Produire Français, démagogie présente contre prospérité future

L’enjeu, pour l’Europe, n’est pas de se protéger de la perte des emplois industriels du passé

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Produire Français, démagogie présente contre prospérité future

Publié le 10 janvier 2012
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L’enjeu, pour l’Europe, n’est pas de se protéger de la perte des emplois industriels du passé, mais de rester une place dans laquelle il est possible et attractif de créer les emplois à haut potentiel.

Par Vincent Benard

Affiche du Parti Communiste des années 1970.

À chaque élection, les mêmes thèmes reviennent en boucle. Aujourd’hui, un de ces marronniers de la vie politique est la relocalisation de l’industrie française, source de mesures supposées la favoriser, au premier rang desquelles la fameuse TVA sociale. Mais certains candidats imaginent un retour à un protectionnisme bien plus contraignant, qu’il soit européen, voire pire encore national. Dans la période économique difficile que nous connaissons, de telles politiques protectionnistes, qu’elles soient revendiquées ou masquées, seraient absolument suicidaires.

 

D’où vient la valeur de ce que nous consommons ?

Lorsque vous achetez un jouet, un smartphone, un ordinateur ou un appareil électrique, il y a toutes les chances qu’ils aient été fabriqués en Chine, ou en Asie du sud est. Le politicien démagogue y verra une invasion inacceptable de produits étrangers.

Toutefois, la réalité est beaucoup plus complexe. Ainsi, une grande partie de ces produits aura certes été fabriquée en Chine. Mais avant d’être fabriqués, ces articles auront dû être conçus, puis vendus, ce qui aura supposé de bien caractériser les consommateurs potentiels.

Or, lorsque l’on observe un produit moderne, on constate que sa valeur provient bien davantage de l’adéquation aux besoins du consommateur, ou de la cote d’amour que sa marque recèle, que du seul fait qu’il ait été fabriqué. De surcroît, la capacité de nombreux intermédiaires de nous délivrer ces produits à proximité de chez nous, voire chez nous, au lieu de nous obliger à aller les chercher chez des producteurs du monde entier, ajoute à ces produits une valeur immense. Des ordinateurs qui resteraient stockés dans les hangars de lenovo sans la supply chain qui permet à ces produits de franchir des milliers de kilomètres, n’auraient que très peu de valeur à nos yeux.

Autrement dit, dans un monde ou des milliers de références se battent pour conquérir le portefeuille de la ménagère comme du yuppie, la capacité d’un produit à se faire connaître, à séduire, à s’adapter au plus près des besoins du consommateur, à lui être livré, avec un service après-vente et des prestations annexes de qualité, comptent autant que la fabrication du produit lui-même, voire, de plus en plus souvent, beaucoup plus.

 

La valeur ajoutée est la clé

La Valeur Ajoutée, encore et toujours, est la base de toute l’économie. Quand vous vendez un produit made in China, ou made in Mexico, vous importez certes une valeur ajoutée par la fabrication créée dans ces pays, mais vous encaissez également la valeur ajoutée créée par la conception, le marketing, la distribution du produit, qui peuvent être en partie bien de chez nous. Ou d’ailleurs.

Et ces valeurs ajoutées peuvent être infiniment supérieures à celles apportées par la simple fabrication du produit.

Et bien sûr, lorsqu’un méchant industriel américain fait fabriquer en Chine un produit vendu au Brésil conçu par une boite de design française, la France récupère une petite partie de la vente faite au Brésil. Bref, un peu partout, des entreprises de tous les pays récupèrent un peu de la valeur ajoutée de transactions conduites dans le monde entier.

Georges Kaplan illustre à merveille ce principe dans un article dont je copie un extrait :

L’exemple classique c’est l’iPhone d’Apple qui est, comme vous le savez certainement, assemblé par Foxconn à Shenzhen. Voilà les faits [5] : pour faire produire un iPhone, vous avez besoin de 172,46 dollars de composants produits principalement par Toshiba (Japon), Samsung (Corée du sud), Infineon (Allemagne) et quelques entreprises américaines comme Broadcom, Numonyx et Cirrus Logic. Ces composants sont importés par l’empire du milieu puis assemblés par Foxconn pour un coût par appareil de 6,5 dollars. Quand le produit est fini, il est directement livré près de chez vous et passe la douane à 178,96 dollars FAB. En termes de comptabilité nationale, nous avons donc bien importé un iPhone « made in China » pour une valeur de 178,96 dollars mais ce que cet exemple démontre, c’est que ce qui est effectivement « made in China », ce sont les 6,5 dollars d’assemblage – soit 3,6 % du prix d’importation.

Le pays qui s’enrichit le plus est donc celui dont les entreprises sont capables de maîtriser la plus grande part de la valeur ajoutée.

Si dans quelques secteurs, la production reste un élément important de cette VA (la légendaire qualité de fabrication des voitures allemandes ou des pianos Estonia les distingue sans aucun doute du véhicule ou du clavier lambda…), dans d’autres, elle est nulle : un costume dessiné en France et fabriqué en Turquie ne se distingue en rien d’un costume dessiné en France et fabriqué en France.

