Sortie de crise, vraiment ?

Ce n’est pas qu’une crise financière, mais la fin douloureuse d’une époque, d’un régime, d’un modèle social, d’une monnaie. Non seulement le pire est devant nous, mais la crise s’étendra de pays en pays et va certainement se compter en années

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Sortie de crise, vraiment ?

Publié le 10 avril 2012
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Ce n’est pas qu’une crise financière, mais la fin douloureuse d’une époque, d’un régime, d’un modèle social, d’une monnaie. Non seulement le pire est devant nous, mais la crise s’étendra de pays en pays et va certainement se compter en années.

Par Stéphane Montabert, depuis Renens, Suisse.

Relisant certaines contributions de mes lecteurs, j’ai réalisé que j’avais été pris à parti au sujet de la Grèce par un internaute vindicatif. Dans un commentaire (forcément hors sujet) celui-ci s’est indigné :

(…) vous nous assénez plusieurs textes par semaine mais jamais un soupçon de repentir pour les bourdes que vous tentez de nous enfiler sans précaution. Exemple: la Grèce. Selon vous nous devrions déjà avoir enterré cette économie depuis plusieurs mois.

Selon moi ? Si seulement! Mais je ne suis pas le seul pronostiqueur pessimiste des environs. En septembre dernier, le marché jugeait probable un défaut entre décembre 2011 et septembre 2012. Moins de six mois plus tard, nous avons eu le « plan de renégociation de la dette » durement négocié, qui a amené à une décote « volontaire » de plus de 70% des titres de créance grecs détenus par les investisseurs.

Ce n’est peut-être pas un défaut dans les règles de l’art, mais ça y ressemble drôlement…

N’ayant plus abordé le problème de la Grèce, de l’Europe et de la fin du monde depuis quelques semaines, il était sans doute temps de revenir sur le sujet. Car si la Grèce n’apparaît qu’épisodiquement sur les écrans radars de l’actualité, elle ne va pas pas bien du tout :

Une batterie d’indicateurs inquiétants sont revenus rappeler, quelques heures avant l’ouverture d’un nouveau sommet européen, qu’Athènes file à grande vitesse droit dans le mur.

Les premiers sont d’ordre conjoncturels. L’indice des directeurs d’achat PMI établis par l’agence Markit pour la Grèce au 1er mars 2012 montrent qu’en février la production industrielle grecque a connu sa plus forte chute mensuelle depuis 13 ans !

Il s’agit du 30ème mois consécutif de repli pour cet indice PMI qui atteint désormais des niveaux de faiblesse battant tous les records. Déjà en récession prononcée, la Grèce voit toujours sa situation se dégrader (…)

Mais le plus inquiétant réside dans le manque de confiance croissant des experts dans la viabilité du second plan d’aide à la Grèce qui est en passe d’être formellement débloqué par les bailleurs de fonds d’Athènes.

On le savait bien, le second plan d’aide miraculeux censé amener la Grèce à 120,5% d’endettement à l’horizon 2020 ne suffira pas. Il faudra peut-être un troisième plan d’aide de quelque 50 milliards d’euros. Et quand vous lisez « peut-être », il faut comprendre absolument, du triple de ce montant, et rien ne dit que ce sera le dernier…

À force de s’entendre chanter que le plus fort de la crise est derrière nous, les Européens, qui ne sont pas aussi stupides que pourraient le penser leurs élites, se sont peu à peu habitués à traduire la novlangue officielle en termes réels. Non, la crise n’est pas derrière nous, et ce ne sont pas les 23,6% de chômeurs espagnols qui vont me contredire. La couverture médiatique dont ces 4,75 millions de malheureux font récemment l’objet n’obéit pas qu’à un voyeurisme malsain ; elle permet d’éviter de s’appesantir sur le taux de 15% de chômage au Portugal, de 14,7% en Irlande ou même le nouveau record de 9,3% dans cette Italie-qui-va-si-mieux sous la férule de M. Monti.

Par ailleurs, l’Espagne, censée venir au secours des autres pays de la zone euro au travers du Fonds Européen de Stabilité Financière (FESF), aura elle-même besoin d’un plan d’aide en 2012. La récolte de fonds auprès des bailleurs promet d’être haute en couleurs.

