« On nous cache toujours quelque chose », vraiment ?

Certains ont tendance à interpréter l’actualité comme si on leur cachait toujours quelque chose. Mieux vaudrait fournir une bonne explication, compréhensible et plausible. La bêtise explique davantage que la méchanceté les conduites humaines.

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« On nous cache toujours quelque chose », vraiment ?

Publié le 28 décembre 2012
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Certains ont tendance à interpréter l’actualité comme si on leur cachait toujours quelque chose. Mieux vaudrait fournir une bonne explication, compréhensible et plausible. La bêtise explique davantage que la méchanceté ou le complot les conduites humaines.

Par Marc Crapez
Article paru une première fois sur Contrepoints en septembre 2011.

Complot
Conspiracy – (c) dhammza

La littérature classique enseigne qu’il existe plus de fripons que de scélérats. Les comportements humains sont davantage motivés par la bêtise, la peur et la médisance que par la méchanceté, la folie ou la perversité. Dans la littérature, le contraire de l’honnête homme est le petit marquis, personnage médiocre humainement ou limité intellectuellement. Dame bêtise, comme l’appelait Jacques Brel, n’est pas avare et elle explique dans bien des cas les conduites humaines.

Chaque profession, chaque milieu secrète sa forme spécifique de bêtise, plus ou moins perçue suivant les époques. Dans Monsieur de Pourceaugnac, Molière se moquait des gens de robe. Ces magistrats et avocats furent longtemps brocardés avant de devenir, depuis une trentaine d’années en France, des vaches sacrées intouchables. Par ailleurs, le « scrogneugneu » de la sottise galonnée est une interjection passée à la postérité. Le militaire français cumulerait bêtises administrative et soldatesque. Heureusement que, contrairement aux préjugés antimilitaristes, la bravoure et la droiture individuelles rachètent largement cette bêtise collective.

Être borné, étroit d’esprit, voir les choses par le petit bout de la lorgnette, les expressions abondent pour désigner le poids des préjugés. La dose maximale est le préjugé d’altérité ethnologique. « Comment peut-on être Persan ? », se demande Montesquieu, là où la réponse d’Obélix est catégorique : « ils sont fous ces Romains ! » Ces préjugés relatifs aux coutumes barbares des autres peuples ont été, en principe, mis au rencart, mais ils sont remplacés par d’autres a priori sur autrui.

Raisonnements complotistes et paternalistes

Les raisonnements dits complotistes ou conspirationnistes se représentent les événements mus par des forces occultes et les hommes animés de sentiments perfides. L’actualité offre son content d’interprétations complotistes qui sont au mieux des surinterprétations (les Américains ont ourdi en sous-main le 11 septembre, les libéraux sont responsables de la crise financière de 2008…). Cette tournure d’esprit procède de l’idée qu’il y aurait mystère, et même mystère et boule de gomme, c’est-à-dire une énigme apparemment insoluble, et derrière elle des manigances.

À force de vouloir débusquer la face cachée de l’iceberg, le petit futé finit par avoir la berlue. La fausse clairvoyance échafaude à tout prix des explications cachées. Comme s’il devait immanquablement y avoir anguille sous roche. Le fait de se méfier nous fait croire intelligents. Ne pas vouloir être dupe passe pour de la perspicacité. L’impression d’avoir découvert le pot-aux-roses est gratifiante. Une tournure idiomatique telle que « sauter à pieds joints sur l’occasion » illustre la précipitation avec laquelle on s’accroche à des explications qui confortent ses préjugés ou flattent ses fantasmes.

C’est pourquoi les philosophes ont, de tout temps, insisté sur les vertus du sens commun. Dépourvu de méthode et laissé à lui-même, l’esprit humain se livre facilement à des cogitations grotesques, sans faire travailler ses méninges, ni fournir une bonne explication. Une bonne explication est immédiatement compréhensible et plausible à la réflexion. Le plus souvent, elle fait appel à une psychologie ordinaire et à de petites causes banales. Elle discerne le ressort des actions dans les intérêts et les passions propres à la condition humaine.

