Y a-t-il un droit de mentir ? B. Constant vs E. Kant

La question classique « est-il permis de mentir afin de sauver la vie d’un ami ? » reçut un éclairage politique dans la controverse qui opposa Constant et Kant.

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Y a-t-il un droit de mentir ? B. Constant vs E. Kant

Publié le 6 août 2012
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Est-il permis de mentir afin de sauver la vie d’un ami ? Cette question classique de la philosophie morale reçoit un éclairage politique dans la controverse qui opposa Benjamin Constant (1767-1830), homme politique et écrivain français, et le philosophe allemand Emmanuel Kant (1724-1804).

Par Damien Theillier.

Les éditions Mille et une nuits ont eu la bonne idée de réunir dans un court volume (Le droit de mentir, Emmanuel Kant, Benjamin Constant, Mille et une nuits, La petite collection) tous les textes de Kant et Constant relatifs à la question du mensonge en une anthologie chronologique qui permet de saisir tous les enjeux de la polémique.

Cette polémique fut engagée par Constant dans son ouvrage de 1797, Des réactions politiques, sorte de méditation critique au lendemain de la Terreur. Constant y dénonce l’arbitraire de la prohibition inconditionnée du mensonge et se réfère à la thèse « d’un philosophe allemand qui va jusqu’à prétendre qu’envers des assassins qui vous demanderaient si votre ami qu’ils poursuivent n’est pas réfugié dans votre maison, le mensonge serait un crime. »

En effet, pour Kant, la morale de l’impératif catégorique a pour conséquence l’obligation de dire la vérité en toutes circonstances. L’impératif catégorique commande d’agir selon une maxime qui soit universalisable sans contradiction. Or celui qui ment ne peut admettre le mensonge comme une règle universelle. En effet le mensonge présuppose la crédulité. Or si tout le monde mentait, le mensonge se détruirait de lui-même puisque personne ne croirait personne. Pour faire son devoir, il n’est donc pas nécessaire de prendre en compte les conséquences de l’acte.

À l’opposé, Constant objecte que ce principe de dire la vérité, « s’il était pris d’une manière absolue et isolée, rendrait toute société impossible ». Dois-je par exemple dire la vérité à des assassins qui me demandent si mon ami qu’ils poursuivent n’est pas réfugié chez moi ?

Constant citait cet exemple pour illustrer l’idée qu’un principe moral abstrait, par exemple le devoir de dire la vérité, ne doit pas être séparé du « principe intermédiaire » qui en guide l’application. Il convient certes d’avoir des principes, mais il faut distinguer les principes généraux et la nécessaire adaptation à une situation précise. Ainsi certaines personnes ne méritent pas qu’on leur fasse l’honneur de leur dire la vérité.

page de constantVoici comment Constant argumente :

« Dire la vérité est un devoir. Qu’est-ce qu’un devoir ? L’idée de devoir est inséparable de celle de droits : un devoir est ce qui, dans un être, correspond aux droits d’un autre. Là où il n’y a pas de droits, il n’y a pas de devoirs. Dire la vérité n’est donc un devoir qu’envers ceux qui ont droit à la vérité. Or nul homme n’a droit à la vérité qui nuit à autrui. »

Lisant cela dans un recueil intitulé La France en 1797, Kant se reconnaît dans l’exemple, sans pouvoir cependant se souvenir où il a dit cela (c’était dans les Fondements de la Métaphysique des Mœurs, paru en 1785). Il rapporte l’argument de Constant, et entreprend de le réfuter en un opuscule de 6 pages (Sur un prétendu droit de mentir par humanité, dans Théorie et Pratique. Droit de mentir, tr. L. Guillermit, Vrin, 1967).

