« Antichrist » de Lars von Trier : zoom sur la police du cinéma

Dans un arrêt du 29 juin 2012, Association Promouvoir, le Conseil d’État annule une nouvelle fois le visa d’exploitation accordé au film de Lars von Tier, « Antichrist », visa assorti d’une interdiction aux mineurs de moins de seize ans.

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0
antichrist_affiche

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

« Antichrist » de Lars von Trier : zoom sur la police du cinéma

Publié le 5 juillet 2012
- A +

Dans un arrêt du 29 juin 2012, Association Promouvoir, le Conseil d’État annule une nouvelle fois le visa d’exploitation accordé au film de Lars von Tier, « Antichrist », visa assorti d’une interdiction aux mineurs de moins de seize ans.

Par Roseline Letteron.

Dans un arrêt du 29 juin 2012, Association Promouvoir, le Conseil d’État annule une nouvelle fois le visa d’exploitation accordé au film de Lars von Tier, « Antichrist », visa assorti d’une interdiction aux mineurs de moins de seize ans. Une nouvelle fois, car une première décision, du 25 novembre 2009, rendue à la demande de la même association requérante, avait déjà prononcé une telle annulation. Dès le lendemain, le ministre de la Culture avait accordé un nouveau visa, suscitant derechef un second recours. L’histoire va montrer qu’il aurait été mieux inspiré de reprendre la procédure à son début.

Que l’on ne s’y trompe pas. Les requérants ne sont pas des fervents partisans de la liberté d’expression cinématographique qui contestent l’interdiction aux moins de seize ans, et désireraient un visa d’exploitation accordé sans aucune réserve. Ils veulent au contraire l’annulation du visa pour essayer d’obtenir le classement du film comme œuvre pornographique, voire son interdiction pure et simple.

L’association « Promouvoir » se donne pour objet, selon les termes figurant sur son site, « la promotion des valeurs judéo-chrétiennes, dans tous les domaines de la vie sociale ». Particulièrement orientée sur la lutte contre la pornographie, elle a déjà obtenu du Conseil d’État, dans un arrêt du 30 juin 2000, l’annulation du visa accordé au film de Virginie Despentes, « Baise-moi ». À l’époque, le visa d’interdiction aux mineurs de moins de seize avait été annulé au motif qu’il « contenait un message pornographique et d’incitation à la violence ». Le film avait ensuite été autorisé avec un classement d’interdiction aux moins de dix huit ans, sans pour autant être classé comme pornographique.

Le visa d’exploitation, expression d’un régime d’autorisation

Ce visa d’exploitation s’analyse comme une autorisation administrative de mise sur le marché, témoignage du traitement juridique tout à fait particulier dont le cinéma fait l’objet. Il ne relève pas du droit commun de la liberté d’expression, qui permet à chacun de s’exprimer librement, sauf à rendre compte de différents excès devant le juge pénal. L’expression cinématographique, au contraire, est soumise à un régime d’autorisation, dont la Cour européenne admet la conformité à la Convention, depuis une décision Wingrove c. Royaume Uni du 25 novembre 1996.

Considéré, à sa naissance, comme un « spectacle de curiosité » dépourvu de toute ambition culturelle, il avait alors semblé naturel de soumettre le cinéma aux mêmes contraintes que les attractions foraines. Organisé par l’ordonnance du 1er juillet 1945, désormais intégrée dans le code du cinéma et de l’image, la police du cinéma repose sur une autorisation délivrée par le ministre, précisément ce visa d’exploitation. Celui-ci est attribué après avis d’une Commission de classification, qui a le choix entre six propositions possibles : autorisation du film pour « tous publics », interdiction aux mineurs de moins de 12, de 16, ou de 18 ans, inscription sur la liste des œuvres pornographiques ou enfin interdiction générale et absolue de toute diffusion.

Contrôle normal sur le visa d’exploitation

L’essentiel des contestations, et donc de la jurisprudence, porte évidemment sur ce visa. Les enjeux financiers sont immenses, car un film qui n’est pas autorisé pour « tous publics » fait l’objet d’une exploitation commerciale plus réduite, et celui qui est qualifié de pornographique ne peut circuler que dans un réseau spécial.

Le juge opère un contrôle normal sur le visa d’exploitation, s’assurant notamment du caractère pornographique, ou non, de l’œuvre. Si le film de Virginie Despentes a effectivement été qualifié de pornographique dans l’arrêt du 30 juin 2000, le visa du film « Fantasmes« , également contesté par l’association « Promouvoir », a été seulement considéré comme érotique, et soumis à une interdiction aux moins de seize ans.

Un avis motivé

Le film de Lars von Trier donne au juge administratif l’occasion de donner quelques précisions sur l’exercice de ce pouvoir d’autorisation conféré au ministre. En principe, ce dernier n’est pas lié par l’avis donné par la Commission de classification. Les deux arrêts rendus à propos d’Antichrist, aussi bien le 25 novembre 2009 que le 29 juin 2012, affirment que l’avis de la Commission doit être suffisamment motivé pour permettre au ministre de prendre une décision éclairée. La simple référence au « climat violent » du film n’est pas suffisante. La Commission doit préciser en quoi cette violence justifie l’interdiction proposée. Autrement dit, l’avis doit expliquer pourquoi la Commission choisit d’interdire un film aux moins de seize ans, plutôt qu’aux moins de douze ou de dix-huit ans, pourquoi ce film ne doit pas être considéré comme pornographique etc.

En cas de motivation insuffisante, comme c’est le cas en l’espèce, le visa d’exploitation est annulé pour vice de procédure. Le Conseil d’État estime en effet que le ministre n’était pas suffisamment informé pour prendre une décision éclairée. Certains esprits simples pourraient penser qu’il suffirait que le ministre voie le film pour savoir ce qu’il en pense. Certains esprits chagrins et procéduriers pourront alors se demander si le fait d’infliger un Lars von Trier à un ministre relève, ou non, du traitement inhumain et dégradant, au sens de l’article 3 de la Convention européenne. Mais c’est un autre débat.

—-
Sur le web.

Voir le commentaire (1)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (1)

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don
6
Sauvegarder cet article

 

 

Le 12 décembre dernier s’est tenue une nouvelle édition de l’Assemblée des Idées, un cycle de débats bimestriel organisé à la Galerie des Fêtes de l’Hôtel de Lassay, résidence officielle de la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, qui préside également cette série de colloques.

Après le logement, le rôle de la France à l’international, l’intelligence artificielle ou encore la morale, la chambre basse a accueilli plusieurs dirigeants de médias pour débattre du pluralisme et de l’indépendance ... Poursuivre la lecture

Par P.-E. Ford

Jusqu’à présent, la cancel culture au pouvoir à Harvard, Stanford, Yale et consoeurs, ne suscitait guère d’émotion dans les rangs du Parti démocrate, ni dans la presse qui lui est si dévouée. Tout a changé le 5 décembre, grâce aux auditions publiques de la Commission sur l’éducation et la population active de la Chambre des représentants, présidée par la républicaine Virginia Foxx, de Caroline du nord. Ce jour là, la présidente de Harvard, Claudine Gay, son homologue de University of Pennsylvania, Liz Magill, ainsi que l... Poursuivre la lecture

Deux événements se sont produits simultanément le 7 décembre 2023.

Le premier concerne la bronca qui a gagné un collège des Yvelines à la suite de la présentation en cours de français d’un tableau de Giuseppe Cesari datant du XVIIe siècle, Diane et Actéon. Parce que ce tableau représente des femmes dénudées, des élèves musulmans de 6e ont exprimé leur réprobation. Des tensions et des menaces ont suivi, ce qui a conduit les enseignants à faire valoir leur droit de retrait, avant que le ministre Gabriel Attal ne se rende sur place.

<... Poursuivre la lecture
Voir plus d'articles