Super-profits, maxi-dividendes

Les super-profits sont surtout l’apanage du capitalisme d’État, bénéficiant de protections et passe-droits

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0
imgscan contrepoints 618

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Super-profits, maxi-dividendes

Publié le 19 janvier 2012
- A +

Les super-profits sont surtout l’apanage du capitalisme d’État, bénéficiant de protections et passe-droits. Ce ne sont pas les sociétés capitalistes privées qui gavent leurs actionnaires.

Par Jean-Yves Naudet
Article publié en collaboration avec UnMondeLibre

En France, la question des profits est toujours matière à polémiques : si le pouvoir d’achat des salariés est en berne, c’est que « les patrons s’en mettent plein les poches », avec leurs super-profits et leurs maxi-dividendes. L’annonce des dividendes versés cette année par les entreprises du CAC 40 n’échappe pas à la règle. En période électorale, les actionnaires et le « grand capital » sont des boucs émissaires tout désignés. La réalité est pourtant bien différente.

Une marge de 6,5% sur le chiffre d’affaires

Nous avions présenté, dans un article du 26 mars 2011, « le scandale des super-profits ». Le titre était ironique et à lire au second degré. En effet, les profits des entreprises du CAC 40 s’élevaient en tout à 82,5 milliards d’euros pour l’année 2010 ; la hausse était certes de 65% par rapport à 2009, creux de la récession économique, mais on était loin des 101,4 milliards de 2007, et plus loin encore si on tient compte de l’inflation. Le scandale était donc relatif.

Il l’était d’autant plus que le chiffre d’affaires des mêmes entreprises était de 1262 milliards, ce qui donne un taux de marge sur chiffre d’affaires de 6,5% : est-ce le signe d’une « surexploitation capitaliste » engendrant la « paupérisation croissante » du prolétariat ? Encore faut-il tenir compte de ce que deviennent les profits : une part va à l’impôt (l’impôt sur les bénéfices des sociétés est en France le plus élevé d’Europe) ; une part (majoritaire) va à l’autofinancement et assure la pérennité de l’entreprise car, suivant la bonne vieille formule du chancelier Helmut Schmidt : « Les profits d’aujourd’hui font les investissements de demain et les investissements de demain font les emplois d’après-demain ». 

Les actionnaires gagnent 4,45% de leur mise

La dernière part des profits va aux actionnaires, qui ne sont rien de moins, ce que l’on a tendance à oublier un peu vite, que les propriétaires de l’entreprise, donc les destinataires légitimes des profits. L’estimation des dividendes versés par les entreprises du CAC 40 en 2011 a été faite par les analystes du consensus FactSet, puis retraitée par PrimeView et publiée par notre confrère Les Échos. Elle fait apparaître un montant de 37 milliards d’euros.

Rapprochons ce chiffre de celui des profits eux aussi estimés, qui devraient être de 86 milliards pour les mêmes sociétés du CAC 40. Les dividendes versés aux actionnaires représentent moins de la moitié des profits réalisés par les entreprises.

Ceux qui investissent dans les entreprises en achetant des actions ont une rémunération globalement très modeste. Le rendement pour l’actionnaire, c’est-à-dire le rapport des dividendes aux cours de la bourse, est de 4,45%, ce qui n’a rien de faramineux et en tous cas rien de comparable aux rendements « à la Madoff » évoqués à l’occasion de la crise financière. Telle est la réalité, elle devrait discréditer les fantasmes nés de la vulgate marxiste.

Des chiffres à nuancer fortement

Encore faut-il fortement nuancer. D’abord, on sait que l’année boursière a été très mauvaise. Le rendement étant le rapport entre le dividende et le cours de l’action, plus les actions baissent, à dividende inchangé, plus le taux de rendement augmente. Si les actions retrouvaient le niveau d’avant crise, le rendement serait nettement plus faible. 4 euros de dividendes sur une action de 100 euros, cela fait du 4% ; si le cours chute à 80 euros, le rendement passe à 5%. Avec la chute des cours, les actionnaires ont perdu une partie de leur capital, et le rendement de 4,75 % n’est pas une bonne affaire pour eux !

