la demande et l’offre. Le lecteur conviendra que 1,1% ne représente pas grand chose et pourtant sur ce déficit, les prix du pétrole vont s’envoler et passer de 90 dollars par baril à 120 ou 130, c’est-à-dire une hausse de 40% ou 50%, ce qui paraît excessif.

Pourquoi ?

La demande de pétrole est inélastique dans le court terme (autre notion économique importante), ce qui veut dire que si vous avez besoin de pétrole pour faire tourner votre usine, dans le court terme vous serez prêts à payer n’importe quel prix pour y arriver. Il va donc falloir que le prix monte jusqu’à ce que la demande baisse de 1 million de barils par jour, les plus faibles ou les moins capables de payer se décourageant les premiers. C’est-à-dire que le prix total que le monde entier va payer pour son pétrole va être déterminé par la demande marginale du dernier million de barils et non pas par la demande moyenne. Qui plus est, si l’offre et la demande sont très proches, tout le monde sait qu’une dislocation entraînerait le prix à la hausse et tout le monde fait des stocks, ce qui contribue à faire monter les prix encore plus. Ce phénomène fonctionne dans les deux sens.

Imaginons maintenant que compte tenu du prix élevé atteint par l’or noir, les Chinois décident de bâtir une trentaine de centrales nucléaires et de cesser de brûler du pétrole pour fabriquer de l’électricité (c’est le cas). La demande mondiale baisse à 84 millions de barils par jour, tandis que l’offre augmente en raison de nouveaux gisements mis en exploitation, disons de 3 millions de barils. Nous avons maintenant 4 millions de barils excédentaires. Les acheteurs vont se mettre à faire du « shopping », allant d’un producteur à un autre en disant : « Votre baril, vous, vous le vendez à combien ? », un peu comme sur la place du marché pour une botte de poireaux quand les étals sont en train de fermer.

Du coup, plus personne ne fait de stocks, les stocks existants sont liquides, et les prix s’écroulent de 30% ou 40 %… Le même phénomène existe dans tous les systèmes de prix libres, tels que les marchés financiers. La capitalisation boursière d’Apple est égale au nombre d’actions multiplié par le dernier cours, lui-même le résultat de l’interaction entre le dernier acheteur et le dernier vendeur.Ce qui compte pour déterminer le prix, c’est donc les variations de l’offre et de la demande sur la plus récente période, qu’il est convenu d’appeler l’offre marginale et la demande marginale (i.e. dérivée première pour les matheux).

Allons plus loin et introduisons les attentes des opérateurs dans les marchés. Imaginons que ces braves gens pensent que la demande chinoise de pétrole va monter jusqu’à la fin des temps de 5% par an. Ils intégreront cela dans leurs calculs et achèteront du pétrole « à terme » pour se couvrir contre l’inévitable hausse. Les prix aujourd’hui refléteront cette demande future, les arbitragistes étant là pour ça.

Cependant, ils font une légère erreur. À la place de monter de 5% par an, la demande Chinoise augmente de 2% par an. Les prix s’effondrent… Et c’est ce point que les gens ont beaucoup de mal à comprendre. Si la demande passe de très forte à simplement forte, les prix s’effondrent, puisque les prix sur les marchés à terme intègrent la demande très forte.

Voilà pourquoi il est coutume de dire que dans les marchés, les prix sont faits à la marge.

—-
Sur le web

Voir les commentaires (5)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (5)
  • Merci m’sieur Charles, j’ai tout bien compris sauf le dernier paragraphe…

    Damned, je suis donc comme la plupart des gens…

    Mais en tout cas j’ai aimé votre article, j’y vois plus clair sur la hausse des cours d’une matière première alors que la production baisse à peine…

    • Le dernier paragraphe applique le reste du texte. Reprenons :
      Si tu veux acheter du pétrole, tu peux l’acheter spot (tu payes maintenant pour une livraison sous quelques jours) ou future (tu t’engage aujourd’hui à payer et recevoir ton pétrole plus tard à une date donnée (standardisée))
      Si à un instant t, le marché estime que la Chine va augmenter sa consommation de 5% dans les 6 prochains mois, le prix future va monter. Si le prix future monte, le prix spot monte également (tu peux acheter de suite pour revendre avec bénéfice 6 mois plus tard).
      Si finalement, la consommation ne monte que de 2% au lieu de 5, les prix ont été sur-estimée et chutent, même si la demande est plus forte qu’avant. Ils peuvent même descendre plus bas que leur niveau d’origine par un phénomène de panique, les investisseurs voulant se dégager « à toux prix » de leur investissement malheureux
      C’est plus clair ?

  • La demande sur un marché stable (pays industrialisé) ne peut être remplacé par un marché émergeant sans qu’il y ait des perdants.

    Comment peut-on dès lors prévoir un besoin à long terme, quand on ne regarde que la transition à court terme.

  • Les commentaires sont fermés.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don
0
Sauvegarder cet article

Un article de Mathieu Plane, économiste - Directeur adjoint au Département Analyse et Prévision OFCE, Sciences Po

 

Le retour de l’inflation en France depuis deux ans, dont l’origine vient principalement d’un choc de prix d’importations lié à la hausse vertigineuse de la facture énergétique, pose la question centrale de la répartition de ce choc au sein des agents économiques. Qui en a principalement subi les effets ?

Sous l’effet, d’abord de la forte reprise post covid, puis de la guerre en Ukraine, le prix des comp... Poursuivre la lecture

Première partie de cette série ici. Seconde partie de cette série ici.

 

Quel devrait être le prix d’une bouteille de lait dans les grandes surfaces ?

Dans les deux premières parties de ce billet, nous avons vu que la question est mal formulée, et que l’analyse économique de la répartition du prix final d’un litre de lait est presque toujours biaisée.

De plus, nous avons montré que les deux principales propositions du monde syndical agricole sont, non seulement anti-économiques, mais vont profondément à l’enc... Poursuivre la lecture

Première partie de cette série ici.

 

Quel devrait être le prix d’une bouteille de lait dans les grandes surfaces ?

Dans la première partie, nous avons vu que cette question est mal posée : la répartition de la part des différents acteurs dans le prix final du lait ne laisse presque aucune marge nette à aucun d’entre eux.

À part l’État lui-même – qui extrait visiblement plus de la moitié du prix du lait à son propre profit – la comptabilité des agriculteurs, des entreprises agro-alimentaires et des grandes sur... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles