Les marchés font-ils la loi ?

La responsabilité des banques et du système financier au sens large dans les crises qui durent depuis 2007 est jugée comme acquise par beaucoup. A tort ou a raison? Deux praticiens tentent d’y répondre, en collaboration avec la journaliste Pascale-Marie Deschamps. Un livre intéressant, mais incomplet.

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Les marchés font-ils la loi ?

Publié le 18 juillet 2012
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La responsabilité des banques et du système financier au sens large dans les crises qui durent depuis 2007 est jugée comme acquise par beaucoup. À tort ou a raison ? Deux praticiens tentent d’y répondre, en collaboration avec la journaliste Pascale-Marie Deschamps. Un livre intéressant, mais incomplet.

Par Alexis Vintray.

La responsabilité des banques et du système financier au sens large dans les crises qui durent depuis 2007 est jugée comme acquise par beaucoup. À tort ou a raison ? En collaboration avec la journaliste Pascale-Marie Deschamps, deux praticiens de la finance (Pierre de Lauzun, délégué général de l’Amafi (association française des marchés financiers) et Philippe Tibi, président de l’Amafi) tentent d’y répondre dans un livre d’entretien, Les Marchés font-ils la loi ?.

Sans surprise, le livre est dans une large mesure une réponse aux attaques contre le système bancaire. Ainsi les auteurs soulignent-ils avec justesse que la crise de la dette souveraine en Europe n’est pas de la responsabilité des banques : ce sont 40 ans de déficit constant (dans le cas de la France) et les plans de relance keynésiens après 2007 qui ont mis les États au bord de la faillite. Des plans de relance jugés sévèrement : « de fait, après trois ans de relance keynésienne, on n’a pas vu se manifester le fameux multiplicateur keynésien. Pour un déficit supplémentaire de 1% du PIB, on n’a eu que 0,5% à 0,7% de croissance » souligne Philippe Tibi [1]. In fine, dans cette crise de la dette souveraine, les marchés ne sont qu’un thermomètre : « Le marché ne cherche pas à « asservir » le politique : il lui demande ses réponses dès lors qu’il a été sollicité par le politique pour financer les déficits publics ». Les pouvoirs publics devraient commencer par équilibrer les comptes publics, au lieu de venir critiquer ceux qu’ils appellent à l’aide pour « boucler leurs fins de mois » [2].

La responsabilité du régulateur n’est pas occultée ; Pierre de Lauzun souligne à juste titre que ce sont « les autorités européennes qui ont encouragé les banques à détenir des obligations d’État » [3] et sont responsables par ricochet de leur faiblesse actuelle. Parallèlement, Michel Péberau dans sa préface [4] critique heureusement la « full fair market value » qui amplifie les crises. Une critique formulée par les libéraux depuis longtemps. Toutefois les appels réguliers à plus de régulation surprennent quand on sait que la finance est déjà le secteur le plus régulé au monde. Ne vaudrait-il pas mieux moins de régulation mais plus de responsabilité ?

À l’inverse, on lit une critique bienvenue de la théorie financière de l’efficience des marchés [5], qui est une théorie académique et non le fondement des convictions libérales : « dire que les promoteurs du marché ont tort parce que la théorie du marché efficient est fausse est tout aussi réducteur que de faire de tous les partis de gauche des partis marxistes-léninistes, au motif qu’ils partageraient des aspirations communes » selon Philippe Tibi [6]. De même d’une  heureuse défense de la « spéculation« , tout en rejetant le nom [7] : « les hedge funds facilitent le rapprochement de l’offre et de la demande ».

Enfin Pierre de Lauzun et Philippe Tibi pointent certaines dérives des systèmes financiers eux-mêmes : CDS, CDS à nu ou trading haute fréquence, jugés « indéfendables ». Des arguments déjà développés ici et là que l’on ne détaillera pas dans cet article.

Toutefois une bonne partie des arguments contre ces « dérives » ou contre le régulateur sont atténués, formulés timidement. Cela tient probablement au fait qu’il est impossible pour des praticiens, juges et parties, de critiquer fondamentalement le système. Ainsi de la politique de taux accommodants qui a créé de nombreuses bulles financières à travers le monde, et à peine évoquée. De même (et surtout) de l’aléa moral et du Too big to fail. Cette garantie implicite de sauvetage par l’État est une cause majeure des dysfonctionnements bancaires actuels :

  • elle aboutit à une sous-capitalisation des banques : à quoi bon avoir du capital pour affronter les tempêtes si on sait qu’on peut compter sur l’argent du contribuable ?
  • elle développe des prises de risque excessives : pourquoi ne pas prendre tous les risques possibles quand on sait qu’on encaissera les profits, mais que le contribuable paiera les pertes ?
  • la sous-capitalisation des banques qui en découle booste artificiellement la rentabilité des banques, ainsi que bonus et primes.

On ne trouvera presque rien là dessus dans l’ouvrage, ce qui est pour le moins regrettable, étant donné qu’il s’agit du cœur du problème actuel. Nombre de financiers y ont réfléchi, de même qu’à la question plus large de la responsabilité. Par exemple Henry Kaufman. En particulier car les banquiers sont les grands gagnants de l’aléa moral, il est dommage que le sujet soit quasiment évité dans un livre qui entend faire le point.

—-
Liens :

Notes :

  1. Les Marchés font-ils la loi, p.35.
  2. ibid., p.32.
  3. ibid., p.29.
  4. ibid., p.12.
  5. ibid., p. 55.
  6. ibid., p.56-57.
  7. ibid, p.49.
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  • sur le principe de la Fair Market Value: le principe de prudence serait de l’appliquer quand elle est inférieure à la valeur d’achat (coût historique). Sinon, cela revient à valoriser à 100% des obligations grecques qui s’échangent avec une décôte importante de leur nominal. Si j’achète une maison et qu’elle perd la moitié de sa valeur, je peut difficilement faire valoir son prix initial comme caution d’un nouveau prêt. Par contre si elle augmente, utiliser le coût d’achat est plus conservateur car le prix de marché suppose une liquidité immédiate (ce qui fut justement le problème pendant la crise).

    Concernant les CDS nus, je ne voit absolument pas pourquoi ce serait indéfendable: il s’agit d’un libre contrat entre deux parties, de la même manière que vous avez le droit de parier sur tout et n’importe quoi chez votre bookmaker. En plus, si je détiens des actions du CAC 40 (pauvre de moi), le fait d’identifier le risque de crédit grecs comme une menace sur mon portefeuille est parfaitement raisonable et cela c’est d’ailleurs vérifié dans les cours. Le fait de vouloir m’assurer contre ce risque est donc tout à fait normal.

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