Qui est l’homo oeconomicus ?

Au cœur du paradigme dominant de la science économique, se trouve une hypothèse qui fait rire : l’homme serait rationnel.

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Homo oeconomicus

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Qui est l’homo oeconomicus ?

Publié le 4 novembre 2012
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Au cœur du paradigme dominant de la science économique, se trouve une hypothèse qui fait rire : l’homme, homo oeconomicus, serait rationnel.

Par Acrithène.

Au cœur du paradigme dominant de la science économique, se trouve une hypothèse qui fait rire : l’homme serait rationnel.  N’en déplaise aux économistes, ceux d’entre nous qui ne vivent pas la tête dans les nuages, font ici-bas l’expérience quotidienne de la bêtise et des passions irraisonnées de la plupart de leurs semblables.

Pourtant, depuis la fin du XIXème siècle, les penseurs néoclassiques raffinent notre intelligence pour faire des échanges librement consentis le principe organisationnel de l’économie. Depuis plus d’un siècle au cœur de la microéconomie, qui étudie la manière dont agissent les individus, le modèle néoclassique s’est étendu à la macroéconomie, qui étudie l’économie à l’échelle des grands agrégats. Et même l’essentiel de la pensée keynésienne en a largement adopté les méthodes.

En généralisant les modèles fondés sur l’hypothèse de rationalité des individus, l’économie académique s’est coupée du grand public, et d’un grand nombre de ses étudiants. L’individu qu’elle décrit comme l’humain type semble si mal décrire l’expérience de la vie quotidienne qu’il attire les sobriquets sarcastiques : homo œconomicus, Robinson Crusoé…

Les moqueries ont deux origines. Tout le monde a une opinion sur l’économie, mais bien moins nombreux sont les gens comprenant ce qu’est une dérivée. Si cette première origine n’est pas de la responsabilité des économistes, la seconde l’est bien davantage. Confortés par leur formalisme mathématique, les économistes ont totalement négligé leur sémantique et le choix des mots décrivant leurs hypothèses…

 

Les individus sont rationnels

Le choix du mot « rationnel » est une de ces négligences de langue. « Cohérent » eut-été bien meilleur pour décrire l’homo œconomicus. Le mot « rationnel » chez les néoclassiques décrit une réalité bien plus humble que dans le sens courant :

Définition

Un individu est « rationnel » si et seulement si :

1) Complétude : entre deux choix, A et B, il est capable de dire si 1) il préfère A à B ou 2) il préfère B à A ou 3) il est indifférent.

2) Transitivité : s’il préfère A à B, et B à C ; alors il préfère A à C.

Vous avez sans doute des connaissances dont les capacités de raisonnement vous paraissent assez limitées. Pour autant, si ces personnes ont des préférences complètes et transitives, vous ne pourrez pas vous en servir de contre-exemple aux hypothèses du modèle standard de la science économique.

Ces dernières années, la psychologie a beaucoup apporté à l’économie en montrant que parfois les préférences n’étaient pas « rationnelles » au sens néoclassique. Complétude et transitivité restent pour autant un point de départ relativement modeste et convaincant pour décrire des généralités au risque d’omettre quelques paradoxes.

Notez que la « rationalité » ne prétend pas expliquer vos préférences. Aussi ne peut-on dire que quelqu’un est irrationnel au sens néoclassique du seul fait qu’il ait des préférences qu’on juge déraisonnées.

La collectivité n’est pas rationnelle

Que vous soyez ou non convaincu que les individus soient « rationnels », vous devrez admettre que les décisions collectives ne le sont pas.

Dans le cadre d’un vote majoritaire, Nicolas de Condorcet démontre, par exemple, que la décision collective peut ne pas respecter le principe de transitivité. Imaginons une société de trois individus (1,2 et 3), devant choisir entre trois alternatives (A,B et C). Les préférences des individus sont les suivantes :

Individu 1 : A>B>C
Individu 2 : B>C>A
Individu 2 : C>A>B

Ce qui donne, au scrutin majoritaire :

A>B
B>C
C>A

Ces trois résultats sont clairement une entorse à la rationalité la plus basique. Le Paradoxe de Condorcet montre qu’un groupe décidant selon la règle démocratique peut préférer A à B, B à C et pourtant ne pas préférer A à C !

Le résultat est généralisé au XXème siècle par le théorème d’impossibilité de Kenneth Arrow, qui démontre l’inexistence d’un système de décision collective rationnel.

