Corrida: décryptage de la décision du conseil constitutionnel

Avec la décision sur la corrida, la loi est utilisée pour donner satisfaction à une revendication identitaire, pour ne pas dire communautaire.

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0
Picasso, le taureau agonisant (1934)

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Corrida: décryptage de la décision du conseil constitutionnel

Publié le 24 septembre 2012
- A +

Avec la décision sur la corrida, la loi est utilisée pour donner satisfaction à une revendication identitaire, pour ne pas dire communautaire. 

Par Roseline Letteron.

Picasso, le taureau agonisant (1934)

La décision rendue sur QPC le 21 septembre 2012 est certainement très décevante pour ceux qui considèrent la corrida comme un spectacle barbare, mais pas inattendue. Les auteurs de la QPC, en l’espèce le Comité radicalement anti-corrida (CRAC), contestaient l’article 521-1 du code pénal. Issu d’une loi du 19 novembre 1963, celui-ci punit les actes de cruauté envers les animaux, cruauté désormais passible d’une peine de deux ans d’emprisonnement et 30 000 € d’amende. Ces dispositions ne sont cependant pas applicables aux courses de taureaux (et aux combats de coqs), lorsqu’une « tradition locale ininterrompue peut être invoquée« . Autrement dit, la loi ne nie pas que la corrida entraine effectivement des actes de cruauté envers les animaux, mais leurs auteurs ne sont pas poursuivis lorsque cette cruauté s’exerce à l’égard des taureaux, entre Nîmes et Arles. Pour satisfaire une « tradition locale », le législateur n’a donc pas hésité à établir une dérogation à la loi pénale, dans le seul but de répondre à une revendication identitaire.

L’avocat des requérants, parmi une série d’arguments reposant sur les sondages défavorables à la corrida ou le fait qu’Afflelou avait renoncé à sponsoriser ces manifestations, a soulevé deux moyens juridiques à l’appui de l’abrogation de cette disposition.

Égalité devant la loi

Le premier, et le plus sérieux, est le non respect du principe d’égalité devant la loi, consacré par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Il est vrai que l’approche identitaire, pour ne pas dire communautaire, de la disposition contestée témoigne d’une volonté de traiter les régions qui pratiquent la corrida d’une manière différente par rapport au reste du territoire. On apprend ainsi qu’un comportement puni pour cruauté dans une région ne l’est pas dans une autre.

Le problème, pour le Conseil constitutionnel, est que le principe d’égalité ne s’oppose pas « le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général« , principe acquis depuis la décision du 16 janvier 1982. Autrement dit, le législateur est compétent pour moduler la mise en œuvre concrète du principe d’égalité, y compris en matière pénale. Il ne s’en prive pas, et on sait que l’égalité devant la loi pénale s’accommode de sanctions différentes, selon l’âge du coupable ou sa qualité de récidiviste, la vulnérabilité de la victime etc.

Cette modulation de l’égalité devant la loi doit cependant répondre à deux conditions, pour être considérée par le Conseil comme conforme à l’article 6 de la Déclaration de 1789. Elle doit être à la fois conforme à l’intérêt général et à la loi qui l’établit.

Dérogations

Sur l’intérêt général d’une telle tolérance envers les zones géographiques qui pratiquent la mise à mort des taureaux, le Conseil affirme seulement que cette restriction ne concerne que quelques régions et ne porte pas atteinte à un droit constitutionnellement garanti. Les animaux ne sont pas titulaires de droit, et le devoir de ne pas se montrer cruel à leur égard n’a qu’une valeur législative. Le Conseil estime en conséquence que l’intérêt général d’une telle dérogation au principe d’égalité devant la loi repose sur l’appréciation du législateur, quand bien même elle serait le résultat d’une action de lobbying des villes et régions pratiquant la tauromachie.

Sur la conformité de cette dérogation à la loi qui l’établit, le Conseil fait observer que les dispositions contestées ne s’appliquent que dans les parties du territoire national où une tradition interrompue de corrida est établie, et pour les seuls actes qui relèvent de cette tradition. Il en déduit donc que cette dérogation est conforme à la loi qui l’établit, puisque celle-ci organise précisément le régime juridique des actes de cruauté envers les animaux. Le Conseil aurait cependant pu en juger différemment, car admettre la mise à mort d’animaux dans une loi dont la finalité est précisément la protection de ces derniers aurait pu lui  sembler incompatible avec cette finalité. Là encore, il a refusé d’intervenir dans ce qui lui apparaît comme relevant du législateur.

