À la recherche de l’Europe perdue

Je me demande si la « crise de l’Europe » n’est pas plus profonde encore, et si elle ne remonte pas aux origines de la construction européenne, au traité de Rome lui-même.

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Tempête européenne

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À la recherche de l’Europe perdue

Publié le 23 octobre 2012
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Je me demande si la « crise de l’Europe » n’est pas plus profonde encore, et si elle ne remonte pas aux origines de la construction européenne, au traité de Rome lui-même.

Par Jacques Garello
Article publié en collaboration avec l’Aleps.

Beaucoup d’Européens croyaient savoir ce qu’est l’Europe. Ils se fiaient à quelques signes très visibles : l’euro, Bruxelles, la Champions League. Certains l’aimaient, certains y voyaient la cause de leurs maux.

Là-dessus vint la crise, et l’image de l’Europe s’est soudainement estompée. Une première fracture est intervenue entre les pays qui au sein de l’Europe appartenaient à l’Union et les autres : 27 pays n’expulsent pas d’Europe la Suisse, la Norvège, ni même la Russie, l’Ukraine, la Georgie, voire la Turquie.

Une deuxième fracture s’est produite entre les membres de l’Euroland, qui ont une monnaie et une banque centrale communes, et ceux qui ont gardé leur souveraineté monétaire : Angleterre, Suède, Pologne, République Tchèque, etc. Ici la crise de l’euro a été assimilée à une crise de l’Europe, parce que l’on a pensé que l’euro devait être sauvé, et que pour sauver l’euro il fallait se donner de nouvelles institutions européennes ou, au minimum, un nouveau mode opératoire. Enfin, et non le moindre, les réactions des divers pays face à la crise ont fait apparaître la fracture la plus nette, et qui transcende les autres : entre les fourmis et les cigales, entre ceux qui ont réduit la voilure de l’État et ceux qui ont cherché la solution dans des politiques étatiques de relance et de déficit budgétaire.

Les Européistes à tout crin pensent replâtrer les fractures de l’Europe avec le Pacte de Solidarité rédigé en juin dernier et en cours de ratification dans les pays concernés. Mais le plâtre est friable, parce qu’il unit des pays précisément et profondément divisés sur la sortie de crise ; les fourmis resteront fourmis et les cigales continueront à danser.

Je me demande si la « crise de l’Europe » n’est pas plus profonde encore, et si elle ne remonte pas aux origines de la construction européenne, au traité de Rome lui-même. Depuis un demi-siècle on croit avoir fait l’Europe, alors que l’on a simplement joué à l’Europe.

Je l’ai déjà rappelé à de nombreuses reprises : le choix n’a jamais été fait entre une Europe espace et une Europe puissance. Une Europe espace, c’est une Europe sans frontière, où peuvent librement circuler les produits, les capitaux, les entreprises, les hommes. C’est une Europe destinée à unir des peuples divers autour d’une culture commune, forgée et embellie par la tradition chrétienne. Rapprocher les gens. L’Europe puissance est une volonté d’unir les États. C’est une vue politique, soucieuse de mettre en place un pouvoir au-delà des nations, d’autorités bureaucratiques, de politiques communes.

Sans nul doute l’ambiguïté régnait-elle dès le début. Les vrais pères de l’Europe Adenauer, Schuman et de Gasperi étaient tous trois des chrétiens démocrates, et voulaient avant tout une Europe « de l’esprit et du cœur », une paix durable entre habitants d’une Europe meurtrie par des guerres fratricides et odieuses. Les douze étoiles du drapeau européen sont celles de la Vierge Marie (et non pas, comme on le croit, des douze états fondateurs – qui n’étaient que six). Mais en même temps se profilait une Europe organisée, administrée, celle de Jean Monnet, ennemi juré du marché et partisan inconditionnel de la planification administrative. Finalement, on a eu les deux Europe, l’une apportant tous les bienfaits du libre échange et de la libre entreprise, l’autre multipliant les entraves administratives et les coûts d’une bureaucratie incontrôlée. Bien évidemment, si le débat sur l’Europe devait se circonscrire à la classe politique, le choix proposé ne portera que sur l’organisation du pouvoir, et la lutte sera ardente entre souverainistes et fédéralistes. Mais le débat concerne avant tout les Européens, et non pas ceux qui prétendent parler en leur nom au prétexte d’une représentativité de façade.