Il y a autre chose : ces 37,4 milliards de dividendes concernent la totalité des 40 plus grandes entreprises. Mais, à elles seules, quatre entreprises réalisent environ 15 milliards de profits, soit 40 % de l’ensemble. L’entreprise Total, vient en tête avec 5,38 milliards, mais elle opère dans un secteur lui-même très particulier. France télécom, ancien monopole public, réalise 3,71 milliards ; GDF Suez, autre ancien monopole public au moins pour la partie GDF, largement dépendante de l’État, 3,38 ; EDF, quasi-monopole public, 2,13. Or, ces dernières entreprises appartiennent à des secteurs où l’État est très présent (jusqu’à fixer les prix !). Les super-profits seraient donc surtout l’apanage du capitalisme d’État, bénéficiant de protections et passe-droits. Ce ne sont pas les sociétés capitalistes privées qui gavent leurs actionnaires. Mais il est si facile de faire des amalgames pour prouver l’injustice sociale du capitalisme !

Qui sont les actionnaires ?

Si on regarde les entreprises plus « classiques », opérant suivant la logique du marché concurrentiel, le taux de rendement doit être sensiblement réduit, probablement de moitié, autour de 2%. Est-ce que cela mérite, comme le titre notre confrère Les Échos de dire « Le CAC 40 soigne ses actionnaires » ou encore que le rendement « apparaît ainsi très attractif » ? Le taux servi aux actionnaires n’est guère éloigné du taux du livret A et tout simplement du taux d’inflation. Tout ce que l’on peut espérer pour ces actionnaires c’est qu’ils récupèrent en 2012 une partie de la perte en capital qu’ils ont subie en 2011.

Mais d’ailleurs, qui sont ces odieux actionnaires qui aspireraient le pouvoir d’achat des prolétaires salariés ? Il y a d’abord l’État, encore actionnaire de nombreuses entreprises du CAC 40, et pas seulement de celles citées ci-dessus. Il y a aussi les salariés, puisque l’actionnariat a diffusé une partie du capital chez eux. Et c’est tant mieux, au moment où le pouvoir d’achat de leurs salaires n’est pas au mieux de sa forme. Il y a aussi les actionnaires étrangers, qui possèdent au moins la moitié des titres de la bourse de Paris ; s’ils ne percevaient pas de dividendes, ils iraient investir ailleurs. Enfin, il y a tous les petits épargnants. Certes, la crise en a éloigné beaucoup de la bourse, mais il en reste quelques millions, qui ne sont pas les messieurs à gros cigares dessinés par Plantu dans Le Monde.

Des actionnaires privés, ou l’État seul propriétaire ?

Parlons des gens à gros cigares. C’est-à-dire de moyens et gros actionnaires (en langage syndical et marxiste : « le grand capital »). Ont-ils volé leur argent à la manière des milliardaires russes? En ont-ils tiré des avantages faramineux ? Ou bien ont-ils pris des risques, et, ont-ils agi en vrais entrepreneurs ? Ils ont participé à la création de richesses, donné des réponses plus efficaces aux besoins de la communauté et créé par ricochet des revenus et des emplois.

Imagine-t-on des entreprises sans actionnaires ? Tous les salariés seraient-ils prêts à investir leur propre argent pour sauvegarder leur entreprise, dans le style évoqué la semaine passée des Coopératives Ouvrières de Production (la chimérique SCOP de Seafrance) ? À suivre l’actualité, rien n’est moins sûr !

Au chœur des pleureuses qui se lamentent des super-profits et des maxi-dividendes nous devons donc poser deux questions : leur objectif est-il de faire disparaître les profits pour éliminer ceux qui placent leur argent en actions ? Si oui, toutes les entreprises feront faillite. Ou bien leur objectif est-il de remplacer les actionnaires privés par l’État ? C’est une autre solution, dont la Corée du Nord est aujourd’hui le modèle le plus achevé. Sûrement de quoi faire rêver… et vivre en fait un vrai cauchemar.

—-
Sur le web

Voir les commentaires (7)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (7)
  • Article quasi-parfait ! Un vrai régal !

    2 petits bémols:
    il faudrait juste sourcer les chiffres (histoire que lorsqu’on envoie l’article à un copain socialiste, il ne puisse pas sortir un de ses articles poussiéreux sentant la fleur de Pravda)
    dire que les actionnaires sont des « entrepreneurs », pas franchement d’accord. Les entrepreneurs, ce sont ceux qui créent des richesses, des emplois. Le capital ne crée pas d’emploi, c’est celui qui utilise le capital à bon escient qui crée l’emploi. L’investisseur ne fait que mettre son capital à disposition de l’entrepreneur…