La « tradition locale ininterrompue »

Le second moyen soulevé par les requérants réside dans la clarté et la lisibilité de la loi. Il est juste de constater que la notion de « tradition locale ininterrompue » a été interprétée de manière particulièrement laxiste par la jurisprudence. Dans une décision du 7 février 2006, la Cour de cassation saisie d’un contentieux portant sur une demande de dissolution d’une association taurine en Haute Garonne, estime ainsi qu’il appartient aux juges du fond d’apprécier souverainement l’existence de cette « tradition locale ininterrompue« . En l’espèce, celle ci est déduite de l’intérêt porté à la corrida par « un nombre suffisant de personnes« , quand bien même aucune corrida n’a eu lieu à Toulouse depuis 1976. Le 16 septembre 1997, cette même Cour de cassation avait validé un jugement du tribunal correctionnel de Floirac refusant de poursuivre pour cruauté les organisateurs d’une corrida, qui s’était déroulée dans cette ville en 1993, après la reconstruction d’arènes détruites en 1961. Aux yeux du juge, la tradition locale n’est pas interrompue après trente-deux ans d’interruption. La jurisprudence évolue ainsi vers une analyse purement psychologique de cette « tradition locale ». Il suffit qu’une poignée d’amateurs veuille maintenir, voire créer, des spectacles avec mise à mort, pour qu’elle soit considérée comme acquise.

Le Conseil constitutionnel n’est cependant pas compétent pour sanctionner le manque de clarté de la jurisprudence, mais seulement celui de la loi. La décision renvoie ainsi le législateur à sa compétence. C’est à lui qu’il appartient de déclarer que la mise à mort des taureaux est un spectacle barbare. Souvenons nous qu’en juillet 2010, le parlement régional de Catalogne a eu le courage de voter une loi interdisant ce type de spectacle. En France, une proposition de loi déposée par Geneviève Gaillard (PS)  devant l’Assemblée Nationale en juillet 2011, n’a toujours pas été débattue.

Derrière la question de la corrida, et du traitement cruel infligé à des animaux, se pose un problème grave. Car la loi est utilisée pour donner satisfaction à une revendication identitaire, pour ne pas dire communautaire. La loi n’est plus l’expression de la volonté générale, mais celle des différentes communautés et des lobbies qui les représentent.

Sur le web

Voir les commentaires (12)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (12)
  • Ce qui est barbare, c’est que la viande est foutue après leur petite sauterie.
    Si c’est pas malheureux…

  • « Car la loi est utilisée pour donner satisfaction à une revendication identitaire, pour ne pas dire communautaire. La loi n’est plus l’expression de la volonté générale, mais celle des différentes communautés et des lobbies qui les représentent. »
    Mon dieu comment peut-on encore écrire des choses pareilles !
    Depuis quand la loi, règle générale et impersonnelle, aurait-elle pour fonction d’écraser les minorités et d’uniformiser la vie, la culture, et les racines des citoyens dans leur diversité ?
    La loi démocratique est-elle nécessairement celle qui pourfend les particularismes, lesquels sont réduits, par un raccourci saisissant de mme Letteron, à de vulgaires lobbies.
    Pardon, mais s’est une vision très singulière du droit et de la démocratie, qui frise le contresens.

  • En application de ce même principe il faudrait donc totalement interdire :
    La chasse
    La pêche
    L’entomologie, les collections de papillons ou d’autres insectes
    La taxidermie
    La viande hallal
    La Viande Casher.
    Le port du foulard ou de la Kipa.
    Etc etc etc etc…

    Ah, oui aussi, il faudrait interdire l’exception culturelle et cultuelle. Et ainsi obliger l’Alsace Lorraine à adopter exactement les mêmes lois que le reste de la France. Puisque la loi de séparation de l’église et de l’état n’était pas applicable en 1905 dans ces régions qui étaient allemandes.

    Je n’aime pas la corrida, mais c’est belle et bien une tradition. Et je rappelle à l’auteur qu’au nom de la Tradition, l’Europe impose de sauvegarder les « Langues Régionales ». Qui ne sont en fait qu’une demande de petits groupes fortement « identitaire et communautaire ». Hors sauvegarder une « Langue Régionale » passe aussi par sauvegarder la culture dans laquelle elle est apparue !!!

  • Les juristes oublie vraiment d’être libéral parfois, à trop croire en la loi (de la république) il en oublie toute réflexion sur le droit.

  • « La corrida est intolérable, un taureau qui vit 5 ans quasi libre dans la nature pour mourir en combattant, très mauvais exemple, à vite renvoyer au néant cathare animalier, pas de corrida plus d’existence impie de taureau … Le benêt est beaucoup plus à l’image du veau qu’il mange, 5 mois dans du béton Duflot, le noir complet, puis égorgé à vif par un barbu. Magnifique vie de veau-benêt, encensé par nos bobos bien-pensants ! D’ailleurs renvoyons aussi les diaboliques lions, impalas et crocodiles au néant, en y Duflot-bétonnant des Carrefours … pour les caddies des pieux sexes décérébrés, remplis de sachets de purée d’insectes, leur future pâtée quand ils seront 15 milliards d’esclaves en batterie. Et n’oublions pas que le toréro est courageux, inconcevable … » Gauleiter de l’Empire

  • La loi n’a jamais été que la formalisation coercitive de revendications d’intérêts privés, et la « volonté générale » n’est qu’un déguisement de la tyrannie d’une majorité électorale ( et relative).