Dans sa réponse, Kant maintient que le mensonge est absolument contraire au devoir de l’homme envers lui-même. Sans la vérité comme devoir absolu, on ne pourrait même pas envisager de société possible puisqu’on ne pourrait plus accorder à aucun contrat la moindre valeur. À commencer par le contrat social. Kant cherche à démontrer que l’usage du mensonge ne se justifie en aucune circonstance, ni au niveau des principes ni en termes d’efficacité. Y compris dans une situation d’urgence absolue. Si des assassins me demandent où est la victime qu’ils recherchent et qui se trouve réfugiée dans ma maison, je n’ai pas le droit de leur mentir, réaffirme-t-il.

Dans sa correspondance, Kant précise qu’il n’est en revanche pas nécessaire de dévoiler la vérité tout entière. La réserve s’impose parfois, sans que cela nuise à la sincérité de ce qui est dit.

Mais dans sa façon de refuser toute exception à cette règle, quelles que soient les circonstances singulières, il semble bien que Kant passe à coté de la réalité concrète de l’oppression. La vérité n’est pas toujours due car elle peut être instrumentalisée et elle-même mise au service d’une fin malhonnête. Saint Thomas avait abordé cette question à propos du droit de prendre une pomme dans un jardin en cas de nécessité vitale. Il expliquait que, dans ce cas extrême de survie, il ne s’agissait plus d’un vol à proprement parler.

En complément, lire aussi :
Boituzat Fr., Un droit de mentir ? (Constant ou Kant), Coll. « Philosophies », Puf, 1993
Écrits politiques de Benjamin Constant, textes rassemblés et présentés par Marcel Gauchet, Gallimard, Poche, 870 pages, 1997

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Article initialement publié sur 24HGold , et repris depuis le site de l’auteur.

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  • Quelques remarques:

    Le droit naturel donne droit à la liberté d’expression et celle-ci implique que l’on soit libre de mentir ou de dire la vérité… Cela répond à la question du titre.

    Ce qui veut dire que ni la position de Constant, ni celle de Kant ne va à l’encontre du droit naturel. D’ailleurs, en définissant leur vision de la vérité comme un « devoir », ils font clairement référence à des valeurs morales, et par conséquent à leurs croyances qui pourraient éventuellement se transposer en un droit positif, mais certainement pas un droit naturel.

    Le cas de la victime cachée dans la maison est mal posé, car il part du principe que le mensonge serait la meilleure manière d’aider la victime. Or, ce n’est pas du tout certain, une personne qui n’est pas habituée à mentir risque surtout de se trahir, et son mensonge sonnera comme un aveu. Alors que parfois, lorsque l’autre attend un mensonge, il suffit de déballer la stricte vérité pour ne pas être cru… 

    Enfin, je ne suis pas d’accord avec Saint Thomas d’Aquin (différent de Saint Thomas): un vol se définit par le fait de dérober un bien à quelqu’un et non pas par rapport aux raisons de cet acte. Une personne qui vole une pomme pour sauver sa vie est bien un voleur, mais s’il s’agissait de mes pommes, j’aurais plutôt tendance à lui en offrir une dizaine d’autres, qu’à appeler la police.