    • merci de ces précisions!.seulement tu commets une erreur:ce ne sont pas de « petits » mais de gros bémols.les actionaires d’aujourd’hui gagnent de l’argent sans travailler.tout le contraire de la méritocratie par le travail.donner la priorité a ces gens c’est signer le déclin de la société,ce qui nous arrive depuis quelques années.les stocks options sont un problème bien pire:elles poussent les dirigeants d’entreprises a falsifier leurs comptes pour gonfler leurs gainspersonnels

      • Indeed, mais un patron qui voit le profit a court terme, c’est un peu comme un politique qui prone la relance keynesienne. Dans les deux cas, il y a une enorme destruction de richesse sur le long terme pour un gain a court terme loin d’etre interessant.
        Dans les deux cas, on a quelqu’un d’incompetent au pouvoir qui rend des comptes biaises (aux actionnaires ou au peuple).
        L’incompetence mene a la malhonnetete.

        Mais c’est pas pour autant que tous les patrons trichent. Et ceux qui trichent ne sont pas censes s’en sortir. S’ils s’en sortent, c’est bien souvent grace a leurs accointances avec l’Etat. Chose que les liberaux denoncent.

  • On peut aussi rappeler utilement que l’état étant toujours actionnaire des « ex-monopoles publics », une part non négligeable des bénéfices de ces entreprises du CAC40 lui sont reversés sous forme de dividendes (ce qui arrange bien le budget de la nation soit dit en passant). Il est notamment bien connu que France Télécom a été la vache à lait de l’état pendant des années.

  • Que l’on ait besoin d’avoir un tel débat en France me fatigue. Le niveau d’abrutissement public et politique est tel que c’est vraiment n’importe quoi !

  • Différents points tout de même ….

    82,5 Milliards de profits … Normalement c’est après impôts un profit … Votre article semble dire que sur ces 82,5 Milliards il reste les impôts àpayer … Un point de détail j’en conviens (j’en…. les mouches là) d’autant que ça signifie qu’elles ont payé de l’impôt sur un montant bien plus grand !!!

    Vous dites que 4 entreprises réalisent 40% du montant des dividendes … grâce à 15 milliards de profits … Sauf à redistribuer l’intégralité des 15 Milliards, il me semble que c’est faux … il me semble illogique de rapporter 15 Milliards de profits à 37 milliards de dividendes … car 15 milliards sur 82,5 Milliards ça fait à peu près 18% …

    Ca n’enlève rien à la pertinence d’un très très bon article !

  • Plus des trois quart de la population supporte de plein fouet les effets de la crise, pendant qu’une petite classe de privilégiés fait bombance, donne des réceptions, et étale sa fortune dans les magazines peoples.

    Pour ceux qui produisent les richesses, le chômage, les carrières interrompues et les revenus en dessous du SMIC aliment une retraite de misère. Pour d’autres qui ne produisent rien et encaissent les bénéfices leur soif de pouvoir alimente les guerres, la corruption et la pauvreté.

  • Les commentaires sont fermés.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Par Alexis Vintray.

Alors que depuis 2000 le CAC 40 évoluait sous son record historique, il bat record sur record et est aujourd'hui 14 décembre pour la première fois au-dessus des 7600 points. Même si l'économie mondiale résiste bien malgré l'inflation, on peut s'interroger sur le fait que la bourse soit ainsi au plus haut dans un contexte qui reste anxiogène.

Alors faut-il prendre ses bénéfices ? Pas si simple...

 

Le CAC 40, un indice sans dividendes

Le premier point à garder à l'esprit est que le rendemen... Poursuivre la lecture

Par Patrick Carroll.

Le 13 septembre 1970, le New York Times a publié un article de Milton Friedman qui allait devenir l'un des articles les plus célèbres - et les plus controversés - de toute l'économie. L'article était intitulé « A Friedman doctrine— The Social Responsibility of Business Is to Increase Its Profits ».

Selon la désormais célèbre doctrine Friedman, la seule mission d'une entreprise est de réaliser des profits pour ses actionnaires. Elle n'a pas d'autre "responsabilité sociale", telles que la prise en charge des ... Poursuivre la lecture

0
Sauvegarder cet article

Par Frédéric Peltier, Avocat, Président de l’Association des Actionnaires Actifs.

 

Dans une tribune parue dans Le Figaro le 30 mai dernier, Alain Minc dénonce : « Pire que les Insoumis, le gauchisme actionnarial venu de Wall Street ».

Ce titre aux relents trumpiste illustre bien la radicalisation heureusement minoritaire, quoiqu'influente, de quelques grands esprits qui pensent que les dirigeants des grands groupes doivent demeurer au-dessus de la mêlée des actionnaires. Au nom d’une prétendue légitimité supérieure ... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles