La pensée politique de Richelieu

Recension de l’ouvrage « Testament politique » de Richelieu (1688), réédité par les Éditions Perrin, 2011

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Testament Politique Richelieu

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La pensée politique de Richelieu

Publié le 13 janvier 2012
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Recension de l’ouvrage Testament politique de Richelieu (première édition en 1688), maître texte de la pensée politique française, de nouveau accessible aux lecteurs depuis la récente réédition par les Éditions Perrin en octobre 2011.

Par Jean-Baptiste Noé

Sur la vie du cardinal ministre de Louis XIII plane une ombre de mystère qui augmente la grandeur de son œuvre.

Cette ombre a failli engloutir son Testament politique : publié en 1688 en Hollande par des protestants – que le duc a vivement combattu à La Rochelle – on a longtemps cru que ce texte était un faux, avant que la critique historique n’en certifie l’authenticité.

Réédité fin 2011 par les Éditions Perrin, avec une présentation d’Arnaud Teyssier, auteur de plusieurs biographies, ce maître texte de la pensée politique française est de nouveau accessible aux lecteurs.

Maître texte, car ces pages n’expriment pas uniquement une théorie politique. L’auteur n’est pas un philosophe qui s’interrogerait sur la meilleure forme à donner au gouvernement, comme le Hegel des Principes de la philosophie du droit, il est d’abord un praticien, un homme qui a tenu le timon de l’État pendant dix-huit ans [1], qui a dirigé le plus puissant royaume d’Europe, qui a affronté des guerres, des conspirations et des calomnies de tout genre.

Ce texte est donc bien un testament d’un homme politique de premier plan, et c’est ce qui lui donne toute sa saveur, et c’est ce qui fait son mystère.

Ce texte n’intéresse pas uniquement les historiens.

Certes, certaines explications pourront paraître fastidieuses aux personnes qui ne connaissent pas en détails la période. Par exemple, lorsque le cardinal s’interroge sur le droit d’indult, lorsqu’il évoque la difficulté à arrêter les duels, ou bien quand il explique les dangers qu’il pourrait y avoir à supprimer la vénalité des offices. Cela pourrait paraître arguties de spécialistes, et décourager les honnêtes gens qui veulent trouver la sève de la pensée politique du ministre.

Mais Richelieu n’a jamais conçu ce livre comme un manuel de théorie politique. Écrit probablement dans les années 1640, il est d’abord un mémoire adressé au monarque pour lui donner des orientations possibles sur la politique à mener.

Homme de son temps et homme du temps, Richelieu était trop intelligent pour ignorer que son texte, s’il était publié, serait lu durant les siècles à venir. Il est donc possible de rencontrer des idées générales sur la façon de gouverner, mais en sous-main, de façon pratique, en étudiant la façon dont Richelieu s’y exerçait.

 

Richelieu et les réformes

Étudions par exemple la façon dont il aborde la réforme de la vénalité des offices.

Les offices sont des charges administratives qui pouvaient être achetées, et ensuite transmises en héritage. Un peu comme si aujourd’hui une secrétaire de mairie, un préfet ou un fonctionnaire quelconque achetait son travail et le transmettait ensuite à ses enfants. Cela existe encore, dans une certaine mesure, avec les licences de taxi ou celles des notaires. Le cardinal est conscient que ce système n’est pas bon et qu’il doit être réformé. C’est François 1er qui a mis en place la vénalité des offices, à un moment où l’État manquait déjà d’argent. Cette vente des offices avait alors permis de renflouer quelque peu les caisses du royaume.

Mais ce système est tellement ancré dans les habitudes que, même s’il est mauvais, il devient difficile à supprimer. La disparition de ce désordre risquerait de causer un désordre encore plus grand.

Les désordres qui ont été établis par des nécessités publiques et qui se sont fortifiés par des raisons d’État ne se peuvent réformer qu’avec le temps ; il en faut ramener doucement les esprits et ne point passer d’une extrémité à l’autre. Un architecte qui, par l’excellence de son art, corrige les défauts d’un ancien bâtiment et qui, sans l’abattre, le réduit à quelque symétrie supportable, mérite bien plus de louange que celui qui le ruine tout à fait pour refaire un nouvel édifice parfait et accompli. (p. 143)

Voici donnée une propédeutique des réformes : ne pas changer le système brutalement, mais par à-coups, avec une ferme volonté, mais aussi la conscience de la difficulté qu’il y a à refaire un bâtiment ancien.

Ce que le ministre exprime dans une phrase lapidaire : « Le désordre fait, non sans utilité, partie de l’ordre de l’État. » (p. 141). Et plus loin :

Il est quelquefois de la prudence d’affaiblir les remèdes pour qu’ils fassent plus d’effet, et les ordres les plus conformes à la raison ne sont pas toujours les meilleurs parce qu’ils ne sont pas proportionnés à la portée de ceux qui les doivent pratiquer. (p. 143)

Ces sentences illustrent aussi le fait que l’absolutisme n’est en rien une dictature, puisque le roi ne peut pas faire tout ce qu’il aimerait faire pour son royaume, des contrepouvoirs et des blocages puissants empêchent l’action royale.

 

La raison comme arme de gouvernement

Richelieu est par ailleurs tout à fait opposé à l’immixtion des passions dans la vie politique.

La raison seule doit conduire l’action gouvernementale, celle qui fait rechercher le bien commun avant tout, et qui se méfie des émotions populaires.

La lumière naturelle fait connaître à un chacun que, l’homme ayant été fait raisonnable, il ne doit rien faire que par raison, puisqu’autrement il ferait contre sa nature, et, par conséquent, contre celui même qui en est l’auteur. Elles enseignent encore que, plus un homme est grand et élevé, plus il doit faire état de ce privilège et que moins il doit abuser du raisonnement qui constitue son être, parce que l’avantage qu’il a sur les autres hommes contraint à conserver ce qui est de la nature et ce qui est de la fin que celui dont il tire son élévation s’est proposé. De ces deux principes il s’ensuit clairement que l’homme doit souverainement faire régner la raison, ce qui ne requiert pas seulement qu’il ne fasse rien sans elle, mais elle l’oblige, de plus, à faire que tous ceux qui sont sous son autorité la révèrent et la suivent religieusement. (p. 216)

Suit alors une étude sur la façon dont un roi doit se faire aimer de ses sujets, l’amour étant la source de l’autorité, une autorité bien plus solide que la coercition.

L’amour est le plus puissant motif qui oblige à obéir et qu’il est impossible que des sujets n’aiment pas un prince s’ils connaissent que la raison soit le guide de toutes ses actions. L’autorité contraint à l’obéissance, mais la raison y persuade et il est bien plus à propos de conduire les hommes par des moyens qui gagnent si insensiblement leurs volontés que par ceux qui, les plus souvent, ne les font agir qu’autant qu’ils les forcent.

S’il est vrai que la raison doit être le flambeau qui éclaire les princes en leur conduite et en celle de leur État, il est encore vrai que, n’y ayant rien au monde qui compatisse moins avec elle que la passion, qui aveugle tellement qu’elle fait quelquefois prendre l’ombre pour le corps, un prince doit surtout éviter d’agir par un tel principe qui le rendrait d’autant plus odieux qu’il est directement contraire à celui qui distingue l’homme d’avec les animaux. On se repent souvent à loisir de ce que la passion fait faire avec précipitations et on n’a jamais lieu de faire de même des choses à quoi l’on est porté par des considérations raisonnables. (p. 216-217)

Le gouvernement du Royaume requiert une vertu mâle et une fermeté inébranlable, contraire à la mollesse qui expose ceux en qui elle se trouve aux entreprises de leurs ennemis. Il faut en toutes choses agir avec vigueur, vu principalement que, quand même le succès de ce qu’on entreprend ne serait pas bon, au moins aura-t-on cet avantage que, n’ayant rien omis de ce qui pouvait le faire réussir, on évitera la honte, lorsqu’on ne peut éviter le mal d’un mauvais événement. (p. 218)