    •  » Le droit naturel donne droit à la liberté d’expression et celle-ci implique que l’on soit libre de mentir ou de dire la vérité « .
      Comme vous allez vite en besogne, la liberté d’expression n’est pas la « liberté » de mentir. Le fait de pouvoir mentir ne fait pas de cette capacité ( ou plutôt cette incapacité) une liberté.
      Proférer un mensonge n’est pas une expression de la liberté et n’en découle aucunement. On pourrait discuter du droit de se taire, c’est à dire du droit naturel de refuser de répondre à une question, sans enfreindre un impératif moral. Car la connaissance de la vérité, et sa possession n’implique nullement que l’on doive la communiquer à la moindre injonction. Nous pouvons être tenus de dire la vérité sans que nous ne soyons obligés de répondre à toutes les questions qui nous sont posées. Le devoir de vérité, est absolu dès lors que nous parlons, ce que nous disons doit être vrai, mais la décision de répondre ou non doit être une liberté essentielle. Nous sommes d’accord avec vous par contre sur votre réfutation de Thomas d’Aquin, sur la question du vol. En citant cet énorme théologien, cela permet de faire un détour par les écritures. Et je crois que Kant lui-même n’aurait pas osé soutenir que le Christ ait pu faillir face aux impératifs de vérité. Ne vous trompez pas sur ce que je dis ici, nous sommes d’accord que la philosophie de Kant est un humanisme, car Kant part de l’homme pour arriver à l’homme, ce qui par ailleurs ne remets pas en cause sa foi.. Il est toutefois un exemple extrêmement intéressant cité dans les Évangiles, que les commentateurs ont appelé les questions captieuses. Interrogé sur l’origine de l’Autorité qui lui permettait d’accomplir ce qu’il accomplissait, le Christ demande à ses contradicteurs,  » Et vous de qui dites vous que Jean le Baptiste tient son autorité. », ses interlocuteurs voyant venir le piège, car la foule tenait Jean baptiste pour un prophète et eux non, répondent qu’ils ne savent pas, alors le Christ leur réponds en substance : « Hé bien moi non plus je ne vous dirais pas par quelle autorité je fais ces choses. ».
      Ainsi, si l’on peut accorder quelque petit crédit au Christ sur les questions de Morale et d’Ethique, il nous a montré par là même que l’obligation de dire toujours la vérité n’est pas l’obligation de répondre à toutes les questions. Et il s’agit d’une liberté qui n’est pas celle de mentir. D’une manière générale, le comportement du Christ, parlant en parabole en public et dévoilant le sens caché à ses disciples dans l’intimité en dit long l’usage qu’il fit de cette liberté.
      Dans un univers Kantien, où tous dirait la vérité et tout le temps, cette situation celle d’un homme poursuivie par des assassins et qui doive se cacher, pourrait-elle se poser ?
      Ce débat pose en substance non pas la question du droit au mensonge, ni seulement celle d’une hiérarchisation des règles qui ne peut s’entendre dans le cadre d’un impératif catégorique, mais plutôt celle de la liberté de se taire, du droit au silence. En toutes circonstances, il faut de l’intelligence pour dire la vérité, même quand on se tait. Beaucoup de choses en effet peuvent se cacher derrière les vérités que l’on énonce : .les vérités que l’on souhaite cacher.
      B Constant et E. Kant seraient certainement surpris et ébahis devant l’habilité quotidienne des hommes politiques modernes à ne pas répondre aux questions, sans pour autant mentir, tout en donnant l’impression d’y avoir répondu, et ces derniers savent souvent sauver leurs amis des situations les plus périlleuses.

      • @ Lousman

         » la liberté d’expression n’est pas la « liberté » de mentir.  »

        Hé si… C’est une pure question de définition de termes:

        Le terme « exprimer » signifie par définition « rendre sa pensée ».

        La « liberté d’expression » signifie donc par définition « être libre de rendre sa pensée ».

        Le fait d' »être libre de rendre sa pensée » signifie par définition tant le fait d’avoir le droit de parler ou de se taire, que le fait d’avoir le droit d’annoncer toutes ses pensées, mêmes celles qui sont immorales, iniques et mensongères.

        « Dans un univers Kantien, où tous dirait la vérité et tout le temps, cette situation celle d’un homme poursuivie par des assassins et qui doive se cacher, pourrait-elle se poser ? »

        C’est tout le problème de Kant: celui-ci raisonne de manière utopique, et lorsque cela est transposé dans la réalité, cela donne lieu à des incohérences fâcheuses. Car dans le cas de l’assassin, la chose la plus juste à faire est bien de sauver son ami. Pour cela, si le mensonge est la seule chose qui nous vienne à l’esprit, alors je rejoins Constant en disant qu’il vaut mieux mentir.