La crise de l’Europe est donc avant tout une interrogation sur l’État nation. Peut-on continuer à admettre la fiction de peuples assemblés docilement sous la houlette d’une classe politique elle-même divisée ? Beaucoup d’hommes politiques (comme Jacques Delors jadis) font un calcul cynique : l’État nation étant mis en péril à l’intérieur de ses frontières par la vague de libéralisme et de mondialisme qui déferle sur le monde à partir des années 1980 (ère Reagan Thatcher et chute du mur de Berlin) reste à replier le pouvoir politique à Bruxelles ou Francfort, où il échappera à toute pression, un Parlement croupion laissant libre jeu à des autorités supra-nationales agissant pour le bien du peuple européen entier.

Or, nous voyons aujourd’hui que les peuples ne se reconnaissent plus dans les États qui les enserrent. Ce qui se passe déjà en Belgique, en Espagne, c’est une volonté d’indépendance de nations et de cultures qui supportent mal le pouvoir central, ses redistributions et ses législations arbitraires. En France, pays du jacobinisme et du « politique d’abord », ce genre de réactions est encore embryonnaire. Mais les Français dynamiques, et en particulier les jeunes, sont tentés par la délocalisation pour échapper aux serres et aux inepties de l’État Providence.

Finalement, je me demande si ce qui nous attend en Europe ce n’est pas une progressive libération, impliquant la décroissance des États et la totale ouverture de l’espace européen, vivifié par ses diversités et harmonisé par une concurrence bienfaisante. À la recherche de l’Europe, on pourrait retrouver, comme en 1989, la fin des dictatures politiques et l’espoir de la liberté.

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  • Pourvu qu’il en soit ainsi.

  • Connaissant l’U.E. de très près, j’en ai bâti de longue date une conviction de l’Europe-mirage. Celle d’un bloc monolithique et unifiant jusqu’à l’extrême.

    Si les citoyens (lesquels ? , de quoi ?) tendent à contester la notion d’Etat-Nation, sera-ce pour lui substituer l’U.E.-Nation, ce monolithe informe – disparate – bureaucratique et inefficace ?

    Ce qu’émirent (tardivement) nos pères fondateurs (Jean Monnet, l’oublié dans votre liste ?), c’est que l’U.E. aurait d’abord dû tenir à une forme d’osmose culturelle. Or ceci reste nié par nos réalités, reste un leurre emprunté aux traumas du « plus jamais ça » en post-WWII et aux valeurs de la croyance chrétienne. Or aujourd’hui, cette Europe profondément chamboulée est chrétienne pour moins de la moitié de ses populations (sans tenir compte des cultures importées).

    A preuve : ce que les citoyens exigent de plus en plus consiste en une protection identitaire (soit une observation sociologique qui n’est pas propre à la seule U.E. !).

    A côté des trois institutions existent d’autres largement ignorées du grand public : p.ex. l’Europe des REGIONS (plus de 300 en U.E. élargie 27+ , si on y regarde de près). Ajoutez le CES (son Comité Economique et Social), comité largement sujet à un lobbying par les activistes de la CES (Confédérations Européenne des Syndicats !!!)
    .
    L’U.E. contemporaine n’a pas tenu – pas respecté – ses promesses de bien-être large, sinon en subordonnant les uns aux autres et à elle-même : l’hydre à N têtes via le recours massif à des aides & subsides incontrôlés, doublées de législations coercitives, contraignantes, soit l’inverse de la liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes ! Le contre-exemple majeur en est ce cirque de l’ONU aux innombrables filiales et des activismes souterrains qui en construisent l’effritement progressif au profit des plus insidieux !

    L’U.E. mériterait une remise à plat, une adaptation au monde actuel et une vision intelligente qu’elle n’a JAMAIS su élaborer. Et pour cause : ce magma bureaucratique sert à nourrir trop de bouches fonctionnarisées, chacune baignées dans l’auto-complaisance. Peu réceptives aux critiques fusant pourtant de sa base citoyenne (cfr. referendum). Eminences aveuglées par les dogmes dominants (dressez-en donc une liste des thèmes et des personnages-clés)?

    Face aux enjeux et défis du futur, l’U.E. a besoin de pragmatisme, de se dégager d’une gangue législative enflée jusqu’à l’extrême. Approfondissement ? Un blabla entretenu depuis plus de 20 ans sans que les dirigeants élus aient l’idée de savoir/vouloir comment le réaliser autrement que par leurs batailles entre juristes peu compétents pour en devenir des VISIONNAIRES ALTRUISTES.
    Et nos médias largement subsidiés et obséquieux sont vite les complices de toutes les distorsions mentales instillées par des petites doses quotidiennes … depuis fort longtemps.

    Suis-je critique ? Certes oui, par un sens aigu de l’observation de nos réalités. Puis par la connaissance dont beaucoup manquent de ce que signifie la DYNAMIQUE DES ORGANISATIONS, particulièrement celles publiques (l’U.E. en tête du peloton). Débarrassons-nous des slogans lénifiants, vivons avec les réalités de nos sociétés !

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