Les élites s’attribuent traditionnellement le monopole du raisonnement éclairé et déprécient les choix populaires en les présentant comme des réactions irrationnelles, des poussées de fièvres ou des pathologies. L’intellectuel Jean-Louis Bourlanges s’étonne ainsi que les Allemands aient décidé de renoncer au nucléaire de leur côté, alors que la décision aurait pu être prise au niveau européen, puisque Tchernobyl avait eu des conséquences jusqu’en Corse. « Je ne comprends pas », s’exclame-t-il sur BFM Business, ce « débordement d’émotion et de passion » !

Cette critique est contestable. On peut objecter que Tchernobyl a causé moins de dégâts à la Corse qu’à l’Ukraine. En attendant une hypothétique résolution à l’échelon de l’Union européenne, une décision allemande constitue pour eux un principe de précaution. Cette décision, qu’on l’approuve ou non, est donc parfaitement défendable et sensée. La juger incompréhensible et passionnelle réédite le préjugé d’aversion ethnologique consistant à interpréter l’altérité comme de la stupidité. C’est une vision paternaliste, à peine plus subtile que le « ils sont fous ces Romains ! » d’Obélix. On la reconnaît à ses formules telles que « mais qui sont ces gens ! » ou « c’est dingue, ça ! ».


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  • Le mystère du complot est plus exaltant que la réalité.

  • Votre façon d’écrire me fait penser à du Régis Debray 🙂

  • Nous préférons des contre-vérités grossières plutôt que des vérités évidentes (Joseph Schumpeter)

  • P’tin, un complot pour nous faire croire qu’il n’y a pas de complot… 😉

  • Cet article tombe dans l’excès inverse de ce qu’il dénonce.

    Selon le dictionnaire, un complot est une:
    Entreprise formée secrètement entre deux ou plusieurs personnes contre la sûreté de l’état ou contre quelqu’un.

    Si personne ne s’était réuni secrètement auparavant, il n’y aurait pas eu les événements du 11 septembre. Donc, le 11 septembre est clairement le résultat d’un complot. La seule question qui se pose est de savoir qui a comploté. Ceux qui suspectent (à tord ou à raison) le gouvernement américain ne sont pas plus dans les « interprétations complotistes » que la version officielle du gouvernement.

    Concernant la crise financière, on n’est pas par définition face à un complot, mais cela n’exclut qu’il y a peut-être eu des complots. Cependant, les mettre sur le dos des « libéraux » est évidemment ridicule, ceux-ci n’étant pas un groupe organisé, ni ceux

    • … qui sont à la tête des gouvernements et des institutions financières qui sont à la cause de ces crises.

      • Si vous avez cru à une dénonciation paresseuse et machinale imputant le complotisme à de l’obscurantisme, vous avez mal lu.

        Je pense au contraire que, dans la coulisse des conduites humaines, il y a une rationalité à l’œuvre. Que la psychologie courante suffit à l’expliquer. Que la bêtise est davantage en cause que la perversité.

        Dans la plupart des cas, il est donc inutile d’aller chercher midi à quatorze heures, ou de « s’exalter » comme dit « Pandora », en imaginant par exemple que le Pentagone se serait tiré un missile sur lui-même…%?!

        • il y a complotisme et complotisme, entre supputer que les USA ont pu connaître des infos sur le 11 septembre et laisser passer, et prétendre que l’explosion au Pentagone est un missile et que les tours se sont effondrées par démolition controllée, il y a un monde. Pour parler comme Rothbard, il y a de bons conspirationnistes et de mauvais conspirationnistes comme il y a de bons et de mauvais historiens.
          Vous avez tout à fait raison quand vous dites « dans la coulisse des conduites humaines, il y a une rationalité à l’œuvre », simplement dans beaucoup de cas on ne connaît pas cette rationalité et il est normal que des gens essaient de trouver du sens à ce qui arrive. Il n’y a qu’à regarder l’historique des opérations des services secrets pour voir qu’on a bien affaire à des officines qui n’ont aucune peur de mentir de manière éhontée, de lancer des opérations sous faux drapeau et qu’il y a bien des précédents d’affaires où la version officielle était bien une tromperie. Tout ce qui sort de la bouche des instances étatiques (privées aussi…) est donc à prendre avec des pincettes.