        Cependant, mentir n’est que la solution de facilité pour cacher quelque chose, et comme toute solution de facilité, ce n’est pas la meilleure. Il vaut bien mieux réussir à cacher quelque chose sans mentir, cela est plus difficile, mais bien plus efficace.

        Par exemple dans le cas des assassins: si je réponds « entrez, fouillez, la maison, prenez votre temps, bien sûr que mon ami est ici et qu’il se cache… » et que j’y mets de l’empressement et un certain sourire, ils vont se dire que mon ami a fui depuis longtemps, et que je cherche à leur faire perdre du temps… Et il y a plus de chances qu’ils ne fouillent pas la maison que si je leur dis qu’il n’est pas ici en détournant les yeux… 

        • @ Aloygah
          Cher Aloygah,
          Je maintiens absolument cette affirmation :  » la liberté d’expression n’est pas la « liberté » de mentir. « . Nous ne pouvons dans le cadre du présent débat rendre sérieusement le sens de la « Liberté d’expression » en nous limitant à une « pure et simple » définition lexicale comme vous souhaitez le faire ici. Ce concept de liberté d’expression, a été densément discuté et chargé à la fois d’un point de vue philosophique, théologique, et juridique depuis des siècles par des esprits auxquels nous pourrions nous référer, ce qui nous éviterait les simplissimes des « pures questions de définition ». Sur la question de la liberté et du mensonge, je pense entre autres à Saint Augustin, qui nous parle avec génie du mensonge et de la capacité de mentir non comme une liberté mais comme une servitude, et je pense à Kierkegaard sur la liberté et la liberté d’expression. Il semble évident que vous faites une vieille, habituelle et terrible confusion, s’agissant de l’Homme et je pourrais dire l’homme, qui est celle de confondre capacité et liberté ! Ni d’un point de vue anthropologique, ni même d’un point de vue sociologique, ce qui fonde les capacités de l’homme, n’est pas en substance ce qui fonde sa liberté. Si nous pouvons nous accorder sur l’idée suivante à savoir que l’homme peut être considéré comme une tentative d’élévation permanente au-dessus de son animalité et que l’humanité est cette élévation même, alors la liberté humaine ne peut être celle : « d’annoncer toutes ses pensées, mêmes celles qui sont immorales, iniques et mensongères ». Il ne s’agit point là de liberté mais plutôt de servitude à l’animalité. D’ailleurs plus près de nous, les spécialistes des questions touchant à la « Volonté », sujet qui est indissociable de la question de la liberté, sont quasi unanimes à déclarer qu’il n’y a de volonté que celle du bien, et que la volonté ne s’exerce pleinement que quand il s’agit de s’élever au dessus, des tensions naturelles et animales du désir, de la peur, en vue d’un objectif moralement acceptable. Mentir ne fait pas parti des objectifs moralement acceptable, en dépit du fait que vouloir sauver son ami des mains d’assassins en constitue un parfait exemple. Dans un autre registre, et toujours sur la liberté d’expression, et cette fois non d’un point de vue anthropologique, mais cette fois-ci sociologique, vous savez comme moi, que de l’acception de la liberté d’expression ne découle aucunement une conception, où tout peut être dit et exprimé dans le corps social, et que cette liberté d’expression ne comprends pas forcément la liberté de se taire ! Ce n’est d’ailleurs que très récemment que notre Droit a partiellement intégré cette notion. Et disons enfin de manière triviale, que le fait que vous ayez la capacité de tuer et de porter atteinte à l’intégrité des personnes, cela n’en fait pas pour autant pour vous une liberté de tuer et de blesser. Et j’irais jusqu’à dire que le fait d’infliger par exemple des réponses systématiquement cinglantes et blessantes à ses interlocuteurs, n’est pas non plus le signe d’une liberté mais de la servitude d’un esprit à ses bas instincts, à son animalité. Ce n’est pas votre cas bien sûr, mais il me semble intéressant de pousser jusque là, sur la question de la liberté.
          Cela étant dit, je crois que nous nous comprenons et rejoignons ne serait-ce que partiellement car vous avez parfaitement saisi le sens de mon interrogation sur l’Univers Kantien. Toutefois, il me semble que l’on ne puisse accuser Kant de raisonner de manière utopique, ce n’est pas son raisonnement qui est utopique, Kant bien tente bien au contraire de fonder en Morale en partant de l’homme, et sur bien des points il réussit assez brillamment à éclairer nos comportements et certains de nos relativismes qui frisent le non-sens, on pourrait parler à la limite d’idéalisme Kantien. La lumière Kantienne n’est pas à rejeter d’un bloc, au nom d’une soi-disant vision utopique. Il est toujours très important de rappeler qu’en partant de l’homme ce n’est pas un type de société qu’il essaye d’établir, et sa philosophie n’est pas un sociologisme mais plutôt un humanisme en ce sens que c’est l’homme qu’il veut libérer. C’est donc par voie de conséquence que le contrat social y est naturellement abordé. Il est celui qui parle des Lumières comme « sortie de l’homme de sa minorité dont il est lui-même responsable. ». Et c’est la Raison qu’il invoque, son but étant de redonner à l’homme sa liberté à savoir sa capacité de se servir de son entendement sans l’aide de quiconque, incapacité qui est due non à un défaut de l’entendement mais à un défaut de la Volonté : manque de courage et de décision. C’est la liberté de l’homme qu’il vise, même dans le cadre de l’impératif catégorique.