Si la France a choisi de vivre dans le déni, charmée par la mélopée des candidats à la présidence, la rentrée économique et sociale sera abrupte, quel que soit le prochain locataire de l’Élysée. Et ce, même sans rentrer dans la polémique sur la dette réelle du pays…

La Banque Centrale Européenne en échec

Le signe le plus flagrant de l’urgence de la situation dans laquelle se trouve la zone euro vient de l’impasse dans laquelle la BCE s’est elle-même enfermée.

Le risque d’une rechute en récession de l’ensemble de la zone euro reste présent malgré l’injection par la BCE de plus de 1.000 milliards d’euros de liquidités dans le système financier depuis la fin décembre. Une action massive dont les retombées sont encore difficiles à percevoir : malgré une hausse plus forte qu’attendu de la masse monétaire en février, l’activité du secteur manufacturier a décéléré en mars en Allemagne et en France.

En conséquence, même si l’inflation, à 2,6% en mars, reste supérieure à l’objectif, la BCE ne devrait pas [durcir sa politique].

Le mandat officiel de la BCE est de lutter contre l’inflation – une inflation désormais très présente en zone euro, bien que pudiquement limitée à 2,6% selon les chiffres officiels. Pour contenir l’inflation, il suffit de ne pas créer de monnaie, mais la BCE, fidèle au dogme keynésien de ses directeurs, a fait exactement le contraire. Elle a inondé les banques de liquidités pour que celles-ci les placent avantageusement en obligations souveraines, et éteignent sous des liasses de billets la fameuse crise de la dette publique…

Mais tout a échoué.

Les liquidités accordées aux banques ont réveillé l’inflation. Elles n’ont nullement permis d’étouffer la crise pour les pays les plus fragiles, comme l’Espagne.

Mario Draghi ne peut pas non plus diminuer la masse monétaire – il s’est engagé auprès des banquiers à leur fournir des liquidités à un taux préférentiel pendant trois ans !

Le taux directeur de la banque est pratiquement à zéro. Pour lutter contre l’inflation, il faudrait le remonter ; mais ce geste sonnerait l’hallali de toutes les socio-démocraties européennes, engluées jusqu’au cou dans la dette publique. Le coût de financement des emprunts d’État dépend directement du taux pratiqué par la BCE. Si la BCE lutte contre l’inflation, elle étranglera les pays endettés. Si elle laisse les taux au plancher comme aujourd’hui, l’inflation s’envolera.

Dernière impasse dans laquelle la Banque s’est engouffrée, la dette publique. Entre les rachats d’obligations pourries et les garanties offertes aux créanciers au travers du « plan d’échange volontaire » de dette grecque, la BCE et les autres acteurs publics comme le FMI sont complètement liés aux modèles sociaux en train de couler.

Lors du prochain épisode de la crise de la dette – qui ne saurait tarder, pas plus en Grèce qu’ailleurs – il ne sera plus possible de lessiver encore une fois le secteur privé pendant que le secteur public prend ses distances ; ce dernier sera frappé de plein fouet, et désormais, les contribuables devront payer la note. Une note vertigineuse…

Ce n’est pas qu’une crise financière, mais la fin douloureuse d’une époque, d’un régime, d’un modèle social, d’une monnaie. Non seulement le pire est devant nous, mais la crise s’étendra de pays en pays et va certainement se compter en années.

Les Espagnols, les Grecs, les Portugais et les autres ne sont pas les mauvais élèves de la zone euro qu’il faut pointer du doigt ; plutôt les précurseurs qui ont goûté en premier la potion amère qui nous attend tous.

Non, nous ne sommes pas sortis de la crise, pas vraiment.

—-
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  • Mon expérience me laisse penser que vous avez raison . En tant que chef d’entreprise , j’ai du procéder en 2009 ( -40% de CA) à 1 licenciement qui m’a entrainé 40000€ de pertes sur l’année et un revenu personnel ramené au SMIC (français). Rien de tout cela n’est arrivé à tous les salariés du secteur protégé. Vu la baisse de mes impots , et je ne suis pas le seul dans ce cas , ça va faire mal pour certain à commencer par les nouvelle embauches (c’est plus facile) dans le secteur public.

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