Ces leçons issues de l’expérience du pouvoir sont encore pleinement d’actualité pour les princes qui nous gouvernent. Cette « vertu mâle » et cette « fermeté inébranlable » s’expriment notamment dans la manière de juger les criminels de l’État. Face à ces crimes qui menacent la structure du pays et la solidité des institutions, le cardinal prône la plus grande fermeté :

En matière de crime d’État, il faut fermer la porte à la pitié, mépriser les plaintes des personnes intéressées et les discours d’une populace ignorante qui blâme quelquefois ce qui lui est le plus utile et souvent tout à fait nécessaire. Les chrétiens doivent perdre la mémoire des offenses qu’ils reçoivent en leur particulier, mais les magistrats sont obligés de n’oublier pas celles qui intéressent le public. Et, en effet, les laisser impunies c’est bien plutôt les commettre de nouveau que les pardonner et les remettre. (p. 229)

 

Richelieu et les finances

La politique de Richelieu concernant l’usage des finances publiques peut aussi trouver des résonances avec la situation actuelle.

Les dépenses absolument nécessaires pour la subsistance de l’État étant assurées, le moins qu’on peut lever sur le peuple est le meilleur. Pour n’être pas contraint à faire de grandes levées, il faut peu dépenser et il n’y a pas de meilleurs moyens pour faire des dépenses modérées que de bannir toutes les profusions et condamner tous les moyens qui sont à cette fin.

La France serait trop riche et le peuple trop abondant si elle ne souffrait pas la dissipation des deniers publics que les autres États dépensent avec règle. (p. 302)

L’augmentation du revenu du Roi ne se peut faire que par celle de l’impôt qu’on met sur toutes sortes de denrées, et, partant, il est clair que, si on accroît par ce moyen la recette, on accroît aussi la dépense, puisqu’il faut acheter plus cher ce qu’on avait auparavant à meilleur marché. […] Il y a plus : l’augmentation des impôts est capable de réduire un grand nombre de sujets du Roi à la fainéantise, étant certain que la plus grande partie du pauvre peuple et des artisans employés aux manufactures aimeront mieux demeurer oisifs et les bras croisés que de consommer toute leur vie en un travail ingrat et inutile, si la grandeur des [impôts] les empêche de recevoir [le salaire] de la sueur de leur corps. (p. 305-306).

Le cardinal ministre semble avoir compris ce que les partisans des hausses d’impôts se refusent à voir. Affaiblir le peuple est un des grands maux de l’homme politique, car il doit veiller à la prospérité et au bonheur de sa population. S’ils détournent leur pouvoir pour commettre l’injustice alors la justice s’abat sur eux un jour.

S’ils se servent de leur puissance pour commettre quelque injustice ou quelque violence qu’ils ne peuvent faire comme personnes privées, ils font par commission un péché de prince ou de magistrat dont leur seule autorité est la source et duquel le Roi des Rois leur demandera, au jour du jugement, un compte très particulier. (p. 325)

C’est aussi le jugement de l’Histoire sur Richelieu qui demeure. Peu d’hommes politiques osent se réclamer de son action, où même l’évoquer. Peut-être parce que sa vision de l’État et du pouvoir paraît trop exigeante aux nouveaux ministres de la France.

—-

Note :
[1] Armand Jean du Plessis, cardinal duc de Richelieu, est né en 1585 et mort en 1642. Il est nommé ministre des Affaires Étrangères en 1616, et principal ministre de Louis XIII en 1624. Il le reste jusqu’à sa mort.

Deux biographies de grande valeur sur Richelieu :

  • Françoise Hildesheimer, la grande spécialiste actuelle du cardinal : Richelieu, Flammarion, réédition 2011.
  • Arnaud Teyssier, Richelieu. La puissance de gouverner, Michalon, 2007.

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