          • Il y a une différence entre laisser passer sciemment ou par imperfection. Et les logiques étatiques sont répertoriées, telle la raison d’Etat.
            Sinon je suis d’accord : il y a le bon et le mauvais chasseur…

        • @ marc crapez

          Il n’y a rien de fantaisiste à imaginer que le Pentagone ait pu se tirer un missile sur lui-même, puisque de l’aveu même d’anciens hauts dirigeants américains, ce genre de scénario avait déjà été imaginé.

          C’est donc un fait que le gouvernement américain (et probablement tous les gouvernements du monde) possède des stratèges sans scrupules qui auraient été tout-à-fait capables de planifier le 11 septembre dans le but de pousser l’opinion américaine et mondiale à une entrée en guerre des USA.

          Ce serait donc faire preuve d’ignorance ou d’angélisme que d’éliminer d’emblée cette hypothèse. Il faut au contraire l’évaluer par rapport aux faits et pas seulement tenir compte de la version officielle du gouvernement américain qui n’allait bien évidemment pas s’auto-incriminer.

          D’autre part, c’est aussi un fait que de nombreux politiciens et financiers sont dans des sociétés secrètes, or le complot est la raison d’être de ces sociétés. Le monde politique est depuis toujours le résultat de complots, de manigances, et d’intrigues de toutes sortes.

          Maintenant, pour rejoindre le propos non alarmiste de votre article, je dirais que ces complots sont loin de tous aboutir, qu’ils sont à la merci de la providence, du cours des événements, et qu’enfin ces gens-là n’ont pas le temps de s’attarder sur tout et n’importe quoi. Avant donc de voir un complot, il faut voir déjà s’il y avait vraiment un enjeu qui le méritait…

          • Désolé mais ça ne tient pas debout. Les pseudos « aveux » révélateurs font partie de toutes les thèses extravagantes. Par exemple l’anticléricalisme extrémiste du 19ème siècle utilisait les révélations de curés défroqués. Dire que ce « genre de scénario avait déjà été imaginé » est trop évasif : ce n’était pas le même scénario et il avait peut-être été effleuré mais finalement repoussé.

            Quant aux sociétés de pensée vous risquez de tout télescoper. Vous confondez la distorsion entre idéaux et pratiques avec une perversité manœuvrière. Vous prenez le besoin de gratification sociale qu’il y a à grenouiller dans un club quelconque pour un dessein idéologique prémédité.

          • @ marc crapez

            L’amiral Kimmel et le contre-amiral Theobald ont clairement accusé Roosevelt d’avoir incité les Japonais à attaquer Pearl Harbor, dans le but que la population majoritairement isolationniste soutienne l’entrée en guerre des USA. Ces accusations ont été ensuite soutenues par des historiens. Il ne s’agit donc pas de « curés défroqués », ni d’antiaméricanisme primaire. C’est à ce genre de scénario que je fais allusion, et le 11 septembre en possède les mêmes ingrédients: un acte fourbe, destructeur, traumatisant, qui pousse un peuple dont les gènes étaient isolationnistes à soutenir massivement une guerre…

            Et pour mémoire, Roosevelt n’avait rien d’un libéral et avait comme vice-président Truman qui ordonna le lancement des bombes atomiques contre le Japon…

            Une société de pensée n’a rien à voir avec une société secrète. Les think tank américains n’ont pas besoin d’être secrets pour fonctionner et accorder une gratification sociale.

            Par contre, nombreux puissants sont dans des sociétés qui restent secrètes parce que justement elles ont pour projet de s’enrichir et d’avoir du pouvoir par tous les moyens. On n’est pas dans un monde de bisounours.

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