Au fond, la critique de l’homo œconomicus néoclassique est assez amusante. Au prétexte de l’absurdité de l’hypothèse de rationalité, cette critique justifie une préséance de la collectivité sur l’individu. Pourtant, une fois la rationalité définie, son applicabilité aux individus est une hypothèse assez convaincante, tandis que l’irrationalité du groupe est une certitude mathématique !

Cet homme qui résout des lagrangiens

Dans les modèles de microéconomie, les individus modélisés résolvent des problèmes mathématiques impliquant des dérivés, des Lagrangiens, des matrices hessiennes… Or l’essentiel de la population – et peut-être vous chers lecteurs – ne maîtrise pas ces concepts. Aussi paraît-il délirant de modéliser les agents économiques comme s’ils avaient les capacités analytiques de mathématiciens.

Pourtant, les sciences naturelles utilisent des mathématiques avancées pour modéliser le comportement d’objets dénués d’intelligence. Quand vous calculez la longueur de l’hypoténuse d’un triangle rectangle, vous n’attribuez pas à l’hypoténuse la capacité cognitive d’élever au carré la longueur des autres côtés du triangle.

Dans le cadre de la microéconomie standard, l’utilisation de méthodes de l’analyse mathématique est permise par l’utilisation des fonctions d’utilité. Une fonction d’utilité est une application mathématique qui attribue à chaque décision d’un individu une valeur de « bien-être » (ou d’utilité).

Une incompréhension fréquente des fonctions d’utilité est de croire que les économistes prétendent pouvoir mesurer l’utilité, c’est-à-dire mettre une valeur sur le bonheur. Si je fais cela mon bonheur sera de 3,197 alors qu’une autre option m’offre un bonheur de 7,352.

En vérité, une fonction d’utilité est un concept bien plus humble. C’est une fonction qui, si vous préférez A à B, associera une valeur supérieure à A qu’à B, formellement U(A)>U(B). Un même individu peut être représenté par une infinité de fonctions renvoyant des valeurs totalement différentes. Le seul rapport entre ces fonctions sera que si U1(A)>U1(B), alors on aura U2(A)>U2(B).

Similairement, les physiciens mesurent la chaleur à l’aide de fonctions différentes, par exemple la mesure Celsius et la mesure Fahrenheit. Pour un même niveau de chaleur, les deux fonctions renverront des valeurs différentes, mais elles donneront la même hiérarchie des niveaux de chaleur.

Les fonctions d’utilité classiques ne sont que des constructions « ordinales », elles ne mesurent pas le bien-être mais ordonnent les préférences. Il est simple de montrer que si un individu a des préférences transitives et complètes, alors on peut les ordonner par une fonction d’utilité.

Une fois qu’on sait ces fonctions existantes, on peut leur appliquer des instruments de l’analyse des fonctions, sans que cela signifie qu’on suppose que les individus soient capables d’effectuer de tels calculs. Ainsi, nombre de calculs si compliqués que doivent comprendre les étudiants en économie n’impliquent pas des individus modélisés davantage qu’avoir des préférences complètes et transitives.

Conclusion

A la différence des sciences naturelles, l’économie n’est pas seulement une science descriptive, elle a aussi une vocation normative. D’une certaine manière, c’est un art. Son objet est de conseiller les consommateurs, les producteurs, les investisseurs, les gouvernants. Aussi, ses modèles n’ont pas vocation à vous expliquer ce que vous devriez faire si on vous supposait stupide. Ce que vous attendez de l’économiste, c’est qu’il vous dise ce que la raison conseillerait.

Inversement, dans une économie compétitive, la stupidité est un handicap. Aussi, la rationalité, dans un sens plus étendu, trouve un fondement darwiniste. Sauf évidemment dans les pays où on offre l’argent public aux dirigeants médiocres.

Au cours du XXème siècle, la résolution de problématiques plus complexes que les résultats fondamentaux du néoclassicisme ont nécessité des hypothèses plus fortes sur l’intelligence des individus et leur clairvoyance.

En particulier, les efforts des théoriciens des anticipations dites rationnelles ont montré que le keynésianisme faisait l’hypothèse de l’incapacité des individus à anticiper une hausse d’impôt future pour rembourser les dépenses non financées présentes et leur incompréhension que la planche à billet provoquait l’inflation.  Ces hypothèses de débilité généralisée sont-elles rationnelles ? Et si on les accepte, est-ce raisonnable de justifier une politique par les erreurs de jugements qu’elle provoquera chez les citoyens ?