Le mouvement est général : la part de la production dans la VA chute régulièrement. Il ne suffit pas de fabriquer un objet pour le vendre : les fonctions différenciantes, la conception et le marketing, ont une valeur souvent bien plus importante de nos jours.

 

Le désarroi des cols bleus

Le corollaire désagréable pour ceux qui travaillent à la fabrication de ce que nous consommons, est que leurs emplois sont condamnés à voir leur rémunération chuter, en part relative, par rapport à ceux qui exercent des tâches tertiaires, dans le marketing, la conception, le financement, etc.

Ainsi, les rémunérations des cols-blancs croissent bien plus vite que la population et la rémunération des ouvriers, fussent-ils de plus en plus qualifiés, ce qui a provoqué, ces 25 dernières années, un accroissement de la prospérité sans précédent dans tous les pays occidentaux, ainsi que dans tous les pays émergents qui se sont intégrés à cette dynamique créée par la mondialisation des échanges.

Aussi, délocaliser la fabrication en Chine, au Mexique, ou ailleurs, revient à maximiser la part que l’entrepreneur français, européen ou américain pourra consacrer aux tâches qui ajoutent le plus de valeur à leur prestation.

Et plutôt que de vouloir utiliser la force législative ou fiscale pour maintenir en France des emplois de production de gamme basse, dont la valeur ajoutée ne justifie plus le maintien dans un pays à forte masse salariale, mieux vaut utiliser une part de la valeur ajoutée dégagée par la délocalisation pour financer la reconversion professionnelle des personnes qui doivent changer de métier.

Empêcher l’internationalisation de la production, c’est pénaliser la création de valeur

Même des processus de fabrication complexes comme ceux de nos automobiles gagneront de plus en plus à être transférés chez les pays pour l’instant à bas salaire, dans l’UE ou en dehors, tels que la Slovaquie, la Turquie, le Mexique (pour le marché US), ou la Roumanie, et peut-être demain la Chine ou l’Inde, afin de permettre aux constructeurs d’améliorer le contenu de leurs automobiles à moindre coût, au bénéfice du consommateur.

Une conséquence évidente s’impose alors. Rendre moins attractive la délocalisation des fabrications en Chine, par exemple en appliquant des droits de douane prohibitifs, revient à empêcher des transactions dont la concrétisation justifie toute une chaîne de création de valeur en partie encore localisée dans nos pays. Empêcher la délocalisation de la production en Chine tue la création de valeur ajoutée hors production en Europe.

Il est donc absolument vital que les entreprises européennes puissent profiter de l’atelier pour l’instant à bas prix que constitue la Chine, pour favoriser cette création d’emplois à haute valeur ajoutée en nombre suffisant pour poursuivre l’élévation globale de notre niveau de vie.

 

Europe : comment rester un creuset de création de valeur ?

L’enjeu, pour l’Europe, n’est pas de se protéger de la perte des emplois industriels du passé, mais de rester une place dans laquelle il est possible et attractif de créer ces emplois à haut potentiel, éventuellement néo-industriels, d’ailleurs, ce qui suppose que nous ayons à la fois une main-d’œuvre de qualité, du capital, et une fiscalité qui n’incite pas ce capital humain et financier à aller s’investir ailleurs. Or, dans ce domaine, nous sommes en grand danger.

Si nos universités forment encore une élite de qualité, le niveau général d’éducation des masses, lui, fait peur. Certes, ne dramatisons pas, la France attire encore beaucoup d’investissements de haute qualité, comme ceux cités une fois encore par l’irremplaçable Georges Kaplan.

Mais ces investissement seront-ils pérennes si la situation éducative et fiscale du pays continue de se détériorer ?
Quel avenir s’offrira à ceux que notre école laisse à l’âge adulte sans avoir assimilé les compétences de base du citoyen, sans la moindre capacité de mener à bien un raisonnement logique, sans esprit critique, ou sans être en mesure de lire un document un peu complexe ?
Et si notre élite, mobile, trouve plus rémunérateur de s’employer massivement ailleurs, qui créera des emplois pour les déshérités du système éducatif ?

 

Car ne nous y trompons pas. La Chine, l’Inde, le Brésil, etc. grâce aux revenus générés par ces fabrications destinées initialement à l’Occident riche, développent de fait une classe de cadres intermédiaires et supérieurs qui leur permettront à terme de ne plus être que les simples réservoirs de cols bleus de l’Occident. Leurs entreprises emmagasineront le savoir-faire qui leur permettra d’investir les créneaux à forte valeur ajoutée dans lesquels ils se situent encore en retrait. Leurs systèmes éducatifs se modernisent à grande vitesse. De copieurs et sous-traitants, ils deviendront concurrents de plein exercice, et encore l’emploi du futur est-il ici abusif, cette évolution ayant déjà commencé.

