La Russie ranime le conflit entre Vilnius et Varsovie

La Russie, poussant le gouvernement lituanien, semble décidée à rallumer le conflit historique entre Pologne et Lituanie où vit une communauté polonaise.

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La Russie ranime le conflit entre Vilnius et Varsovie

Publié le 24 juillet 2012
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La Russie semble décidée à rallumer le conflit historique entre la Pologne et la Lituanie où vit une communauté polonaise, en inspirant le gouvernement lituanien avec des décisions anti-polonaises.

La liquidation d’une partie des écoles polonaises, l’augmentation du nombre de cours obligatoires dispensés en langue lituanienne et les aides de l’État à la colonisation par les Lituaniens des terres où habitent des Polonais depuis des siècles sont les dernières idées mises en oeuvre par le pouvoir lituanien. Auparavant, les indications en polonais avaient été supprimées dans les villages peuplés par des Polonais.

Par une action indolore des autorités en place, les 250.000 personnes représentant la communauté minoritaire polonaise en Lituanie (6,5% de la population) deviennent tout doucement des citoyens de seconde catégorie. Tout porte à croire que la conduite de cette politique anti-polonaise par les Lituaniens trouve son inspiration en Russie.

Diviser pour régner

vilnius lituanieLes rapports entre Varsovie et Vilnius sont déjà passés sous la loupe russe dans les années ’90 quand les deux pays ont commencé à prétendre à l’adhésion à l’OTAN et à l’UE. Au Kremlin, on s’est parfaitement rendu compte que le soutien polonais à la Lituanie et aux autres pays post-soviétiques a une importance capitale. On le savait aussi à Vilnius, c’est pourquoi la minorité polonaise fut correctement traitée par les autorités lituaniennes durant les premières années de négociation pour l’accession.

Mais en 2004, quand la Lituanie est entrée dans l’OTAN et l’UE, la politique envers les Polonais a diamétralement changé. Dès ce moment est apparu un vide pour le jeu politique dont le Kremlin a profité pour ranimer les animosités polono-lituaniennes. Dans ce jeu, la Russie a beaucoup d’atouts. La Lituanie n’a jamais conduit de purification systématique des agents de l’État dans le but de découvrir leurs relations avec les services du KGB et du GRU [Direction générale des renseignements, ndt]. Aujourd’hui, ce n’est même plus possible puisque les Russes ont emporté pratiquement toute la documentation lituanienne sur le KGB. Le problème de la coopération avec les services secrets soviétiques concerne les hommes politiques lituaniens les plus importants et limite la souveraineté de ce pays. Tout cela facilite l’entreprise d’inspiration anti-polonaise organisée par le sommet de l’État lituanien.

Des zones polonaises en Lituanie

Il y a cinq ans, une action signée par le « surveillant » Kremlin fut déclenchée au travers d’une campagne médiatique contre la Carte de Polonais [document attribuant l’appartenance à la nation polonaise, ndt] en Lituanie. Une agence russe a été utilisée pour des activités de désinformation. Le mandat était simple : le citoyen lituanien qui a obtenu une Carte de Polonais a trahi son pays. Des médias lituaniens ont également conduit des campagnes de désinformation. Des journalistes de „Lietuvos rytas” se sont alarmés du fait qu’on peut remarquer dans l’hymne national polonais des tentatives de revanche de Polonais contre Vilnius. Sur le populaire portail internet lituanien Delfi, preuve est faite que la Carte de Polonais est un équivalent du passeport et que son introduction est une tentative de « révision injuste de décisions historiques ».

La plus spectaculaire des actions de cette campagne fut la publication dans les journaux d’une lettre de militants du parti Sajudis aux services secrets. Ils exigèrent une intervention rapide contre… une brigade équestre de l’armée polonaise agissant en Lituanie pour semer le trouble dans la population. Il s’agissait bien entendu de désinformation dans le but de provoquer un sentiment anti-polonais. Ce bobard fut inspiré de la visite d’un membre polonais du club hippique Joker venu pour la reconstruction d’une bataille historique.

Cette campagne fut également soutenue par des artistes, comme le dessinateur lituanien Antanas Rimantas (Šakalys) connu entre autres pour ses dessins présentant des députés polonais au Parlement lituanien comme « agent du gouvernement polonais ». Le thème de la campagne avait à long terme comme objectif de conduire à une réinterprétation de l’histoire polono-lituanienne dans laquelle la Pologne serait devenue le mauvais protagoniste.

L’effet notable fut le renforcement des préjugés anti-polonais. Cela concernait avant tout la génération de Lituaniens éduqués pendant la période soviétique et ne connaissant pas l’histoire polono-lituanienne.