    • Alors comme ça…

      « La loi n’est plus l’expression de la volonté générale, mais celle des différentes communautés et des lobbies qui les représentent. »

      Une loi doit être l’expression de la volonté générale !?

      C’est nouveau ça !

      Parce que 90% des gens estiment qu’il faut imposer les gens à plus de 50%, imposer les gens à 50% est juste et doit être Loi…

      Comme l’a dit Montesquieu… » Quelque chose n’est pas juste parce qu’il est loi mais ce qui est juste doit être Loi ».

      Les lois reflètent les désirs de politiciens, qui eux, ne reflètent PAS forcément les désirs des citoyens ! Ce genre de chose est habituel.

  • Je veux bien croire et penser que ce qui est injuste est le fait que la corrida soit autorisée pour certains et pas pour d’autres, au lieu d’être autorisée pour tous.
    Mais que cette dame ne vienne pas nous dicter comment on doit vivre, quelles traditions on doit « préserver » et quelles traditions ont doit abandonner, elle sera bien reçue! L’État n’a pas à venir mettre son nez la-dedans, les traditions sont et doivent rester le faits d’individus et non l’expression de la volonté étatique!

  • Je partage tout à fait les opinions exprimées par les commentateurs.
    L’uniformisation est une pathologie mentale!
    J’ajouterais que la proposition de Loi citée en référence ( par geneviève gaillard) est l’expression même de la stupidité prohibitioniste la plus affirmée.
    Evidemment, la zélatrice du bien et de l’harmonie prétend, comme tote bonne collectiviste, « préserver » les enfants d’influences nocives etc, etc..

    Ce qu’elle feint d’ignorer ( ou peut être même l’ignore t’elle tout simplement) c’est que le goût du sang et de la cruauté sont des manifestation de la pusion de mort, tout aussi instinctive et adaptative que l’Eros.
    Mieux encore, il n’échappera pas aux gens réfléchis que la corrida est un spectacle proprement religieux ( y compris pour les athées afficionados dont je suis), et s’inscrit dans les représentations inconscientes archaïques les plus puissantes qui soient: le fils parvenant à vaincre le père primitif et à lui ravir sa puissance.
    La corrida est donc le dernier substitut vivant et ritualisé d’une lutte éternelle et consubstantielle au psychisme masculin.
    J’oserais même dire  » Oedipe et Torero, même combat »
    Le crime serait l’interdiction de cette forme ritualisée de pulsions indéracinables et constitutives, à la base, de ce qui deviendra le « droit »
    (Je renvoie l’auteure à « totem et tabou »)

    Au delà même de l’outrecuidance de l’état à vouloir légiférer-normaliser, il ya plus grave: la volonté systématique d’écraser toute volonté et pulsions individuelles, au nom de la dictature du bien et de l’harmonie.
    le résultat est tout à fait prédictible: réprimez l’archaïque et il vous reviendra dans la figure au centuple ( le taux des suicides, perversions, alcoolisations etc. dans les pays nordiques tellement « propres et égalitaires » n’a pas d’autres causes que ce que l’on essaie de nous implémenter).

  • En admettant l’argument de l’égalité devant la loi, et en l’absence de protection constitutionnel des animaux, la solution juridique serait d’autoriser la corrida partout, et non l’inverse (la liberté est la règle, l’interdiction l’exception : c’est donc la règle la moins restrictive qui doit primer).

  • Les commentaires sont fermés.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Commençons par un constat brutal mais nécessaire : l’édifice légal et constitutionnel de notre pays est contesté de part et d’autre pour des raisons différentes. Le Conseil constitutionnel en est le plus récent exemple mais, de plus en plus fréquemment, c’est la Cinquième République qui est mise en cause en tant que telle. Un système légal s’effondre, il en appelle un autre, qui sera ou vraiment libéral ou fasciste. L’entre-deux dans lequel nous nous trouvons depuis 1958, ce semi-libéralisme, mettons, est caduc : les signes en sont multiples.... Poursuivre la lecture

Avec le retour de la volonté présidentielle d’inscrire l’IVG dans le texte fondamental qu’est la Constitution du 4 octobre 1958, certaines critiques sont revenues sur le devant de la scène, notamment venant des conservateurs, qu’ils soient juristes ou non.

Sur Contrepoints, on a ainsi pu lire Laurent Sailly, à deux reprises, critiquer cette constitutionnalisation en la qualifiant de « dangereuse et inutile » ou plus récemment, Guillaume Drago dans le « Blog du Club des juristes », critiquer ce projet, reprenant pour ce dernier une publ... Poursuivre la lecture

Première partie de cette série ici.

 

Le requérant de la seconde Question proritaire de constitutionnalité soutient comme argument que les cours criminelles départementales violent un « principe de valeur constitutionnelle » selon lequel les jurys sont compétents pour les crimes de droit commun.

Contrairement aux Principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, les principes à valeur constitutionnelle sont très utilisés par le Conseil constitutionnel qui n’hésite pas en découvrir de nouveau, et à modif... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles