Privilèges et richesse

Ne faut-il donc pas prendre aux riches leur richesse, afin de mettre fin à leurs privilèges qui rappellent les heures les plus moyenâgeuses de notre Histoire ?

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Privilèges et richesse

Publié le 7 juin 2012
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Il paraît que les gens riches sont des privilégiés. Et il paraît que c’est un problème pour la France, ce pays où la Révolution a porté l’idée de l’abolition des privilèges. Ne faut-il donc pas prendre aux riches leur richesse, afin de mettre fin à leurs privilèges qui rappellent les heures les plus moyenâgeuses de notre Histoire ? N’est-il pas grand temps de se remémorer les bonnes heures de la Révolution et de partir en guerre contre le riche, privilégié et donc exploiteur ?

Par Aurélien Biteau.

Eh bien non, car si nous le faisions, nous concrétiserions les erreurs de notre pensée et les errements de notre langage, et travestirions la justice en répandant l’injuste comme des bourreaux qui s’ignorent. Venons en à la racine : le privilège.

Qu’est-ce qu’un privilège ?

Au sens strict, un privilège est un avantage particulier accordé par une autorité à une personne ou à un groupe en dehors des règles communes de droit. Dans l’Ancien Régime, l’autorité a pu distribuer une grande variété de privilèges à divers groupes. On pense bien sûr d’abord aux privilèges de la noblesse et du clergé quant aux impôts, mais ils ne furent pas les seuls. Divers privilèges sur la production de certains biens ont pu être confiés à certaines personnes.

Ce qui fait l’essence du privilège, ce qui permet de le reconnaître, c’est qu’il s’impose comme un droit exclusif au profit du particulier (une personne, un groupe, une corporation) sans devoir souffrir le droit commun (celui qui n’a pas de destinataire particulier).

Prenons l’exemple d’un privilège bien connu : le privilège d’émission de la Banque de France, qui permet à l’établissement de disposer d’un droit exclusif d’émettre des billets. Contre ce privilège, aucune autre banque ne peut rien : il leur est interdit d’émettre leurs propres billets.

La notion de privilège n’a finalement de sens que rapportée au droit. On ne peut parler de privilège que lorsque l’autorité qui le distribue précise à qui il est confié, précise le particulier à qui il est destiné.

Pourquoi le privilège est-il injuste ? Précisément parce que hors des règles de droit, il méprise le droit, vecteur de la justice. Hors du droit règne l’arbitraire.

Un glissement sémantique

Comment en est-on venu à considérer que la richesse, qui peut pourtant être acquise dans le cadre légitime du droit, est un privilège ?

L’unique moyen d’en être arrivé là, c’est de s’être laissé influencer par l’altération du droit naturel, par l’idéologie marxiste et l’idée fausse qu’il y aurait des « droits formels » et des « droits réels », qu’une situation puisse être un droit. L’homme beau jouirait d’un « droit à la beauté », pas l’homme laid. L’homme logé jouirait d’un « droit au logement », pas l’homme sans domicile. L’homme riche, dans la même logique, jouirait d’un « droit à la richesse », pas l’homme pauvre. Or la majorité des individus ne sont pas riches. Pour celui qui est influencé par cette idée marxiste, couplé à des relents de Rousseau, la majorité est le commun et fait le droit : celui qui n’en fait pas partie et qui jouit, par sa situation d’un avantage dont ne jouit pas la majorité est donc un « privilégié ». Et voilà le riche, hors de la majorité, privilégié.

La confusion entre droit et capacité, entre droit et situation est navrante. Elle est d’autant plus navrante que précisément, c’est cette confusion qui est la cause de la plupart des privilèges modernes comme nous le verrons plus tard.

La richesse n’est pas en soi un privilège. Un homme qui ferait l’acquisition de sa richesse par un travail acharné dans le respect du droit ne pourrait être un privilégié. À l’inverse, un homme qui recevrait directement sa richesse de l’autorité qui fait loi en serait un. Imaginons un entrepreneur à qui l’autorité confie le monopole dans son domaine : le voilà qui s’enrichit par ce moyen, ce monopole donné par la loi en violation des règles de droit. Il est bien privilégié. Mais ce n’est pas parce qu’il est riche, c’est parce qu’il jouit d’un statut juridique spécial.

Ceci était très bien compris du temps de la Révolution, ça ne l’est plus aujourd’hui. Il est pitoyable de se réclamer de la Révolution pour lutter contre les riches, traités comme privilégiés parce que riches. Cette partie de l’Histoire de France n’est pas vieille, et pourtant, c’est le grand écart intellectuel avec l’intelligence moderne…

Lorsque les privilèges ont été abolis dans la nuit du 4 août 1789, il n’était pas question de s’en prendre à la noblesse et au clergé parce qu’ils auraient été opulents. Les nobles pauvres et les membres du clergé sans le sou n’étaient pas une rareté. C’était leur statut juridique particulier qui était remis en cause, et il n’était pas question de richesse.

Droit positif, inflation législative et privilèges modernes

Malheureusement, la Révolution qui a aboli les privilèges a aussi affaibli et corrompu le droit en modifiant au sein des institutions la compréhension de sa nature. À travers la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, le droit s’est « positivé » : on a commencé à considérer que l’écriture du droit était davantage propice à sa sûreté que la source qui le rend : c’est la mutation du droit naturel classique vers le droit naturel moderne. Pris dans ses contradictions (un droit qui devrait exister par l’écriture de la loi), il a ouvert la porte au droit positif tel que nous le connaissons aujourd’hui, où le juste se décrète par l’écriture de la loi.

Or en se permettant de ne reposer que sur la loi, le droit positif, qui ne mérite pas tant d’être appelé « droit », a pu introduire les biais de la perception du droit issu de la Gauche qui fait des situations concrètes des statuts juridiques. Comme on l’a vu, dans cette idée, l’homme beau a un « droit à la beauté », pas l’homme laid. La réalité n’ayant point de limite, la loi a cessé d’en avoir aussi, et nous voilà avec l’inflation législative que nous connaissons.

Toutefois, en insistant sur les situations concrètes, le droit positif a fini par créer une quantité astronomique de privilèges, au sens strict de la notion.

Vous n’avez point de logement ? Voilà pour vous le « droit au logement ». Il vous est consacré, à vous et tous ceux qui n’ont pas de logement. Mais ne vient-on pas de désigner un particulier à qui nous destinons ce droit ? Ce droit ne s’impose-t-il contre le droit de propriété, règle commune, de ceux à qui nous viendrons prendre les richesses nécessaires pour vous loger ?

Peu à peu, les privilèges sont distribués à tous les groupes qui les réclament, à tous les particuliers qui les soutiennent. Le « droit » n’est plus qu’une somme de privilèges. Il n’y a plus de règles du droit, il n’y a plus que des privilèges qui cherchent à garantir des situations d’hommes, de femmes, de corporations, d’entreprises, qu’ils soient riches ou qu’ils soient pauvres.

Et c’est dans cet enfer juridique qui n’a de cesse de figer une société dans ses rentes et ses monopoles issus de statuts juridiques particuliers que la Gauche croit avoir à peu près perçu un privilège, la richesse des riches ? Allons, trêve de plaisanterie.

Nous n’avons rien à envier à l’Ancien Régime, effectivement. Mais les « réactionnaires » sont ceux qui tiennent tellement aux privilèges de l’État-Providence, produit de l’inflation législative, et que la haine des riches nourrit, et non combat.

Mettre fin au régime des privilèges qu’est devenu la République, c’est d’abord et avant tout refuser les errements sémantiques et de la pensée des deux derniers siècles, et revenir aux sources du droit dans la méfiance de la loi et du législateur. Certainement pas spolier son voisin par la toute puissance de l’autorité de l’État.

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  • Pour précision le mot privilège vient du latin Lex Privata, loi privée, particulière. Cela signifie qu’il s’agit d’une exception au droit commun. L’Ancien Régime avait porté ce système à son paroxysme car il n’était pas un métier ou une province qui ne disposait pas de ses antiques privilèges. Cela a permit à Maurras de décrire la France de l’AR comme étant « hérissée de libertés ». Cela a également contribué à la chute de l’AR car le Roi ne pouvait revenir sur ces privilèges sans l’accord des intéressés… Cela a donné un Royaume ingouvernable mais également assez libérale en ce sens qu’il était relativement difficile pour le pouvoir d’être oppressif. C’est à regretter, ou presque, un État aussi peu à même d’imposer sa volonté.

    Sinon quand je vois ce par quoi on a remplacé les privilèges des miens (statut de la FP par exemple) je me dit que celui qui a proposé l’abolition des privilèges le 4 août aurait mieux fait de ne pas s’exprimer ce soir là 🙂

    Sinon j’aime bien votre réflexion autour du droit et ses détournements.

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