          Enfin, vous dîtes « Pour cela, si le mensonge est la seule chose qui nous vienne à l’esprit, alors je rejoins Constant en disant qu’il vaut mieux mentir. », vous conviendrez Cher Aloygah, que l’argument manque terriblement de consistance. Il est inutile de discuter si c’est pour convenir que les solutions de facilité sont celles qui sont éthiquement et moralement juste, car pour vous la fin semble justifier les moyens, même les plus immédiats ! Ce faisant ne vous trompez pas, vous ne rejoignez pas B. Constant. S’élever maladroitement contre l’obligation aveugle de la toute vérité en tous lieux et à tous les niveaux, n’est pas faire l’apologie du mensonge et de la facilité. C’est un vrai problème que pose Constant, avec un mauvais exemple très polémique qui conduit à une réponse à côté de la cible de E. Kant.

          Je maintiens donc, que le problème peut trouver sa solution en maintenant l’impératif catégorique, de vérité, qui n’est pas contraire au droit de se taire, ou de ne pas répondre aux questions posées en considération des enjeux. Cela est affaire d’intelligence, d’intégrité et non de mensonges et de facilités.

          • @ Lousman

            La définition que j’ai donnée de la liberté d’expression s’inscrit dans le cadre du droit naturel, qui est la base du libéralisme et qui va à l’encontre de nombreuses philosophies en étant effectivement bien moins restrictive, puisqu’elle tolère le mensonge. Après vous n’êtes pas obligé d’adhérer au jusnaturalisme.

            Je suis d’accord avec votre vision du mensonge en tant que servitude, mais cela n’empêche pas que le droit naturel l’autorise… D’ailleurs, ce n’est pas parce que j’ai ce droit naturel, que j’en fais usage et vais en prôner l’usage. On pourrait en dire autant de la cigarette, si cette analogie est plus explicite pour vous: le droit naturel m’autorise à fumer, quand bien même cela soit nocif, ce qui n’implique pas que je fume et vais prôner la cigarette.

            On pourrait pousser assez loin la notion de liberté, mais ce n’est pas tant le sujet, je m’abstiendrai donc là-dessus. De même que sur Kant qui est loin d’être dans mon estime.

            Enfin, pour revenir à nos assassins, il ne s’agissait pas d’un argument de ma part, mais d’une prise de position morale par rapport à une situation théorique qui se présenterait. Je ne suis pas utilitariste, puisque je désapprouve en tous les cas le mensonge. Mais ma position peut se résumer à cela: je choisirai mes amis parmi ceux qui sont prêts à mentir pour me sauver plutôt que ceux qui vont me trahir, autrement dit, plutôt un Constant, qu’un Kant.

            Maintenant, cela n’empêche pas que je vous rejoigne sur la conclusion: l’idéal à mes yeux est également de réussir à sauver la personne sans mentir.

        • Ils vont peut-être aussi se dire que vous vous foutez de leur gueule et vous coller une balle dans la tête.

          • @ Moi

            Il s’agit d’avoir un sourire accueillant, pas un sourire de moquerie.

            Et le risque est le même en cas de mensonge: s’ils ne croient pas le mensonge, fouillent la maison et trouvent l’ami, pourquoi le menteur serait-il épargné?

  • Paradoxalement, en fait, je ne suis pas satisfait de la réponse de Kant ( http://fr.wikisource.org/wiki/D%E2%80%99un_pr%C3%A9tendu_droit_de_mentir_par_humanit%C3%A9 ) , même s’il dit :  » Celui donc qui ment, quelque généreuse que puisse être son intention, doit, même devant le tribunal civil, encourir la responsabilité de son mensonge et porter la peine des conséquences, si imprévues qu’elles puissent être.  »

    Car pour lui dire la vérité est un devoir par axiome. De ce fait, les nuisances qui résultent de l’application de ce principe ne sont pas de ma faute, mais de celle du hasard ( genre assassin devant la porte ) et ne peuvent pas m’être reprochée, tandis qu’à l’inverse, le mensonge constituant un manquement à mon devoir envers tous, toutes les conséquences négatives résultant de ce mensonge peuvent m’être reprochées.

    Je préfère ma version. Kant décrète que dire la vérité ne peut jamais être reproché à celui qui le fait, quelles que soient les relations de causalités qu’on puisse imaginer à partir de cette action, car ce devoir est selon lui supérieur par axiome, mais ça ne tient pas. Ce devoir doit forcément être enchaîné à celui de ne pas alimenter ou laisser se dérouler une chaîne de causalité nuisible à autrui. D’autant plus que Kant dit: « La véracité dans les déclarations que l’on ne peut éviter est le devoir formel de l’homme envers chacun (1b), quelque grave inconvénient qu’il en puisse résulter pour lui ou pour un autre ». Il faut être cohérent …

    Enfin, peut-être est-ce dit ainsi dans un autre de ses textes. Je fais avec ce que j’ai sous la main.

  • Si on cherche à résoudre ce problème dans un monde idéal où la législation sur les armes serait beaucoup plus souple. Le problème ne serait pas de mentir ou non aux assassins mais d’armer et défendre la victime. Dans l’idéal Kant à parfaitement raison.

    Dans la réalité, l’état des choses fait que le mensonge reste bien souvent la seule arme des individus pour résister à l’oppression. Et on peut difficilement considérer ce genre de mensonge comme immoral si c’était le seul moyen d’épargner la vie d’un homme.

    • @ facebook_philippe.laurence

      Tout dépend la morale que l’on a. Par rapport à ma morale, mentir est mauvais en tous les cas.

      La seule solution morale au problème de l’assassin est de réussir à ne pas mentir tout en cachant le fait que l’ami soit ici.

      La solution de mentir aux assassins est immorale, mais elle est de loin préférable à celle de leur dire la vérité sans chercher à cacher son ami. Car dans ce cas, non seulement, on a livré un innocent, mais en plus, on a quand même menti à quelqu’un, puisqu’on a fait croire à son ami qu’il pouvait avoir confiance en nous.