Dépolonisation

Les autorités polonaises mènent depuis quelques années des actions en vue de trouver un compromis avec la Lituanie. Une politique active en la matière a été conduite par feu le président Lech Kaczyński qui s’est rendu à de nombreuses reprises à Vilnius pour s’entretenir de ce sujet. La nécessité d’un compromis fut admise par le président lituanien Valdas Adamkus, lui qui fut instruit dans la tradition politique américaine (il a passé presque 40 ans aux États-Unis). Son successeur Dalia Grybauskaite a une autre manière de voir. Après sa visite du 8 mai 2010, Lech Kaczyński savait que les relations polono-lituanienne entrent dans une période de refroidissement durable. Le jour de sa visite, le Parlement a en effet rejeté un projet de loi permettant aux Polonais de rédiger leur nom dans leur langue. Et ce malgré que 17 ans auparavant, la Lituanie avait promis son accord sur ce point. Il s’agissait là d’une démonstration d’un manque de volonté pour trouver un compromis. Les dernières années montrent que les Lituaniens ont cessé de tenir compte des réactions de Varsovie et qu’ils aiguisent sans cesse leur politique envers la minorité polonaise. Il n’y a plus de place pour le dialogue.

Les relations polono-lituaniennes rappellent de plus en plus les relations entre la Hongrie, la Roumanie et la Slovaquie et la politique de ces derniers envers les minorités hongroises. On peut ouvertement parler d’actes de dépolonisation par les autorités lituaniennes. Ce dont se réjouissent le plus les Russes.

En conclusion

Rappelons-nous que chaque pays voit de manière diamétralement opposée 400 ans d’histoire polono-lituanienne. Ce que les Polonais considèrent comme un succès, à savoir la création d’une fédération de plusieurs nations, les historiens lituaniens la traitent comme une erreur tragique dont la résultante fut la perte de souveraineté et la dénationalisation. La noblesse lituanienne fut polonisée. Durant la période d’annexion [1795 -1918, ndt], Lituaniens et Polonais commencèrent à se dresser comme des rivaux politiques et culturels. Le rejet de la culture polonaise à la fin du 19ème siècle fut à la base d’une nouvelle identité lituanienne. Au début du 20ème siècle, un mouvement national formula l’exigence d’un clivage ethno-politique de la Lituanie et de la Pologne. La fin de la Première Guerre mondiale déboucha sur un processus de création d’un nouvel État lituanien, construit sur base de critères ethniques. Pour cette raison, le gérant dans l’État fut exclusivement la nation lituanienne. La Lituanie, qui pendant la guerre polono-bolchévique de 1920 pris le contrôle de Vilnius, peuplé principalement par des Polonais, n’accepta pas la perte de la ville quelques mois plus tard. Seule une disproportion énorme des forces fit qu’il n’y eut pas de guerre dans la période d’entre-deux-guerres. Dans les années 1945-1990, le conflit connut une accalmie. En accord avec la Constitution lituanienne de 1992, les citoyens de l’État lituanien peuvent être membres de divers groupes ethniques mais les membres de la nation lituanienne sont uniquement des Lituaniens de pure souche. De cette manière, les Polonais vivant en Lituanie sont devenus des citoyens de seconde catégorie.

—-
Article original titré Rosja podsyca konflikt między Wilnem a Warszawą, publié le 17.07.2012 sur nczas.com.
Traduction par Serge pour Contrepoints.

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  • Il aurait été honnête de dire explicitement que cet article était la traduction d’un article polonais.

    Car c’est un joli monument de désinformation ! Quand je vois – par exemple – écrit « La Lituanie, qui pendant la guerre polono-bolchévique de 1920 pris le contrôle de Vilnius, peuplé principalement par des Polonais, n’accepta pas la perte de la ville quelques mois plus tard. », c’est un parfait exemple de réécriture de l’histoire. Vilnius a été capitale d’un Grand-duché de Lituanie multiculturel et multiconfessionnel à partir de 1323 et c’est la Pologne qui a occupé militairement tout l’est de la République de Lituanie, au mépris des injonctions de la SDN, de 1920 à 1939 !

    Ce n’est pas en falsifiant la vérité que l’on fera progresser les relations polono-lituaniennes.

    • « La grandeur d’un métier est peut-être avant tout, d’unir les Hommes »
      Antoine de Saint- Exupéry
      La vie est trop court et le moment du bonheur trop bref , pour prendre au serieux les hommes politiques, des hitoriens, des journalistes…………

    • Je tiens à rappeler que la Lituanie est devenue polonaise avec un mariage entre le royaume de Pologne et le duché de Lituanie, de la même façon que la Bretagne est devenue française. C’était cela ou se faire bouffer par la Russie. Les intérêts de la Lituanie de l’époque dépassent complètement une partie des Lituaniens contemporains.

