Accès dérogatoire à la profession d’avocat : Petits décrets entre amis

Les politiciens battus et leurs cliques d’attachés parlementaires et autres pourront grassement monnayer leur collaboration dans des cabinets d’avocats

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Accès dérogatoire à la profession d’avocat : Petits décrets entre amis

Publié le 14 avril 2012
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Avec un juteux carnet d’adresse constitué tout au long de ces années dans les allées du pouvoir, les politiciens battus et leurs cliques d’attachés parlementaires et autres pourront grassement monnayer leur collaboration dans des cabinets d’avocats.

Par Emmanuel Martin.

Les élections présidentielles s’annoncent plutôt moroses pour la droite, et les législatives aussi. Mais que vont donc devenir tous ces politiciens de carrière ? Travailler 35 heures par an dans un comité Théodule ? Difficile si la gauche passe, ces comités étant justement réservés aux « copains » du pouvoir ayant perdu temporairement un mandat. Solution : un décret permettant aux perdants de devenir très facilement avocats ! Car avec un juteux carnet d’adresse constitué tout au long de ces années dans les allées du pouvoir, les politiciens battus et leurs cliques d’attachés parlementaires et autres pourront grassement monnayer leur collaboration dans des cabinets d’avocats. Autant leur faciliter la tâche en leur évitant de passer par le douloureux parcours par lequel l’avocat lambda doit passer…

C’est ainsi que le décret n° 2012-441 du 3 avril 2012 relatif aux conditions particulières d’accès à la profession d’avocat dispose que « les personnes justifiant de huit ans au moins d’exercice de responsabilités publiques les faisant directement participer à l’élaboration de la loi sont dispensées de la formation théorique et pratique et du certificat d’aptitude à la profession d’avocat. »

Qu’un tel décret soit produit même pas trois semaines avant des échéances électorales permet d’écarter tout doute quant à son objectif.  Pour le bâtonnier de Paris Christiane Féral-Schuhl, la manipulation est claire :

Publié à quelques semaines seulement d’échéances électorales importantes, il apparaît aux yeux des avocats et des citoyens comme une brusque tentative de faire valoir, en passant en force, des intérêts catégoriels. Cela ne sert ni l’image des avocats, ni celle des femmes et des hommes politiques et c’est fortement regrettable.

Le Conseil de l’Ordre des avocats de Paris avait déjà critiqué la manœuvre, votant lors de sa séance du 27 mars 2012 une résolution demandant à la Chancellerie un réexamen du projet de décret. Suite à la publication du décret en l’état, le bâtonnier de Paris a engagé le 10 avril un recours, mandaté par le Conseil de l’Ordre. Quelles que soient les suites de ce recours, l’Ordre des avocats de Paris déclare « qu’il est et restera maître de l’accès au barreau de Paris et qu’à ce titre il continuera à fixer les critères d’admission conformément à ses valeurs, à son niveau d’exigence et à l’intérêt des justiciables », ajoutant, de manière on ne peut plus claire, qu’il « veillera donc avec la rigueur la plus extrême, demain comme aujourd’hui, à ce que les conditions de compétences et d’acquisition des diplômes professionnels soient bien respectées par l’ensemble des candidats à la profession d’avocat, sans discrimination en fonction des parcours. »

Cet épisode en dit long sur le fonctionnement de la démocratie et sur la situation de l’état de droit en France : bienvenue dans la république des copains et des coquins. Comment espérer réformer la France corporatiste, la France des intérêts catégoriels, la France où l’on prône à tout bout de champ l’égalité pour produire exactement son contraire, la France de la défiance si bien décrite par Alain Peyrefitte ou plus récemment par Pierre Cahuc et Yann Algan – comment espérer réformer ce monstre de passe-droits et de privilèges si le gouvernement et les législateurs eux-mêmes nous donnent un tel exemple ?

On pourra rétorquer à cela que la profession d’avocat est précisément une corporation qu’il s’agit « d’ouvrir ». Elle est une corporation, mais n’est pas une profession fermée, au contraire des notaires par exemple, et est bien plus ouverte qu’on ne le croit. Et qu’un niveau de connaissances soit exigé de ses membres et sanctionné par une profession spécialisée dans le droit n’en fait pas une profession fermée. Ensuite, il est possible de discuter de l’ouverture de telle ou telle profession, mais sans doute pas à quinze jours d’échéances électorales dans la précipitation : la ficelle est un peu grosse.

L’équipe en place au gouvernement et la majorité à l’Assemblée ont évidemment tout intérêt à ce que cette affaire ne soit pas médiatisée avant les élections. Il faut pourtant que cela se sache. Non qu’il faille prendre ici la défense d’une gauche à mille lieues de la réalité et qui sait aussi produire des privilèges à la pelle – et sous couvert d’égalité ! Mais parce que notre démocratie française est gravement malade, des deux côtés. Il est temps que les français comprennent qu’on ne la soignera pas en élargissant, vers le bas, le cercle des privilégiés, mais en abolissant les privilèges. Ils avaient fait une révolution pour cela.

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Sur le web.

Lire aussi : Petit manuel juridique à l’usage des membres des cabinets qui cherchent à se recaser

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