  • Toute parole n’est pas un contrat… Renier un contrat n’est pas mentir mais passible des tribunaux… Dans l’exemple de l’ami qui se cache d’oppresseurs, et si l’ami nous a demandé de ne pas le trahir et que nous lui avons dit de ne pas le dire, nous nous trouvons en face d’une sacré contradiction

  • @ FabriceM

    Si l’assassin en question est l’État, je n’ai pas les moyens de le mettre HS ou de demander de l’aide.

  • Je propose de poser la question d’une manière différente.

    Doit-on apporter son concours, de manière directe ou indirecte, à quelqu’un qui se propose de violer l’impératif Kantien?

    Poser la question c’est y répondre, car en aidant quelqu’un, de manière volontaire, à violer l’impératif Kantien, on le viole aussi sois-même.

    Si tout le monde aide volontairement ceux qui cherchent à violer l’impératif Kantien, il n’y a pas de société possible non plus.

    « Par exemple dans le cas des assassins: si je réponds « entrez, fouillez, la maison, prenez votre temps, bien sûr que mon ami est ici et qu’il se cache… » et que j’y mets de l’empressement et un certain sourire, ils vont se dire que mon ami a fui depuis longtemps, et que je cherche à leur faire perdre du temps… »

    Ça ne marche pas non plus. Cela revient à induire en erreur, ce qui est une autre forme de mensonge. De même, refuser de répondre est encore une autre forme de mensonge.

    Quelles que soient ses qualités par ailleurs, je pense que sur ce coup-là, la position de Kant est intenable.

    • @ Moi

      « Mentir » signifie littéralement « affirmer pour vrai ce que l’on sait être faux ».

      Si l’on induit en erreur sans affirmer pour vrai ce que l’on sait être faux, ou que l’on refuse de répondre, on ne ment pas, par définition, on ne fait tout au plus que dissimuler la vérité.

      Vous pouvez ensuite considérer que la dissimulation de la vérité est immorale, mais je ne vous suivrai certainement pas dans cette voie.

      Pour ma part, autant je condamne le mensonge, autant je considère que la dissimulation de la vérité peut être moralement juste, notamment dans les cas où elle peut sauver une vie, épargner à quelqu’un des souffrances inutiles, ou ne pas faire porter à quelqu’un un fardeau qui ne lui servirait à rien.

      • Pourtant, si tout le monde dissimule la vérité, il n’y a plus de société possible, de la même manière que pour le mensonge. Votre position, comme celle de Kant, sur ce sujet est incohérente.

        Votre argument concernant la dissimulation de la vérité est applicable tel quel pour le mensonge.

        Si mentir est immoral par essence, dissimuler la vérité l’est tout autant. Et si il est acceptable de dissimuler la vérité dans certaines circonstances, alors mentir l’est aussi, dans les mêmes circonstances.

        La cohérence suppose de condamner l’un et l’autre, ou bien aucun des deux.

        Mais la question n’est pas là. En condamnant de manière inconditionnelle le mensonge, Kant contredit son impératif dans certaines circonstances. Ce qui signifie que sa condamnation n’est pas valides dans ces circonstances au moins.

        • @ Moi

          « Pourtant, si tout le monde dissimule la vérité, il n’y a plus de société possible, de la même manière que pour le mensonge. Votre position, comme celle de Kant, sur ce sujet est incohérente. »

          Je ne prône pas de dissimuler tout le temps la vérité, je prône de ne la dissimuler que si besoin est, ce qui dans la pratique revient à des cas d’exceptions. Cela n’empêchera donc pas la société de tourner.

          Il y a des chrétiens dans les pays musulmans qui dissimulent tous les jours leur foi, pour ne pas être massacrés, cela ne nuit pas au fonctionnement de ces sociétés (bien au contraire).

          « Si mentir est immoral par essence, dissimuler la vérité l’est tout autant. »

          Vous ne pouvez pas les mettre sur le même plan: un mensonge est un moyen, la dissimulation de la vérité est une finalité. Ce n’est pas parce que l’on peut arriver à une finalité par un moyen immoral, que la finalité sera immorale.