Si nous ne corrigeons pas le tir, le déclin de notre système éducatif et notre fiscalité punitive de la prise de risque pourraient, dès le second tiers du présent siècle, cantonner un pays comme la France au rôle de pourvoyeur de cols bleus mal payés pour le compte de décideurs des pays émergés…

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  • Et en 1913, j’imagine qu’il aurait été bien plus avantageux pour la France de fermer toutes ses usines d’armement et de dépendre uniquement de l’allemand Krupp qui proposait des canons avec le meilleur rapport qualité prix… Parce que c’est quand même exactement ça que vous êtes en train de défendre en voulant nous mettre sous la coupe du parti unique de la Chine communiste…

    Puis-je qualifier ce texte de raisonnement de teletubbies qui s’imagine vivre dans un monde ou tout le monde il est beau tout le monde il est gentil ? Qu’on puisse imaginer construire une nation avec uniquement des conseillers fiscalistes et des vendeurs de sonneries de René la taupe est plutot une preuve que l’éducation des élites est totalement à revoir et que le sens commun est de bien meilleur conseil…

  • Cet exemple de l’Iphone est vraiment a garder dans le coin de sa cervelle pour terrasser d’un tour de main toutes les contres-verites que l’on entend ces temps ci …

    • Ouai… Sauf que le fameux iphone à $178,96
      sera vendu en Europe autour de $740 (580€ ref amazon) soit environ 413% de marge.
      Cette marge ne pourrait elle pas couvrir le coût du travail d’un salarié européen (je ne parle même pas d’un français) et ainsi épargner le coût de la pose de filets anti-suicide dans les usines Apple en chine?

      • Je trouve au contraire que l’exemple de l’Iphone est difficile à mettre au profil des idées libérales « rendez-vous compte de la marge que fait Apple; ça coûte 180$ de pièces détachées et c’est vendu 740$ ! » certes, en achetant un iPhone on paye aussi une partie de ses frais de développement, de son marketing et aussi l’image que ce produit nous apporte, mais toute de même, je ne m’en servirai pas pour convaincre quelqu’un des bienfaits de la mondialisation.

        • C’est pas la première fois que les libéraux se tirent des balles dans le pied…

        • Si APPLE vend ses produits avec une telle marge ( d’ailleurs je vois que vous avez omis la part de l’état…) c’est parce qu’il y a des clients qui sont prêts à mettre ce prix. Point.
          Et cela n’a aucun rapport avec la mondialisation, c’est juste inhérent à l’entrepreneuriat : on investi là où on pense qu’il y a opportunité de profit.

  • pas d’accord.vous croyez les chinois assez stupides ou incapables de créer de emplois a haute valeur ajoutée?réveillez vous,ils ne sont pas plus cons que nous!il faut que notre pays se mette en situation de subvenir le plus possible a ses besoins.cela peut passer par un mélange de protectionisme(tous les pays le font)et de liberalisation du marché du travail,et de baisse des prélèvements sur le travail

  • Je travaille avec des centres de recherche industriels (automobiles, sidérurgie…), donc là où est se produit cette valeur ajoutée que vous décrivez dans votre article. Force est de constater que petit à petit, ces centres de recherche commencent à migrer vers les lieux où ont été délocalisées les sites de production quelques années avant, idem pour les services financiers, informatiques etc…
    Alors à part emprunter aux Chinois pour acheter les produits qu’ils finiront par nous imposer, je ne vois pas bien où peut nous conduire votre raisonnement.

  • Les 180$ ne prennent pas en comptent une partie importante de la bête, la partie contenue.

  • Ce vieux fantasme du tous ingénieurs !

    Bien sur que l’on doit faire en sorte de développer les investissements de haute qualité, de produire la plus grande valeur ajouté possible, mais ce n’est faire injure à personne que de reconnaître que tout le monde ne peut pas devenir ingénieur, designer, architecte ou que sais-je.

    Mais ne nous y trompons pas, la France grâce aux revenus générés par des fabrications (même à faible valeur ajoutée) destinées à l’occident riche développerai de fait une classe de cadres intermédiaires et supérieurs qui lui permettrait à terme de ne pas être qu’un simple réservoir de cols bleus.
    Nos entreprises emmagasineraient le savoir faire qui leur permettraient d’investir les créneaux à forte valeur ajoutée dans lesquels ils se situent toujours en retrait. Notre système éducatif se moderniserait à grande vitesse. De copieurs et sous-traitants, nous deviendront concurrents de plein exercice.

  • Tout d’abord, je pense que celui qui écrit cet article n’a jamais travaillé dans le monde ‘réel’ de l’entreprise.
    Pour avoir travaillé depuis plus de 15 ans dans des groupes internationaux et mondiaux côtés, je tiens à partager avec vous que ce sont de véritables machines de guerre très huilées dans l’optimisation des moyens de production.
    L’idée de la suprématie de la valeur ajoutée ignore totalement que toute la population n’est pas homogène: tout le monde n’est pas capable de produire de l’intellect. Il faut donc bien des usines pour donner du travail à ceux qui ont moins de moyens. Faire fi de cet état de fait est une preuve d’ignorance de l’humanité. Et une usine est un bassin d’emplois souvent peu qualifiés: emplois directs de l’usine et indirects (maintenance, entretien, etc).
    Refuser de se donner comme priorité de produire français (non nécessairement exclusivement) c’est refuser d’entraider ses prochains.

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