L’égarement de l’Europe sur la Taxe Tobin

Quels que soient les objectifs que l’on assigne à une éventuelle taxe Tobin européenne, elle ne serait pas à même de les remplir.

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L’égarement de l’Europe sur la Taxe Tobin

Publié le 16 février 2012
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Quels que soient les objectifs que l’on assigne à une éventuelle taxe Tobin européenne, elle ne serait pas à même de les remplir.

Par Barry Eichengreen (*), depuis Berkeley, Californie.

Enfin, les dirigeants européens ont révélé leurs plans top secret pour résoudre la crise de l’Euro. Et il s’agit – roulement de tambour – d’une nouvelle version de la « taxe Tobin ». Le prix Nobel d’économie James Tobin a proposé en 1972 un prélèvement sur les transactions financières.

Aujourd’hui, 40 ans plus tard, la Commission Européenne a proposé une taxe sur toutes les transactions financières, allant de 0,1 % sur les actions à 0,01 % sur les produits dérivés comme les ‘futures’ et les ‘credit default swaps’. Le Président Français Nicolas Sarkozy et la Chancelière Allemande Angela Merkel l’ont approuvée. Si le monde entier ou bien l’Union européenne ne mettent pas la taxe en place, la France et l’Allemagne le feront seules. Au vu de l’enthousiasme de Nicolas Sarkozy pour cette taxe, il est même question que la France l’adopte unilatéralement.

Mais, il est assez difficile de comprendre comment exactement une taxe sur les transactions financières aiderait l’Europe à soigner ses maladies. Selon les propres estimations de la Commission, elle rapporterait 50 milliards d’euros (65,7 milliards de dollars) par an dans le cas d’une mise en place sur l’ensemble de l’Union Européenne. C’est une somme dérisoire, comparée aux dettes et déficits de la zone Euro. De plus, cette somme est très en-deçà des besoins du financement du Mécanisme de Stabilité Européen (MES), estimé à hauteur de 500 milliards d’Euros de capital.

En outre, l’estimation de la Commission exagère certainement les recettes attendues. Si la France impose la taxe unilatéralement, le commerce des produits dérivés et des actions ira à Francfort. Si la taxe est limitée à la zone Euro, les transactions se déplaceront à Londres. Si tous les membres de l’Union Européenne l’adopte – un scénario fantaisiste, au vu de la résistance britannique – le marché émigrera simplement à New York et Singapour.

Les dirigeants européens déclarent qu’ils peuvent créer des mécanismes pour s’assurer que leurs concitoyens paient la taxe, peu importe l’endroit d’enregistrement des ordres. Mais les banquiers élaboreront de nouveaux instruments permettant à leurs clients d’éviter la taxe. Sur qui parieriez-vous – les services fiscaux ou l’ingénierie financière ?

Si le but est l’augmentation des produits fiscaux, la taxe Tobin est un mauvais outil. En effet, Tobin l’avait conçue pour résoudre un problème complètement différent : la très grande volatilité sur le marché des changes. En décourageant les transactions sur ce marché, la proposition de Tobin cherchait à promouvoir la stabilité des taux de change en protégeant les monnaies nationales des attaques des spéculateurs.

L’ironie, bien sûr, est que les membres de la zone Euro n’ont pas de monnaies nationales à défendre. En tant que membres d’une union monétaire, ils profitent d’un niveau très élevé de stabilité – beaucoup trop de stabilité en fait. Dans les circonstances actuelles, avec une grande partie de l’Europe en manque de compétitivité, le continent a précisément besoin d’un taux de change plus bas.

Les leaders européens déploient la logique de Tobin depuis le marché des changes vers les marchés financiers. Ils soutiennent qu’une taxe sur les transactions aux frontières étoufferait la volatilité financière.

Mais la logique manque à cette conclusion. Nous savons qu’une taxe sur les transactions diminuera le nombre de transactions. Quelques investisseurs quitteront les marchés. Mais lesquels – les spéculateurs opportunistes, qui vendent quand tout le monde le fait, ou les spéculateurs anticonformistes, qui font l’inverse et stabilisent la volatilité des marchés ?

Peut-être que le but de la taxe Tobin est de diminuer la bulle du secteur financier européen. Dans ce cas, c’est encore une fois faire fausse route. Le problème de l’Europe est ses banques, à la fois trop grandes pour faire faillite et trop grandes pour être sauvées. La taxe Tobin ne ferait rien de plus que de les rétrécir. Au contraire, en décourageant les transactions sécurisées, cela incitera les investisseurs à déplacer leurs fonds sur des comptes en banque et des certificats de dépôts.

La taxe Tobin ne corrigerait pas non plus la sous-capitalisation des banques Européennes, ou que les prêts bancaires procycliques amplifient les cycles économiques (et la réglementation fait peu pour le contenir).

Pardonnez ma naïveté, mais j’ai commencé à penser que la politique plutôt que l’économie pouvait expliquer l’enthousiasme des leaders européens pour la taxe Tobin. Sarkozy peut couper l’herbe sous le pied des socialistes dans la course à l’élection présidentielle de ce printemps. En soutenant Sarkozy, Merkel peut avoir en retour ce qu’elle désire vraiment : le support des Français pour des règles fiscales plus strictes. De plus, les leaders européens peuvent prétendre que le secteur financier contribue aux nettoyages des comptes de l’Europe.

Pour paraphraser le fameux discours du Sénateur Dan Quayle lors d’un débat de l’élection présidentielle américaine en 1988 : « Je connaissais James Tobin. James Tobin était un de mes amis, mon mentor, et pendant une brève période privilégiée, mon coauteur. Tobin ne serait pas content de voir sa proposition détournée ainsi. »

Bien que personne ne puisse dire avec certitude ce que Tobin aurait pensé de la crise européenne, sa priorité a toujours été la recherche du plein emploi. Nous pouvons supposer qu’il aurait pressé les hommes politiques européens d’abandonner leur obsession idiote sur une taxe sur les transactions financières. À la place, il leur aurait demandé de réparer leurs systèmes bancaires défaillants et d’utiliser tous les moyens fiscaux et monétaires à leurs dispositions pour faire redémarrer la croissance économique.

—-
(*) Barry Eichengreen est professeur d’économie et de sciences politiques à l’université de Carlifornia à Berkeley.

Article publié originellement sous le titre « Europe’s Tobin Tax Distraction » sur le site Project Syndicate. Traduction Nicolas B. pour Contrepoints.

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  • La justification politique de la taxe Tobin est un leurre. Cela cache tout simplement l’impérieux besoin de renflouement des caisses de l’Etat. Cette taxe comme toutes les autres n’aidera pas l’Economie française à se redresser. Tout juste cela fera-t’il plaisir à ceux de nos concitoyens plus ou moins sensibles aux idées socialo-marxistes.

  • L’objectif initial de la taxe sur les transactions financières n’est pas de rapporter de l’argent, mais de brider les marchés financiers spéculatifs. C’est Sarkozy qui y voit un moyen de renflouer l’état, mais l’intérêt principal de la taxe n’est pas là.

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