50e anniversaire du cessez-le-feu en Algérie : de la guerre sans nom à la guerre sans fin

Tout milite donc pour que la période du 19 mars au 5 juillet 1962 soit interprétée d’un point de vue libéral comme un tragique exemple de l’insécurité que peut instaurer un État pour celui qui s’y fie aveuglément.

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50e anniversaire du cessez-le-feu en Algérie : de la guerre sans nom à la guerre sans fin

Publié le 19 mars 2012
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Alors que le choix d’une date pour commémorer la fin de la guerre d’Algérie continue de diviser, tout milite pour que la période du 19 mars au 5 juillet 1962 soit interprétée d’un point de vue libéral comme un tragique exemple de l’insécurité que peut instaurer un État pour celui qui s’y fie aveuglément.

Par Michel Leter

 

En cette période de campagne électorale l’affrontement entre les partisans et les adversaires de la commémoration du cinquantième anniversaire du cessez-le-feu en Algérie, le 19 mars 1962, exacerbe les clientélismes. Tel édile, parisien, choisit d’inaugurer une place du 19 mars tandis que tel autre, perpignanais, choisit de soutenir une contre-commémoration organisée devant le centre de documentation des Français d’Algérie. On aura compris que la sociologie électorale de Perpignan n’est pas celle de Paris.

 

Tandis que François Hollande ménage la puissante FNACA qui appelle à célébrer le 19 mars et demande à peu de frais dans un entretien donné à Jeune Afrique « que les choses soient dites » quant aux 132 ans de passé colonial de la France, Nicolas Sarkozy s’est prononcé en janvier 2012 contre la commémoration officielle du 19 mars.

Au demeurant, c’était la moindre des choses pour qui promettait lors de la campagne de 2007 :

« Si je suis élu, je veux reconnaître officiellement la responsabilité de la France dans l’abandon et le massacre de harkis et d’autres milliers de musulmans français qui lui avaient fait confiance, afin que l’oubli ne les assassine pas une nouvelle fois. »

Ce fut sans doute le seul point sur lequel Nicolas Sarkozy aura été gaulliste car, après avoir lancé son je-vous-ai-compris aux pieds noirs et aux harkis, il n’a pas manqué de les trahir. Le 9 mars 2012, dans un entretien exclusif à Nice-Matin, on l’entend refermer le livre de l’histoire par une phrase assassine :

« Les rapatriés et les harkis ont été victimes de la décolonisation. »

Son refus de commémorer officiellement le 19 mars apparaîtrait comme un moindre reniement s’il n’était en fait qu’un simple écho à la position officielle d’Alger, qui ne souhaite pas de commémoration du 19 mars au moment où des éléments extrêmes du FLN se sont vus refuser l’adoption d’un projet de loi criminalisant le colonialisme français.

Le gouvernement attend le 5 juillet, jour férié de l’indépendance, et surtout les élections du 10 mai, qui risquent de battre des records d’abstention pour faire des annonces en lien avec la puissante Organisation nationale des moudjahidines. Les moudjahidines (combattants pour l’indépendance en terre d’islam) puisent leurs privilèges en matière d’emploi et de logement dans un ministère doté d’un faramineux budget de 200 milliards de dinars (soit deux milliards d’euros). Compte tenu des mécontentements qui s’expriment chaque jour de manière de plus en plus aiguë en Algérie, l’oligarchie en place ne peut manquer d’être soucieuse de ne pas transformer les célébrations de l’indépendance en manifestations contre la corruption et pour l’abolition des privilèges.

Il reste qu’il est indéniable que le cessez-le-feu a représenté pour des éléments incontrôlés de l’ALN un permis d’exécuter.

Alors que les accords d’Évian donnaient toute latitude à la France pour protéger les populations civiles, l’armée est restée cantonnée sur ordre dans ses casernes et a fermé les yeux sur les exactions commises, à l’exception de quelques officiers courageux qui, n’écoutant que leur conscience, ont désobéi. Il s’agit bien là d’un crime d’État, comme le rappelle Jean-Jacques Jordi dans son ouvrage Un Silence d’État : les disparus civils européens de la guerre d’Algérie.

Tout milite donc pour que la période du 19 mars au 5 juillet 1962 soit interprétée d’un point de vue libéral comme un tragique exemple de l’insécurité que peut instaurer un État pour celui qui s’y fie aveuglément.

 

Il n’en reste pas moins évident que ce déchaînement antieuropéen répondait à 132 ans d’une colonisation plus cruelle qu’ailleurs.

Au-delà des bains de sang, on ne peut comprendre la spécificité de la colonisation de l’Algérie si l’on ne saisit pas qu’elle s’est exercée essentiellement contre des droits de propriété établis depuis des générations. Décoloniser en Algérie aurait dû donc rimer soit avec le rétablissement de ces droits, soit avec l’instauration de droits nouveaux.

Or, en tuant l’État de droit dans l’œuf le socialisme algérien n’a fait que convertir la colonisation extérieure en une colonisation intérieure transformant la guerre sans nom des Français en guerre sans fin des ostracismes.

Loin de cette vérité historique que c’est le socialisme – fût-il postcolonial – qui engendre la guerre, l’historiographie de l’Algérie cultive avec une fausse candeur l’obsession de Jaurès selon laquelle c’est le capitalisme qui « porte la guerre comme la nuée l’orage. »

L’idée reçue est que la spoliation coloniale française a jeté les terres indigènes sur le marché, livrant l’Algérie au grand capital.

Ce raccourci est le fruit de l’équation colonialisme/capitalisme qui encombre les livres d’histoire.

La date symbolique de 1492 choisie par Marx pour marquer le début du capitalisme afin de l’amalgamer au colonialisme dissimule le fait qu’historiquement les libéraux ont constitué le fer de lance de l’anticolonialisme. Le mot même d’anticolonialisme a été forgé par Gustave de Molinari.

Yves Guyot fut le premier à avoir compris que l’impérialisme et le colonialisme ne sont pas les stades suprêmes du capitalisme mais du socialisme d’État. L’argumentation des libéraux s’appuie sur une loi économique simple, la loi des débouchés, dite loi de Say, qui démontre que « les produits achètent les produits ». La colonisation est donc nuisible aux débouchés, qui ne s’ouvrent que par la propriété des moyens de productions et ne sont profitable qu’à la condition d’une souveraineté économique. C’est donc le capital qui s’oppose au colonialisme et non l’inverse. Le socialisme proposé tardivement comme perspective postcoloniale par Césaire, Senghor et Fanon va donc en fait prolonger les effets de la colonisation au lieu de les dissiper. C’est exactement ce qui s’est passé en Algérie depuis le 19 mars 1962.

Dès 1850, Frédéric Bastiat, avait vu dans l’Algérie l’illustration de la nature anticapitalistique de la colonisation :

 

« Votez cinquante millions (plus ou moins) pour faire en Algérie des ports et des routes, pour y transporter des colons, leur bâtir des maisons, leur défricher des champs. Par là vous aurez soulagé le travailleur français, encouragé le travail africain, et fait fructifier le commerce marseillais. C’est tout profit.

Oui, cela est vrai, si l’on ne considère lesdits cinquante millions qu’à partir du moment où l’État les dépense, si l’on regarde où ils vont, non d’où ils viennent ; si l’on tient compte seulement du bien qu’ils feront en sortant du coffre des percepteurs et non du mal qu’on a produit, non plus que du bien qu’on a empêché, en les y faisant entrer ; oui, à ce point de vue borné, tout est profit. La maison bâtie en Barbarie, c’est ce qu’on voit ; le port creusé en Barbarie, c’est ce qu’on voit ; le travail provoqué en Barbarie, c’est ce qu’on voit ; quelques bras de moins en France, c’est ce qu’on voit ; un grand mouvement de marchandises à Marseille, c’est toujours ce qu’on voit. »

 

Ainsi, d’un point de vue libéral, ce sont autant les Algériens que les Français qui ont été les victimes ou les otages de la colonisation parce qu’elle empêche l’échange libre.

La colonisation de l’Algérie a donc nui au développement du capital en France comme l’a démontré le regretté Jacques Marseille et comme le souligne Bastiat :

 

« On dit : « Voilà un colon transporté en Barbarie ; c’est un soulagement pour la population qui reste dans le pays. » Je réponds : Comment cela se peut-il, si en transportant ce colon à Alger, on y a transporté aussi deux ou trois fois le capital qui l’aurait fait vivre en France ? (M. le ministre de la Guerre a affirmé dernièrement que chaque individu transporté en Algérie a coûté à l’État 8 000 francs. Or, il est positif que les malheureux dont il s’agit auraient très bien vécu en France sur un capital de 4 000 francs. Je demande en quoi l’on soulage la population française, quand on lui ôte un homme et les moyens d’existence de deux ?). »

 

Il est vrai que la réception de l’attitude des libéraux face à la colonisation a été brouillée par les positions de Tocqueville qu’il est convenu, sans inventaire, de présenter comme libéral.

Tocqueville ouvre son rapport du 2 juin 1847 sur le projet d’établissement en Afrique de camps agricoles par un chapitre intitulé sans équivoque : « L’Algérie doit être colonisée ».

Pour Tocqueville le fait colonial n’est plus matière à débat :

« Nous n’entreprendrons pas de démontrer à la Chambre que l’établissement paisible d’une population européenne sur le sol de l’Afrique serait le moyen le plus efficace d’y asseoir et d’y garantir notre domination. »

Pour Tocqueville comme pour Mitterrand plus tard « L’Algérie c’est la France ». Tocqueville tente d’échapper au colonialisme en se prononçant pour une annexion pure et simple de l’Algérie, ce qui en matière de civilisation va de pair avec la doctrine de l’assimilation.

Il affirme :

 

« Nous ne devons pas nous proposer en Algérie la création d’une colonie proprement dite, mais l’extension de la France au-delà de la Méditerranée. Il ne s’agit pas de donner naissance à un peuple nouveau ayant ses lois, ses usages, ses intérêts, et tôt ou tard sa nationalité à part, mais d’implanter en Afrique une population semblable en tout à nous-mêmes. Si ce but ne peut être atteint immédiatement, c’est du moins le seul vers lequel il faut constamment et activement tendre. »

 

Le comte de Tocqueville a tout de même l’honnêteté de citer l’objection des adversaires de la colonisation de peuplement dont les accents sont prophétiques :

« Le pays qu’il s’agit de coloniser […] n’est pas vide ou peuplé seulement de chasseurs, comme certaines parties du Nouveau-Monde. Il est déjà occupé, possédé et cultivé par une population agricole et souvent même sédentaire. Introduire dans un tel pays une population nouvelle, c’est y éterniser la guerre et y préparer la destruction inévitable des races indigènes. »

Car s’il ne condamne pas la colonisation en principe, Tocqueville est résolu à en corriger les défauts et notamment sa centralisation excessive. Son apologie de l’action de Bugeaud en Algérie qui entendait transformer les épées en socs de charrues et les soldats en laboureurs ne va pas sans une observation lucide des spoliations « légales » commises par les Européens qui, au lieu d’étendre les droits de propriété, vont jusqu’à dégrader les propriétaires arabes en métayers :

 

« Les villes indigènes ont été envahies, bouleversées, saccagées par notre administration plus encore que par nos armes. Un grand nombre de propriétés individuelles ont été, en pleine paix, ravagées, dénaturées détruites. Une multitude de titres que nous nous étions fait livrer pour les vérifier n’ont jamais été rendus. Dans les environs mêmes d’Alger, des terres très fertiles ont été arrachées des mains des Arabes et données à des Européens qui, ne pouvant ou ne voulant pas les cultiver eux-mêmes, les ont louées à ces mêmes indigènes, qui sont ainsi devenus les simples fermiers du domaine qui appartenait à leur père. »

 

Les nouveaux maîtres de l’Algérie, non seulement n’ont pas mis un terme à cette guerre, mais encore ils l’ont généralisée.

D’abord contre les Européens qui entendaient rester et qui durent choisir la valise ou le cercueil ; ensuite contre ceux qui avaient collaboré avec la métropole et que de Gaulle avait désarmé ; enfin contre les moudjahidines de l’intérieur qui ne partageaient pas le nationalisme arabe de nombre ceux de la dernière heure qui prirent le pouvoir en partant de Tunis.

Culturellement, il s’agissait de nier la spécificité amazigh (berbère) de l’Algérie en y plaquant la fiction de l’arabité, qui non seulement permettait d’ancrer l’Algérie dans un ensemble plus vaste présenté comme le monde arabe mais aussi, puisque l’arabe est la langue du Coran, de ruiner l’espérance d’une Algérie laïque, ou du moins kémaliste, en dépit du prestige de la Turquie en Algérie. Comme les Algériens ne sont pas des Arabes, on arabisa.

Loin de la vision d’Abderrahmane Chergou qui considérait le français comme un butin de guerre de nature à favoriser l’ouverture de la nouvelle Algérie au monde, les jeunes Algériens d’aujourd’hui ne sont plus capables de lire dans le texte la déclaration de novembre 1954 qui marqua le début de l’insurrection algérienne. La surenchère islamiste qui accompagna cette politique d’arabisation aboutit à la guerre civile qui de 1991 à 2002 coûta la vie à quelques 150 000 Algériens…

D’un point de vue occidental, toutes les conditions semblent aujourd’hui réunies pour une nouvelle explosion dont seules les braises encore chaudes de la guerre civile semblent retarder l’échéance.

Le taux de chômage est officiellement de 9,9 % (sic) mais en pays socialiste chacun sait que les statistiques sont fausses. En réalité, c’est sans doute 80 % de cette jeunesse qui est sans emploi. La majorité de la population est composée de jeunes de moins de 30 ans qui sont aujourd’hui sans qualification, en raison d’un système éducatif à la dérive où les diplômes doivent être préparés sans livres.

Le capital a déserté le pays dont l’économie n’est plus que pétrolière et dont l’agriculture reste vivrière. Face aux gérontocrates richissimes portés au pouvoir par la guerre d’indépendance, le peuple algérien manque de tout, d’eau potable, de routes, d’électricité, de gaz (un comble dans un pays qui est le quatrième exportateur mondial de gaz !). Il est frappé plus durement qu’ailleurs dans le Maghreb par le renchérissement des matières de première nécessité causé depuis quelques années par la politique de la Fed qui, ayant monétisé à outrance le remboursement de la dette américaine, est à l’origine de ce que la grande presse a appelé hâtivement les « révolutions arabes » en Tunisie et en Égypte.

Cependant, il est vain d’espérer quelque révolution que ce soit dans un pays élevé dans le mythe d’une décolonisation sans droits de propriété comme l’Algérie. Les guerres sont aujourd’hui sociales tandis que les révolutions – qui s’en souvient dans les agences de presse ? – ont toujours été libérales.

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