          C’est comme si vous disiez que « si voler une voiture est immoral par essence, posséder une voiture l’est tout autant »… La finalité est d’avoir une voiture, les moyens peuvent être soit le vol, soit l’achat, soit le don.

          • @Alyogah,

            Quelque soit l’origine ou la source de votre définition de la liberté d’expression qu’elle provienne du  » droit naturel » ou d’ailleurs, sa conception telle que vous me l’avez présentée est une confusion. Car si la capacité naturel établi le droit, il n’y a plus de droit du tout. Peut on en effet parler de droit si on a droit a tout, et de liberté si on libre de tout, dans ce cas parlons plutôt de licence absolue. Une telle conception du droit n’autorise l’établissement d’aucune norme Éthique, et in fine la Morale devient forcément un « gros mot ».
            A l’évidence la fréquentation de ces concepts vous conduit à corps défendant vers des positions utilitaristes.
            Vous entretenez en plus une confusion quasi permanente entre Éthique et la Morale. Que vous soyez fâché avec Kant, cela peut s’entendre, mais il faut toutefois lui savoir gré de nous avoir rappelé avec brio, que ce qui « Doit se faire » ( Morale) ne peut se déduire de « Ce qui se fait  » ( Éthique).
            Au travers une interrogation Éthique ( que faire) c’est à un problème Morale auquel Constant renvoi Kant, et ce dernier sur ce plan ne se dérobe pas, il faut le reconnaître, même si nous ne sommes absolument pas satisfait de sa réponse.
            Bien à vous.

          • @ Lousman

            Le droit naturel n’est qu’en partie basé sur la capacité naturelle, il tient également compte de la finalité. Il ne donne donc pas droit à tout, il y a des limites. Je vous invite à lire cet article, il vous donnera une définition plus complète, et en plus il reprend brièvement la plupart des points que vous évoquez (morale, éthique, Kant, utilitarisme):

            http://www.wikiberal.org/wiki/Droit_naturel

            Pour ma part, je considère que le droit naturel consiste à établir le droit, non en fonction des conceptions humaines, mais de l’ordre établi par la nature (ou par Dieu, si vous préférez), afin de pouvoir ensuite laisser l’individu libre d’appliquer ses propres valeurs morales pour lui-même.

            Le droit naturel ne s’oppose donc pas à la morale, mais il permet de donner un cadre légal pour permettre à plusieurs morales divergentes de néanmoins cohabiter.

        • @Moi

          Incohérence, Incohérence…

          Vous dites :
           » Pourtant, si tout le monde dissimule la vérité, il n’y a plus de société possible, de la même manière que pour le mensonge. Votre position, comme celle de Kant, sur ce sujet est incohérente.
          Votre argument concernant la dissimulation de la vérité est applicable tel quel pour le mensonge. »

          bien tenté mais :

          1°) Votre prémisse  » si tout le monde dissimule la vérité » est irrationnelle, et l’on ne peut rien déduire d’une assertion irrationnelle.

          2°) Cela dit, on pourrait se passer de la démonstration d’irrationalité de votre prémisse, puisque l’ensemble de votre sentence constitue un joli sophisme. Vous confondez allègrement les catégories du mensonge et de la non révélation de la vérité. Car bien que la structure de votre phrase ne le laisse pas paraître immédiatement, vous jugez non de la chose en soi pour déduire, mais vous inférez avec ce risque toujours présent de l’induction à nous conduire vers de fausse égalité.
          Dire que les mêmes choses produisent les mêmes effets, ne revient aucunement à prétendre que les mêmes effets sont produits par des choses identiques. ( D’un point de vue de la logique, injection ni même surjection n’impliquent pas bijection, il faut l’aller et le retour, à savoir injection et surjection pour une bijection qui permet la relation mono-causale et donc établir la confusion ou l’unicité des choses mises en relation. )

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