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  • Le libéralisme n’est que loi du plus fort et égoïsme à outrance. Seule une politique véritablement à gauche, avec confiscation des biens privés, peut nous sortir de la torpeur actuelle, alors que les dirigeants, notamment des grands groupes, devraient passer en justice pour y subir de lourdes condamnations. Le libéralisme, c’est avant tout le mépris des autres pour la sauvegarde des intérêts d’une minorité. POINT BARRE.

    party

  • J’ai rien compris à votre article . Je me permettrais juste de vous indiquer que les degrés Celsius et fahreneiht sont des unités de températures et non de chaleur.
    A l’heure du réchauffement climatique la différence est d’importance.

  • Le liberalisme n’a pas créé le goulag et la misère, lui!

    • @Henri

      Le libéralisme a-t-il existé ? où ? quand ? combien de temps ? quel libéralisme ?

      • Au XIXè siècle qui a vu une petite partie du monde s’enrichir à une vitesse jamais vue depuis le début de l’humanité. Et cette politique libérale est à l’origine des plus importants « acquis sociaux » : limitation du temps de travail et de l’âge. Droit syndical et droit de grève (avant que ce droit soit dénaturé par les officines subventionnées), etc. etc.

  • Dans tout modèle éconnomique, il y a le coté normal qui est simple à modéiser. Mais le monde est loin d’être normal.

    Prenons un exemple très courant:
    On veut réduire les cout d’explotation agricole en regroupnt des petites exploitations. Et ensuite on continue de faire de plus en plus gros.

    Mais il y a une constante intrinsèque c’est le temps de travail, le matériel et le nombre d’employé minimum par hectar,….

    bref il n’y a pas que le prix de vente de la terre ou du produit de la terre qui entre dans la rentabilité.

    De ce fait on ne peut résumer un monde à plusieurs variables et le simplifier à des questions d’argent et de spéculation.

    Donc toutes ces reformes visant à éconnomiser, ne font que couter plus cher, car au départ c’est sous évalué et à peine moins cher, mais quand la facture réelle arrive c’est une catastrophe.

    Depuis quand un travail de conseil et un architecte de la société, n’ajoute pas un coût sur leurs oeuvres.

    Il n’y a pas besoin de faire des tas d’étude pour savoir que rien n’est gratuit.

  • Oui l’économie comportementale a montré les limites de l’homo oeconomicus , il me semble…

  • Bravo pour votre démonstration.
    Un autre aspect démontre la vacuité de la volonté de modélisation en macro-économie : C’est un peu comme prévoir la météo, donc avec un nombre de variables gigantesque, mais avec l’inconvénient déterminant: Le fait même d’en diffuser les résultats modifie ces résultats.

    Pire que le chat de Schrödinger, qui lui à la sympathie de se déterminer lorsqu’on l’observe 😉

  • article effectivement incompréhensible, dans la mesure où
    * il commence par se moquer d’Homo oeconomicus, alors qu’il apparait à la fin qu’il a (plutôt, semble-t-il, sauf erreur) pour objet de défendre cette notion (tout en en réduisant la portée
    * il mélange des rappels de la critique, et de critique de la critique ou des conséquence de la critique
    Je pense néanmoins avoir compris où l’auteur voulait en venir, mais je pense qu’il faudrait quand même refaire cet article de façon moins alambiquée, plus directe.

    • J’ai trouvé ça plutôt compréhensible.
      1)Constat : incompréhension généralisée du concept d’homo oeconomicus
      2)Remise à plat du concept et de son impact réel
      3)Conclusion : la réfutation d’un homo oeconomicus incompris a permis aux keynésiens de mener une politique économique basée une hypothèse de connerie généralisée, laquelle ne nous mène que vers…toujours plus de connerie généralisée.

  •  » Ces hypothèses de débilité généralisée sont-elles rationnelles ?  »
    Romney a mené toute sa campagne en postulant que personne n’allait s’apercevoir qu’il est impossible de réduire un déficit tout en coupant les impôts et en menant des guerres ruineuses.
    Donc, en sciences politiques, miser sur la connerie des gens a aussi des limites.

  • Les commentaires sont fermés.

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