    • Une présentation des sources aurait été en effet bienvenue. « Najwyżswy czas » est hebdomadaire patronné par Janusz Korwin-Mikke, personnage haut en couleur et pittoresque s’il en est, idéologiquement proche d’un Kuehnelt-Leddihn, mais qui dans la pratique s’est souvent replié en soutien du PiS, le parti conservateur de ces paranoïaques de jumeaux Kaczyński dont le complexe obsidional n’était plus à démontrer et dont la politique pendant leur temps au pouvoir a été relativement peu libérale (tentative de prise de contrôle des médias, campagnes de calomnies, nomination de proches idéologiques à des postes clefs, création de l’Institut de la Mémoire nationale qui n’a fait que chercher à salir leurs opposants, à commencer par Wałęsa, j’en passe et des pires…).

      Bref… Il n’en demeure pas moins que la population de Vilnius était majoritairement peuplée de locuteurs polonais avant 1945, idem pour Grodno, Brest (toutes deux en Biélorussie aujourd’hui) ou Lwów (aujourd’hui en Ukraine, Lviv) là où les campagnes alentour étaient lituaniennes ou « ruthènes » (comme on nommait à l’époque les slaves orthodoxes des campagnes) — Brest était d’ailleurs Brześć Litewski en polonais (Brest-Litovsk en russe), c’est-à-dire Brest-de-Lituanie. De la même façon que les campagnes poméraniennes ou silésiennes (en Prusse/Allemagne d’environ 1772 à 1945) étaient majoritairement polonaises là où les villes étaient allemandes. Et n’oublions pas les quelques millions de Juifs dispersés dans toutes ces régions, qui faisaient partie de la Zone de Résidence lorsqu’elles appartenaient à l’empire des tsars.

      Plutôt que de la désinformation, appelons ça une présentation partiale.

      Bref (bis), l’Europe centrale et orientale fut longtemps une mosaïque de peuples enchevêtrés les uns aux autres (et le demeure encore jusqu’à un certain point) et untel issu du peuple X avait autant de raisons de se dire autochtone que son voisin d’en face, issu du peuple Y. La Lituanie historique (qu’il faut davantage considérer comme un espace régional que comme un État qui aurait été « lituanien » — à l’instar de la Flandre ou de la Catalogne pour prendre des exemples plus occidentaux) est aujourd’hui partagée entre la Lituanie, la Biélorussie et l’Ukraine…

      L’imbrication était telle qu’aucune partition n’aurait été satisfaisante pour personne, d’où les déplacements de populations ayant suivi la Seconde Guerre mondiale.

      Voir aussi les cartes de langues/nationalités de la 2de République polonaise, elle reflètent bien la complexité de la situation :
      http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/3/39/Mother_tongue_poland_1931_census.png
      http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/6/60/Poland1937linguistic.jpg
      http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/c/c8/Nationalities_in_Second_Polish_Republic_ca._1931.png/400px-Nationalities_in_Second_Polish_Republic_ca._1931.png

      Bref (ter), les deux parties auraient chacune à moitié raison, la vérité étant à peu près la somme des deux visions… Le Grand-Duc de Lituanie était aussi le roi de Pologne (et vice versa)… M*rde alors !…

      • Aucun parti ne conduit de politique libérale en Pologne. JKM est un conservateur et son choix s’est porté (en 2010, puisque vous faites sans doute allusion à l’élection présidentielle) sur un « moindre mal ». Donc, inutile d’en rajouter sur tous les complexes de la famille Kaczyński.

        Najwyższy Czas! s’indigne de l’existence d’hommes politiques lituaniens ayant collaborés avec les services secrets soviétiques et toujours aux affaires, la partie historique étant effectivement partiale mais pourquoi s’en étonner ?

  • Les commentaires sont fermés.

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Nicolas Tenzer est enseignant à Sciences Po Paris, non resident senior fellow au Center for European Policy Analysis (CEPA) et blogueur de politique internationale sur Tenzer Strategics. Son dernier livre Notre guerre. Le crime et l’oubli : pour une pensée stratégique, vient de sortir aux Éditions de l’Observatoire. Ce grand entretien a été publié pour la première fois dans nos colonnes le 29 janvier dernier. Nous le republions pour donner une lumière nouvelles aux déclarations du président Macron, lequel n’a « pas exclu » l’envoi de troupes ... Poursuivre la lecture

Aurélien Duchêne est consultant géopolitique et défense et chroniqueur pour la chaîne LCI, et chargé d'études pour Euro Créative. Auteur de Russie : la prochaine surprise stratégique ? (2021, rééd. Librinova, 2022), il a précocement développé l’hypothèse d’une prochaine invasion de l’Ukraine par la Russie, à une période où ce risque n’était pas encore pris au sérieux dans le débat public. Grand entretien pour Contrepoints par Loup Viallet, rédacteur en chef.

 

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